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Nice, 22 novembre 2024 —— Jean-Luc Vannier.

La Bohème sans Anna Netrebko pour la Fête Nationale monégasque

Giacomo Puccini. Photographie © A.D. - OMC.Giacomo Puccini. Photographie © A.D. - OMC.

Elle est venue pour trois représentations puis est repartie, nous dit-on, pour préparer La Forza del destino de G. Verdi au Teatro alla Scala de Milan. Il eût été de bon aloi, pour Anna Netrebko, d’incarner Mimi à la soirée de gala donnée au Grimaldi Forum le 19 novembre en présence de S.A.S. Le Prince Souverain Albert II et de La Princesse Charlène. Mais, nous dit-on encore, Riccardo Chailly qui va diriger cette production italienne l’aurait « menacée », en cas d’absence à la répétition du 19 novembre, d’attribuer le rôle à une autre soprano. Les divas ne sont plus ce qu’elles étaient. Ne cherchons pas : « La police féminine a un train mystérieux, écrivait Michel de Montaigne, il faut le leur quitter » (M. de Montaigne, Essais, III, édition Pierre Michel, Livre de Poche, tome 3, pp. 81-82).

Cette Bohème monégasque reprenait, pour la mise en scène, celle signée Jean-Louis Grinda et donnée sur le Rocher en janvier 2020. Et comme le diable se trouve toujours dans le détail, signalons que la scène finale, censée se dérouler au mois de juin à Paris, nous fait découvrir les toits de l’immeuble du xvie arrondissement situé en face de l’atelier d’artiste dans le décor en fond de tableau, passablement enneigés. Le désordre climatique sans doute ! 

Fort heureusement pour cette production, Marco Armiliato est aux commandes de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo, des chœurs de l’opéra et du chœur d’enfants de l’Académie Rainier III pour nous offrir un acte II absolument remarquable de fantaisie musicale, vocale et scénique. Le maestro dont nous avons, récemment encore, souligné la redoutable énergie dans Tosca a été vivement applaudi par les musiciens dans la fosse au moment des salutations : un témoignage plutôt rare qui entend remercier celui qui a dirigé ce Festival Puccini, enchaînant les représentations sans avoir toujours la possibilité de multiplier les répétitions. L’orchestre philharmonique de Monte-Carlo n’en a que plus de mérite !

C’est du côté de la distribution que nous éprouvons une relative déception : il est difficile de reprocher à Nino Machaidze son interprétation de Mimi après avoir chanté, pendant trois représentations, le personnage de Musetta. Dotée d’une ligne de chant qui n’a pas — encore — atteint toute l’amplitude requise pour une Mimi d’envergure, la soprano géorgienne nous gratifie certes d’une irréprochable justesse de ton mais celle-ci n’empêche pas une résonance parfois métallique de ses aigus. En témoigne son « Mi chiamano Mimi » dont la touchante simplicité ne soulève qu’un succès de « grande » estime » dans la salle. Nous avions entendu Yusif Eyvazov qui accompagnait Anna Netrebko dans une Manon de Puccini en avril 2022 à l’opéra de Monte-Carlo et avions déjà relevé, au contraire de sa partenaire, une certaine rigidité scénique avec ses inévitables conséquences vocales. Une impression négative, plus nette encore, éprouvée antérieurement lors d’un récital conjoint donné en février 2018 au Grimaldi Forum. Dans le personnage de Rodolfo, cette impression de 2018 s’est hélas confirmée : malgré d’audacieux forte, la voix du ténor azéri pâtit d’une certaine âpreté de timbre qui réduit ses capacités de projection. Dans ses duos avec l’imposant Florian Sempey (Marcello), il en devient presque inaudible.

Comme il arrive parfois, ce sont les « seconds rôles » qui emportent sans conteste notre suffrage. La Musetta de Mariam Battistelli, laquelle avait déjà incarné ce rôle dans la production de 2020, allie deux atouts : une indéniable vitalité scénique et une impétueuse fraîcheur vocale pétrie de jeunesse et d’insouciance. C’est toutefois le Marcello de Florian Sempey qui suscite l’enthousiasme de l’audience. Le baryton français qui nous avait littéralement « scotché » dans le Figaro d’un Il Barbiere di Siviglia marseillais en février 2018 se lâche vocalement pour nous offrir une inoubliable série de notes puissamment projetées et ce, avec une impressionnante stabilité. Autre rôle qui aurait dû recevoir des applaudissements mérités — le maestro a même marqué un léger temps d’arrêt après son air pour y inviter le public, resté étonnamment de marbre — la basse géorgienne Giorgi Manoshvili dans le rôle de Colline avec son très beau et très émouvant « Vecchia zimarra », alors qu’il annonce aller porter son vieux manteau au mont-de-piété. Ce qui confirme, après sa brève mais convaincante apparition du Consul Angelotti dans la récente Tosca, les qualités de sa ligne de chant. Biagio Pizzuti (Schaunard) et Fabrice Alibert (Benoit et Le Second ouvrier dans un Wozzeck monégasque en 2022complètent cette distribution.

Concluons ce Festival Puccini par une anecdote savoureuse sur le compositeur : « Au temps de la Première de La Bohème à Vienne, Puccini voulait être présenté aux Archiduchesses [Erzherzoginnen] et Gustav Mahler qui ne s’intéressait pas beaucoup à la Cour, l’a orienté vers un intermédiaire. Quatre années plus tard, nous avons revu Puccini à New York où il se comportait intentionnellement mal, comme le fait de cracher sur les tapis et cetera, ou cherchait à se rendre désagréable, ce qu’il n’a cependant pas réussi à faire. C’était un Don Juan et les femmes s’entredéchiraient à cause de lui ». (Alma Mahler-Werfel, Mein Leben, Fischer Taschenbuch, 1999, p. 252).

Jean-Luc Vannier
Nice, 22 novembre 2024
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Samedi 23 Novembre, 2024 15:04