Monaco, 25 janvier 2020 —— Jean-Luc Vannier.
Andeka Gorrotxategi (Rodolfo), Nicolas Courjal (Colline), Boris Pinkhassovitch (Schaunard) et Davide Luciano (Marcello). Photographie © Alain Hanel.
« Puccini, réclamé par la salle, frémissante encore, est venu saluer, simplement et modestement, cet auditoire vibrant qui saluait en lui un des purs génies de la musique italienne ». Ainsi s’exprimait, lors de la première de cette œuvre à Monte-Carlo en février 1902, l’un des critiques du Journal de Monaco (Fernand Platy, Journal de Monaco, 4 février 1902). D’autres « Mimi » lui ont depuis succédé dont celle par exemple entendue à l’opéra de Nice en mars 2012.
Nous étions donc impatient de découvrir, vendredi 24 janvier en première de gala, cette nouvelle « Mimi » monégasque œuvre charnière de Giacomo Puccini pour deux raisons au moins : « tous les commentateurs notent, à la louange de Puccini, que les grands airs se raréfient à partir de La Bohème (Lucien Rebatet, Une histoire de la musique, Des origines à nos jours, Robert Laffont, Coll. « Bouquins », 1969, p. 622). L’œuvre s’est effectivement cristallisée autour du fameux « Mi chiamano Mimi » au point d’en oublier toutes les innovations orchestrales ingénieuses et virtuoses qui ponctuent le drame : des flûtes, une harpe et des violons divisés pour le crépitement du feu au premier acte, des cuivres aigus qui rythment la fête au second tandis que la flûte et la harpe encore peignent à l’acte suivant un tableau contrasté où la pulsion de vie inhérente au cabaret s’oppose à la santé déclinante de l’héroïne, enfin des accords sombres et soudains qui tonnent au quatrième. Avec les réminiscences arrangées du « Si chiamano Mimi » ou celles de « Che gelida manina » de Rodolfo qui affleurent notamment au dernier acte — Leitmotivs wagnériens ? —, « l’orchestre s’adresse au spectateur pour lui dévoiler ce que le personnage est incapable de nous apprendre car il ne sait pas tout ce qui est en lui » (Lionel Dauriac, Le langage musical, Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1915, I, p. 146).
Andeka Gorrotxategi (Rodolfo) et Irina Lungu (Mimi). Photographie © Alain Hanel.
Serait-ce en lien avec son anniversaire — une soixantaine vigoureuse et célébrée dignement au Fairmont en compagnie des Amis de l’Opéra et des artistes après la représentation — que Jean-Louis Grinda avait, comme l’on dit, mis les petits plats dans les grands ? Entouré de sa « bande » habituelle — pour quelles raisons changer une équipe qui gagne ? — à savoir Rudy Sabounghi aux décors et Laurent Castaingt aux lumières, le directeur de l’opéra de Monte-Carlo qui passera les commandes de l’Établissement lyrique du Rocher dans trois années à Cécilia Bartoli, imagine une version bourgeois-bohème de Mimi. Certes, l’atelier d’artiste ouvre toujours sur les toits enneigés de Paris mais, habillée par Diane Belugou, Mimi — comme le Diable dans les détails — chausse plutôt de fins escarpins Prada que des charentaises signées H&M ! Tout comme son manteau ¾ pied-de-poule carreaux écru-marron auquel ne manquait qu’un col en fourrure ! D’ailleurs, à Monaco, il n’y a pas de courant d’air –ni de coupure de courant – qui éteindrait au premier acte les bougies laissant les futurs amants dans l’obscurité. L’époustouflant dynamisme scénographique et dramaturgique de Jean-Louis Grinda emporte tout sur son passage, surtout au deuxième acte qui se termine par une floraison agitée d’immenses drapeaux tricolores.
Mariam Battistelli (Musetta). Photographie © Alain Hanel.
Légitimement acclamé par l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo à son entrée dans la fosse, le maestro Daniele Callegari, de tous les succès monégasques, fait justice à « l’émerveillement de Maurice Ravel » devant la minutieuse maitrise musicale de Puccini.
La distribution nous procure un mélange de ravissement et de relative déception. Dans le rôle de Mimi, la soprano russe Irina Lungu, nonobstant une belle ligne de chant, n’atteint pas ce nécessaire paroxysme de fragilité humaine dans son grand air de l’acte I. Son agonie nous émeut à peine alors que Puccini admit avoir « sangloté comme un gosse » comme s’il « avait vu mourir son enfant » après avoir écrit la scène finale où Mimi expire. Le ténor espagnol Andeka Gorrotxategi (Rodolfo) est, quant à lui, à la peine et, obligé de forcer ses aigus, donne parfois le sentiment d’atteindre ses limites dans la projection de sa voix.
Andeka Gorrotxategi (Rodolfo) et Irina Lungu (Mimi). Photographie© Alain Hanel.
Les seconds rôles, au contraire, nous enchantent : en premier lieu, les deux barytons Boris Pinkhassovitch (Schaunard et Mister Astley dans Le Joueur de Prokofiev à Monte-Carlo) et Davide Luciano (Marcello) dominent les voix masculines par leur aisance projective, leurs timbres chaleureux et l’impressionnante stabilité de leurs forte. Une mention aussi pour l’inusable basse Nicolas Courjal dans le personnage du philosophe Colline. Ainsi qu’une autre pour l’heureuse découverte de la mezzo-soprano d’origine éthiopienne Mariam Battistelli dans le rôle de Musetta, débordante d’énergie, piquante de coquetterie mais empreinte de retenue dans la scène ultime. Fabrice Alibert (Benoit) et Guy Bonfiglio (Alcindoro et un Député flamand dans un Don Carlo marseillais) complètent avantageusement ce casting vocal.
Lors de cette création au Teatro Regio de Turin le 1er février 1896 Puccini approche la quarantaine : « jamais plus une mélancolie aussi tendre et souriante n’illuminera sa musique ».
La Bohème. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.
Monaco, le 25 janvier 2020
Jean-Luc Vannier
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Dimanche 26 Janvier, 2020 2:28