musicologie

2022 —— Jean-Luc Vannier.

Une histoire vivante de la musique, du psaume à Pierre Boulez : le tempo voyageur de Mélanie Levy-Thiébaut

Levy-Thiébaut Mélanie, Une histoire vivante de la musique. Flammarion, Paris 2022 [495 p. ; ISBN 978-23-0802-5285-2 ; 24,90 €]

La psychanalyse est le royaume de l’intermédiaire. Une histoire vivante de la musique rédigée par Mélanie Levy-Thiébaut aussi ! Publié aux éditions Flammarion, cet ouvrage au contenu substantiel de 495 pages oscille entre essai de vulgarisation et traité scientifique. Le complexe névrotique revu par Volkswagen : « le plus dur, c’est de choisir ! ».

Séparé en six grands chapitres, le fascinant voyage musical auquel nous invite la cheffe d’orchestre Mélanie Levy-Thiébaut, créatrice par ailleurs du groupe orchestral « Le paradoxe », nous entraine aux origines mêmes du son avec une première partie tout simplement appelée « Dieu… », titre fort heureusement accompagné des trois points interprétatifs du « Teï Ko » hébraïque. Et s’achève — presque — avec les « Accélérateurs de sons » : Iannis Xenakis, György Ligeti mais aussi Karlheinz Stockhausen. « Presque » car un ultime « saut de puce » se veut un coup de chapeau en l’honneur des « Singuliers Finlandais » dont « l’inclassable » Jean Sibelius. Et ce, afin de mieux saluer in fine la jeune génération de compositeurs et de maestros du Grand Nord Kaija Saariaho   et Esa-Pekka Salonen. Entretemps, l’auteure nous aura baladé parmi les mystiques avec, entre autres, Hildegarde von Bingen et Roland de Lassus, clôturant — trop prestement à notre goût — cette vaste période de la Renaissance avec Claudio Monteverdi.

Elle nous fait ensuite découvrir les « classiques » européens, nous décrivant au fil des pages l’influence des environnements culturels et politiques avec, ici les « cafés » de Leipzig, là les « loges » maçonniques de Paris : son audacieuse étude sur « La Dame à la licorne » médiévale mêlant métaphores et métonymies lacaniennes semble tout droit issue d’une « planche ». Elle n’omet pas non plus les sourdes rivalités et les histoires de cœur, le tout ponctué de charmantes anecdotes. Au risque parfois de raccourcis historiques comme le mal-être de Gustav Mahler réduit à son impuissance sexuelle ou le succès des ballets de Serge de Diaghilev aux États-Unis oubliant qu’il fallut toute la stratégie d’Edward Bernays pour vaincre les fortes résistances du puritanisme américain.

Quelques pensées anachroniques — imaginer Rameau à La Scala ? — mais aussi des formulations tranchées se révèlent discutables : « les débats télévisés qui ont remplacé les combats par la plume » (p. 119) mais quid alors de la célèbre disputatio ? ou bien « aucun concert filmé ne pourra jamais nouer quelque lien avec l’art » (p. 134) à même de susciter l’ire en ces temps de Covid-19. Nous interrogerons par surcroît des phrases sibyllines : « Le masque est au comédien ce que l’instrument est au musicien » (p.70) ou d’hasardeuses spéculations numérologiques sur la mort de Georges Bizet (p. 269).

Résumons-nous : aux indéniables qualités de cette publication appartiennent l’accessibilité de lecture par le traitement « vivant », souvent romancé, des biographies de compositeurs, l’attrait intellectuel pour de vastes connaissances musicologiques à même d’embrasser des siècles de création musicale, enfin l’incarnation émotionnelle du récit au gré des expériences personnelles de direction d’orchestre et d’interprétation des œuvres.

Nous regretterons en revanche l’absence d’indication des sources pour les références — certes nombreuses et passionnantes —, le manque d’un index à la fin du livre autorisant plus de souplesse dans son maniement, une bibliographie qui ne cite aucun ouvrage sur Richard Wagner ainsi qu’une « playlist » sans précision de la version musicographique à privilégier. Des défauts qui ne sauraient toutefois inhiber le désir du mélomane d’acquérir dans sa bibliothèque ce nouvel « indispensable ».

Nice, le 13 février 2022
Jean-Luc Vannier


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