Théâtre des Champs-Élysées, 7 octobre 2022 — Frédéric Norac
Iphigénie en Aulide, Théâtre des Champs-Elysées, 2022. Photographie © Agathe Poupeney.
Pour ses débuts comme chef d’opéra, Julien Chauvin ne pouvait sûrement faire meilleur choix que cette rare Iphigénie en Aulide. Ses affinités avec l’époque classique et la rareté d’une œuvre un peu sous-évaluée donnaient à ce choix une totale pertinence. Avec ce premier opéra composé pour la scène française, Gluck se lance en 1774 à la conquête de la scène française et inaugure sa « réforme » de la tragédie lyrique. Si le livret de Leblanc du Roullet paraît assez faible et très en deçà de ce que lui fournira par la suite Guillard pour la seconde Iphigénie (la même, mais en Tauride) ; le compositeur en transcende largement les limites, surtout dans les deux derniers actes, où son style s’affirme pleinement dans l’intégration du récitatif orchestré et des airs, la recherche d’une continuité dramatique totale, et la transformation des numéros en véritables scènes, tels le quatuor avec chœur ou le trio qui réunit l’héroïne, Achille et Clytemnestre au deuxième acte.
Le premier acte toutefois, après une magnifique ouverture, restée au répertoire des grands chefs d’orchestre après la disparition de l’opéra lui-même, paraît un peu languissant, peut-être aussi parce que les interprètes ne semblent pas encore avoir tout à fait trouvé leurs marques.
Dans le rôle-titre, Judith Van Wanroij semble légèrement en retrait, sans doute parce que la tessiture très centrale est un peu grave pour ses moyens de soprano lyrique. Il lui faut attendre sa scène du troisième acte et son grand air élégiaque pour donner toute la mesure d’une délicate musicalité. Si la voix laisse entendre quelques inégalités, le tempérament de Stéphanie d’Oustrac convient idéalement à Clytemnestre auquel elle offre toute la noblesse et l’autorité voulues, quitte à écraser quelque peu le rôle-titre. L’Agamemnon de Tassis Christoyannis, à qui il revient d’ouvrir le ban, paraît mal assuré à son entrée et c’est dans sa grande scène tourmentée du deuxième acte où son personnage est pris entre ses devoirs de roi et son amour paternel qu’il donne la pleine mesure de ses qualités d’interprète. Dans le rôle du « bouillant » Achille dont les exigences regardent déjà un peu vers le ténor romantique, et dont les aigus à pleine voix dépassent nettement ceux des hautes-contre de Rameau, Cyrille Dubois touche à l’extrême limite de ses moyens. L’effort est perceptible dans la projection, mais sa volonté de caractériser son personnage homérique et son engagement sans réserve lui valent une petite ovation après son air héroïque particulièrement tendu du deuxième acte. On regrette que le rôle de Calchas soit si limité, car Jean-Sébastien Bou y fait entendre un baryton sonore et tranchant. Du côté des « utilités », l’excellent Arcas/Patrocle/Un grec de David Witczak et les trois choryphées, sorties de l’ensemble des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (coproducteur de ce concert), ne méritent que des éloges, tout particulièrement Jehanne Amzal dans son air soliste du divertissement du deuxième acte.
Le chœur, si important chez Gluck, offre de jeunes voix d’une grande fraicheur, une parfaite homogénéité et une articulation exemplaire. La direction précise et dynamique de Julien Chauvin, à la tête de son Concert de la Loge, exalte la richesse de l’orchestration de Gluck avec des cordes transparentes et des bois et des vents très colorés. La tension ne faiblit jamais et le chef résout avec panache certaines transitions audacieuses pour créer un véritable mouvement dramatique qui compense largement l’absence de mise en scène.
Concert enregistré et diffusé par France Musique le 5 novembre à 20 h
« Grosse » Petite messe solennelle aux Invalides — « Que la fête commence ! » : la saison 2022-2023 du Centre de musique baroque de Versailles — Petits riens Mozartiens : le salon Mozart de Louis-Noël Bestion de Camboulas — Concert à vingt mètres sous terre : le Requiem « civil » de Lise et Cécile Borel.
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Vendredi 14 Octobre, 2022 3:09