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Monaco, 20 avril 2018, Jean-Luc Vannier ——

Le souffle puissant de I Masnadieri à l’opéra de Monte-Carlo

Roberta Mantegna (Amalia). Photographie © Alain Hanel.

Fin de saison lyrique brillante et réussie pour l’opéra de Monte-Carlo avec la première, jeudi 19 avril Salle Garnier, du I Masnadieri dans une production du Teatro Regio de Parme. Inspiré par Die Raüber de Friedrich von Schiller et créé au Her Majesty’s Theater de Londres le 22 juillet 1847, ce premier ouvrage composé pour l’étranger par Giuseppe Verdi, injustement dénigré, distille bien au-delà des apparences d’un drame relatif au pouvoir et des passions inhérentes au Sturm und Drang de l’époque, des questionnements nettement plus insidieux : outre celui du parricide et du fratricide, tous deux soulevés par le prêtre Moser à l’acte IV, I Masnadieri interroge l’essence du féminin dont le surgissement menace de briser le serment de fidélité d’un homme engagé au sein d’une fraternité. Un thème récurrent sur la rupture et l’échec du cheminement initiatique et soi-disant rédempteur, d’ordre exclusivement masculin et qui, du « Livre des morts » de la Haute-Égypte à Star Wars en passant par le mythe freudien de la Horde primitive, semble traverser la nuit des temps. En témoigne dans cette partition l’impressionnante — et exigeante — place réservée aux uniques chœurs d’hommes. Et dont ceux de l’opéra de Monte-Carlo dirigés par Stefano Visconti ont amplement contribué à exalter, jusqu’à nous faire tressaillir, ce souffle puissant d’absolue liberté à même d’emporter toute raison sur son passage.

Alexeï Tikhomirov (Massimiliano) et Ramon Vargas (Carlo). Photographie © Alain Hanel.

Dans cette mise en scène de Leo Muscato, l’archaïsme des motions psychiques se conjugue avec la profondeur du plateau où, de l’ombre et du brouillard dissimulant tous les fonds et les côtés de la scène (décors Federica Parolini, lumières d’Alessandro Verazzi) apparaissent des personnages hagards ou ensanglantés : un « monde en déliquescence » explique celui qui avait également signé un magnifique Nabucco en novembre 2016 sur le Rocher. Sa note d’intention se clôt cette fois-ci sur cette sombre pensée de l’essayiste d’origine calabraise Corrado Alvaro (1895-1956) : « le désespoir le plus grave qui puisse s’emparer d’une société est la sensation que vivre honnêtement pourrait être inutile ».

Nicola Alaimo (Francesco). Photographie © Alain Hanel.

Habitué de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo avec sa direction d’Ernani en 2014, Daniele Callegari nous offre un tempo plutôt sage en première partie mais nettement plus soutenu en seconde. Le prélude permet à Delphine Perrone de nous faire partager cette superbe envolée solitaire du violoncelle, si proche de cette inconsolable voix humaine. La conduite du plateau, surtout dans les moments polyphoniques dont d’inoubliables duos aux actes II, III et IV, est irréprochable.

Subtilement équilibrée, la distribution est un bonheur de tous les instants : chacun des protagonistes y brille dans son registre vocal tout en demeurant en harmonie de ton et de projection — et synchrone au millimètre près — avec les autres. Pouvait-il en être autrement avec le ténor Ramon Vargas, bouleversant comme il sait toujours l’être ? Son interprétation de Carlo, fils aîné du Comte Massimiliano et frère maudit, nous saisit d’entrée avec sa cavatine « Quando io leggo in Plutarco » suivie de son cantabile « O mio castel paterno » pour ne nous libérer de notre fascination qu’après l’ultime scène « Caduto è il reprobo ! » où il trucide sa bien-aimée. La garantie d’applaudissements réitérés.

I Masnadieri. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.

Au même niveau d’excellence et également rompu au public monégasque avec des registres aussi divers que Stiffelio en avril 2013ou le truculent Falstaff en 2015, ou bien encore son Comte de Luna d’un Il Trovatore en clôture de saison l’année passée, le baryton Nicola Alaimo campe avec toute la noirceur requise, le personnage de Francesco : outre son terrible affrontement mêlé de passion avec Amalia à la scène 1 de l’acte II « Io t’amo, Amalia », son « air du songe » au début de l’acte IV « Pareami che sorto da lauto convito » jusqu’à défier le Ciel et l’Enfer dans une exultation blasphématoire, lui vaut une légitime ovation. Entendu dans le rôle de Boris d’un Lady Macbeth de Mtsensk à Monte-Carlo en avril 2015, la basse Alexeï Tikhomirov incarne avec une rare authenticité vocale — incomparable noblesse de ses notes graves — Massimiliano, Comte Moor, témoin impuissant de cette désespérance humaine.

Lauréate en 2016 du Grand Prix Vincenzo Bellini à l’unanimité, la soprano Roberta Mantegna nous éblouit littéralement par sa ligne de chant dès sa cavatine de la scène 3 à l’acte I « Lo sguardo aveva degli angeli » : elle jongle avec une incroyable souplesse dans toutes ses vocalises notamment dans sa joie de savoir Carlo vivant au début de l’acte II « O caro accento ». Elle nous charme encore davantage par des aigus absolument limpides et éclatants. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle répète au même moment, entend-on dans les coulisses, le rôle de Gulnara du Il Corsaro pour Modène et Francfort.

I Masnadieri. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.

Le ténor Reinaldo Macias (Arminio et Spalanzani dans les récents Contes d’Hoffmann), le ténor Christophe Berry (Rolla et La Voix du temple dans le récent Hérodiade à Marseille) et le baryton-basse Mikhaïl Timochenko (Moser) complètent tout aussi intelligemment cette distribution pour une production admirable à tout point de vue.

Monaco, le 20 avril 2018
Jean-Luc Vannier

 

Jean-Luc Vannier, jlv@musicologie.org, ses derniers articles : Faust plus musical que vocal à l’opéra de Monte-CarloVictorien Vanoosten dirige magistralement Hérodiade à l’opéra de MarseilleJosé Cura, magnifique Peter Grimes à l’opéra de Monte-Carlo Il Barbiere di Siviglia en rêve de musique à l'opéra de MarseilleToutes les chroniques de Jean-Luc Vannier.

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bouquetin

Samedi 21 Avril, 2018 3:05