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Monaco, 22 avril 2017, Jean-Luc Vannier

Il Trovatore de Daniel Harding et de Francisco Negrin clôt brillamment la saison lyrique à l'opéra de Monte-Carlo

Marina Proudenskaja (Azucena). Photographie © Alain Hanel.

Une fascinante et obscure beauté scénique doublée d'une rare densité dramaturgique. Nous ne serons pas avares d'éloges pour décrire la première, vendredi 21 avril à l'opéra de Monte-Carlo, du Il Trovatore de Giuseppe Verdi. Dans cette coproduction monégasque avec le Théâtre Real de Madrid, la mise en scène galvanise sans le spolier ce dramma en quatre parties tiré du livret de Salvatore Cammarano complété par Leone Emmanuele Bardare. La note d'intention de Francisco Negrin, aussi brève qu'éclairante, nous plonge dans les méandres de la psyché humaine, pétrie de souvenirs traumatiques, sources d'un « agir » inconscient : « histoire de fantômes…spectres de notre besoin de vengeance… Il Trovatore c'est le poids du passé, de ce passé qui nous hante, ce passé qui détruit toute possibilité de présent, de futur ou d'amour ».  Et de préciser : « Les erreurs que nous commettons en refusant de vivre notre présent librement se répètent comme les refrains des ballades des trouvères ». Quelle meilleure illustration de la compulsion de répétition, fût-elle transgénérationnelle comme l'ultime scène de cette œuvre ! La froideur des façades marbrées et trouées de cavités morbides d'où surgissent les hommes transformés en revenants par les effrayantes guenilles de Louis Désiré, les lumières faibles et blafardes de Bruno Poet trahies par les seules flammes, brûlantes réminiscences qui dévorent le cœur des personnages, contribuent à densifier, avec force intelligence et sans jamais faiblir, toute l'atmosphère de la pièce. L'omniprésence, angoissante, de l'enfant calciné et de la mère d'Azucena, apparitions hallucinatoires, ajoute à la morbidité psychotique ambiante. Magnifique.

Nicola Alaimo (Le Comte de Luna) et Francesco Meli (Le Trouvère). Photographie © Alain Hanel.

Nous avions entendu au Staatsoper de Berlin en mai 2013 un sublime Fliegende Holländer dirigé par Daniel Harding et avions déjà admiré sa magistrale direction. Le maestro britannique est ovationné à son entrée dans la fosse de la salle Garnier par les musiciens de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo dont l'un d'entre eux nous dira : « travailler avec lui fut un régal ! » L'ancien assistant de Sir Simon Rattle nous séduit par la pointe acérée de ses attaques, mais aussi par la rondeur des mesures plus mélodiques, maniant la baguette comme l'escrimeur une fine lame. L'exigeante direction du plateau n'a toutefois pas empêché deux petits contretemps avec les chœurs de l'opéra de Monte-Carlo (Stefano Visconti), pourtant superbes dans l'air « Chi del gitano i giorni abbella ? ».

Nicola Alaimo (Le Comte de Luna), Francesco Meli (Le Trouvère) et Maria Agresta (Leonora). Photographie © Alain Hanel.

Les voix masculines et féminines sont, à quelques nuances près, du meilleur effet. Dans le rôle-titre, le ténor Francesco Meli, nonobstant une petite faiblesse à la fin du second tableau de la troisième partie sur son « di quella pira », nous subjugue par une ligne de chant impeccable : puissance impressionnante de l'émission, chaleur envoûtante du timbre, aigus qui conservent cette troublante expressivité humaine et médiums retenus avec une rare aisance. Légitime ovation à l'issue. Verdien s'il en est après l'avoir entendu et longuement applaudi dans le rôle de Sankar d'un Stiffelio monégasque puis dans celui de Falstaff à l'opéra de Marseille, le baryton Nicola Alaimo obtient le même et franc succès, en particulier dans un inoubliable et bouleversant « Ardita, e qual furente amore… il tempesta del mio cor » qui lui vaut également une ovation des plus enthousiastes de la salle. Mentionnée en décembre 2015 par notre confrère dans Norma  au TCE, la soprano Maria Agresta nous déçoit dans son interprétation de Leonora : malgré de très beaux accents dramatiques dans les médiums et un timbre des plus charmants, ses vocalises manquent un peu de souplesse et ses aigus demeurent constamment voilés. Au point, hélas, de  parasiter son grand air « D'amor sull'ali rosee » au premier tableau de la quatrième partie. Très belle prestation vocale en revanche, malgré une inévitable tendance au chuintement de son italien, de la mezzo-soprano russe Marina Proudenskaja dans le personnage d'Azucena. Son « Stride la vampa! » à la scène 1 de l'acte II mais aussi son duo avec Manrico au dernier acte attestent d'une tessiture dont l'étendue et la stabilité aussi bien dans les médiums que dans les notes élevées, répondent aux imposantes contraintes du rôle. Le magnifique duo final avec Manrico « Ai nostri monti ritorneremo » rappelle étrangement, ne serait-ce que par les paroles d'espoir, la scène finale de La Traviata (création le 6 mars 1853) élaborée en même temps que Il Trovatore (création le 19 janvier 1853).

Francesco Meli (Le Trouvère), Maria Agresta (Leonora) et Nicola Alaimo (Le Comte de Luna). Photographie © Alain Hanel.

Dans ce registre des interférences inconscientes, nous relevons aussi d'énigmatiques similitudes entre le « D'amor sull'ali rosee » et les dernières mesures du « Regnava nel silenzio... Quando rapito in estasi » du Lucia di Lammermoor de Donizetti (création le 26 septembre 1835). Les deux ultimes trios entre Azucena, Manrico, Leonora puis celui joignant Manrico, Leonora et Le Comte de Luna sont d'une éblouissante — et très émouvante — somptuosité. La basse José Antonio Garcia (Ferrando), la mezzo-soprano Karine Ohanyan (Inès), le ténor Christophe Berry (Ruiz), le ténor Gianni Cossu (un messager), Sophie Garagnon (la mère d'Azucena) ainsi que les figurants adultes (Julien Faure, Guillaume Gallo, Pietro Lattanzio, Kevin Pastore et Yoann Piazza) et enfants (Francesco Conem Hemsi, Leonardo de Marzio, Soa Fierard, Esteban Gallo, Lorenzo Larini et Maxime Stoian) contribuent  au très estimable succès de cette soirée.

Il Trovatore. Photographie © Alain Hanel.

Monaco, le 22 avril 2017
Jean-Luc Vannier
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