Vitalij Kowaljow (Zaccaria). Photographie © Alain Hanel.
Œuvre dite « de jeunesse » pour les uns, composition qui le sauva du suicide après le décès de ses deux enfants et de son épouse pour les autres, livret « inchantable » pour le registre de la soprano en raison d'une tessiture des plus étendues et de vocalises jonglant avec de brusques sauts d'octave, édifice lyrique centré sur les chœurs avec, pour inévitable conséquence, un certain statisme de la mise en scène, Nabucco de Giuseppe Verdi demeure un défi à bien des égards. Bien loin des succès tardifs du compositeur dont l'établissement dirigé par Jean-Louis Grinda nous régale années après années : un Falstaff des plus colorés entre Monaco et Marseille, une inoubliable fin de saison lyrique en 2013 avec Stiffelio et une Traviata littéralement transcendée par Désirée Rancatore en février 2013.
Leo Nucci (Nabucco). Photographie © AlainHanel.
Un défi que l'opéra de Monte-Carlo, dans une production du Teatro Lirico de Cagliari, a courageusement décidé de relever dimanche 13 novembre dans le cadre de la Fête nationale monégasque. Derrière le sujet biblique — la lutte des Hébreux contre les Babyloniens — le public italien reconnut, lors de sa création à Milan le 9 mars 1842, une critique de l'occupation autrichienne en Italie du Nord et se saisit comme d'un hymne revendicateur, du morceau sans doute le plus allégorique du livret rédigé d'après le drame Nabuchodonosor d'Anicet-Bourgeois et Francis Cornu : « Va, pensiero ».
Classique à en frôler l'archaïsme, la mise en scène de Leo Muscato imite des scènes directement issues du péplum de Cecil B. DeMille de 1956 « Les Dix Commandements » notamment à la fin de la seconde partie dans le duel entre le Grand Prêtre Zaccaria et le roi Nabuchodonosor. Elle puise aussi son inspiration dans la sordide réalité des exécutions d'otages par Daesh lorsque les Hébreux condamnés à mort s'avancent en rang pour être égorgés. Dans la seconde scène de la première partie, Ismaele et Fenena se retrouvent bien seuls sur cet immense espace du Grimaldi Forum.
Leo Nucci (Nabucco) et Anna Pirozzi (Abigaille). Photographie © Alain Hanel.
La direction musicale de Giuseppe Finzi suscite nombre d'interrogations : l'ouverture peine à convaincre car son rythme n'est pas suffisamment soutenu. Par surcroît, et toujours dans cette ouverture, l'ancien élève de Riccardo Muti interprète la mélodie des esclaves avec une déconcertante nonchalance. Au point d'en faire un air presque guilleret dans une indication aux musiciens de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo renforcée par sa gestuelle dansante sur son pupitre. Les yeux rivés sur sa partition, Giuseppe Finzi délaisse généralement la conduite du plateau, sauf pour les chœurs : ce qui n'empêche pas ces derniers de courir après la fosse dans la deuxième partie au moment où le Grand Prêtre de Baal et ses hommes apportent leur soutien à Abigaille dans sa prise du pouvoir. Le « Va, pensiero » de la troisième partie est certes magnifiquement conduit et suscite après une légitime ovation par le public un « bis » par les chœurs de l'opéra de Monte-Carlo. Une seconde version qui sera d'ailleurs étonnamment différente de la première : plus affirmée vocalement, plus tonique dans le rythme et musicalement plus colorée.
Béatrice Uria Monzon (Fenena) et Gaston Rivero (Ismaele). Photographie © Alain Hanel.
Acclamé pour son Tonio dans Pagliacci en février 2015 sur le Rocher , le baryton Leo Nucci nous « scotche » littéralement par sa prestation dans le rôle-titre. À 74 ans, ce Bolognais qui, selon sa biographie, a « chanté plus de 450 fois le rôle de Rigoletto », ne s'en laisse pas compter. Qu'il incarne le chef victorieux à la tête de son armée en première partie où il ordonne le saccage du temple « Mio furor, non più costretto », qu'il défaille après avoir reçu la foudre divine « Chi mi toglie il regio scettro? », qu'il implore le pardon de sa fille Abigaille « Deh perdona, deh perdona » ou bien qu'il lance sa célèbre prière à Yahvé « Dio di Giuda!... l'ara, il tempio » dans la quatrième partie — ce qui lui vaut une salve d'applaudissements enthousiastes à l'issue — Leo Nucci fait preuve d'une technique à toute épreuve dans sa ligne de chant : nourrie de forte puissants et stables, dotée d'un timbre à la sonorité étonnamment majestueuse, sa voix sait aussi émouvoir, preuve de son incarnation et de son humanité.
Nabucco (choeurs de l'Opéra de Monte-Carlo). Photographie © Alain-Hanel.
La soprano Anna Pirozzi ne nous laissera pas, quant à elle, un souvenir impérissable dans le personnage d'Abigaille. Ses aigus — et ils sont légion dans cette partition — sont fragiles, rarement justes et le timbre dans leur pointe extrême souvent désagréable. Quant à l'expression annonciatrice de son « fatal courroux » (Su me stessa rovina, o fatal sdegno!) dans la deuxième partie où la voix chute brutalement dans les graves, la soprano nous sert un rengorgement des plus antipathiques. Coup de chapeau, en revanche, pour Vitalij Kowaljow dans le rôle du Grand Prêtre des Hébreux Zaccaria : remarqué dès son Wotan en 2010 au Festival de Pâques de Salzbourg, la basse ukraino-suisse ne lâche rien dans une composition exigeant à la fois du souffle, de la rigueur et de la stabilité dans la durée. Le tout sans omettre de nous subjuguer par un timbre et par une diction, tous deux dignes d'un prédicateur au mieux avec l'Ineffable. Nous serions heureux de le retrouver le plus vite possible sur la scène monégasque. Le ténor Gaston Rivero campe un très convaincant Ismaele avec de beaux accents lyriques tandis que la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon, entendue en Principauté dans La Navarraise en février 2012 puis en mai 2013 dans La Favorite, ne démérite non plus dans le personnage de Fenena. La basse José Antonio Garcia (le Grand Prêtre de Baal et Jorg dans le Stiffelio déjà cité), le ténor Maurizio Pace (Abdallo et l'Écuyer du Roi dans un Ernani monégasque, ainsi que la soprano Anna Nalbandiants que nous avons été ravi de retrouver dans cette production après l'avoir spécialement mentionnée au sein des jeunes et prometteuses voix lyriques de la Russie en octobre 2015, méritent aussi des félicitations. Tout comme doivent aussi l'être les nombreux figurants (Heathcliff Bonnet, Julien Faure, Guillaume Gallo Manrique, Dorothée Marro, Nicolas Payan, Sophie Payan, Stéphanie Thimonnier) et les figurants enfants (Flore Camau-François, Louis Capion, Andrea Cracchiolo, Leane Fourgon, Théo Orrado, Lola Orrado, Lilou Winona Radu).
Monaco, le 14 novembre 2016
Jean-Luc Vannier
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Dimanche 18 Août, 2024