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Monaco, 24 septembre 2017, par Jean-Luc Vannier ——

La soprano Julia Lozhevskaya, révélation de l'Académie lyrique de l'opéra de Monte-Carlo

Julia Lozhevskaya. Photographie © Alain-Hanel.

« Quoi de plus mystérieux, complexe et vital à la fois que d'enseigner les secrets du style ? Sans cette transmission, l'art lyrique et l'art tout court vont vers une uniformisation certaine et un appauvrissement mortifère ». C'est par cette réflexion que Jean-Louis Grinda, directeur de l'opéra de Monte-Carlo, présentait, samedi 23 septembre salle Garnier, le récital de clôture de l'Académie lyrique. Créée l'année passée dans le cadre de l'Année de la Russie en Principauté, cette académie permet de réunir de jeunes artistes lyriques du monde entier et de leur offrir, grâce à un enseignement rigoureux et bienveillant, une occasion « d'éveiller leur sensibilité à des styles qu'ils abordaient jusque-là sans en connaître les secrets d'interprétation ».

L'opéra de Monte-Carlo s'associait cette année encore avec la Fondation russe pour les initiatives socio-culturelles présidée par Svetlana Medvedeva. Laquelle avait fait le déplacement depuis Moscou. Le programme mentionnait en outre le soutien officiel de Vladimir Medinski, ministre de la Culture de la Fédération de Russie et les encouragements amicaux d'Alexandre Orlov, l'Ambassadeur  de la Fédération de Russie en France et en Principauté. Dix jeunes chanteurs issus des différentes écoles et conservatoires de la Russie offraient au public d'entendre un répertoire cette fois-ci exclusivement français : de nombreux airs de Faust de Charles Gounod, puis, après l'interprétation par Kira Parfeevets et David Zobel (les deux accompagnants au piano des artistes) d'une Valse brillante sur Faust pour piano à quatre mains signée Johann Friedrich Burgmüller (1810-1874), plusieurs arias de Carmen de Georges Bizet avant de terminer par deux extraits de Les Contes d'Hoffmann de Jacques Offenbach.

De jeunes voix en devenir, chacune possédant ses qualités propres — et quelques défauts aussi — mais dont un travail régulier permettra sans doute de confirmer l'agrément. Force est néanmoins de reconnaître que l'une d'entre elles a sans conteste dominé la soirée : la soprano Julia Lozhevskaya mérite en effet une mention particulière tant son talent pourrait la destiner rapidement à une grande carrière internationale. Dès son air « des bijoux », confirmé par son duo « Ô nuit d'amour », la jeune soprano de 26 ans montre l'étendue de ses capacités lyriques : voix très riche en nuances et d'une surprenante agilité qui sait jongler avec les intonations les plus variées. Faculté qui la rendrait presque immédiatement apte au répertoire italien. L'ancienne étudiante à l'Université pédagogique Herzen de Saint-Pétersbourg fait jaillir des aigus à la fois éclatants mais aussi très agréables en sonorité car suffisamment amples.  Son bref mais langoureux « l'amour… » lequel ponctue l'air de Toréador « Votre toast », achèverait le taureau sans coup férir. Nous la retrouvons avec plaisir dans le Trio des cartes de Carmen « Mêlons, coupons » en compagnie, parfaitement synchronisée, de Yulia Mennibaeva et de Maria Zaïkina.

Certes, pour être équitable — mais pouvons-nous l'être en matière d'affects ? — la valse de Juliette « Je veux vivre » chantée par la soprano Ksenia Nesterenko affiche également de très belles notes hautes quoi que parfois plus pincées. À la limite du métallique mais cela se travaille. Dans son air de Micaela « C'est des contrebandiers le refuge ordinaire » Maria Lupareva s'enferme trop, quant à elle, dans une ligne de chant monolithe, pâle, sans aucun ornement. Les deux mezzo-sopranos Yulia Mennibaeva et Maria Zaïkina s'en sortent mieux : la première ralentit néanmoins le tempo afin de parvenir à tenir le rythme soutenu dans l'air bohème « Les tringles des sistres tintaient » tandis que son chant souffre, là encore, d'une regrettable monochromie et ce, nonobstant d'indéniables efforts scéniques.  Les aigus de la seconde ont légèrement tendance à se voiler.

Nous manquerons sans doute d'indulgence mais nous regretterons la moindre qualité, surtout en comparaison de l'année passée, des voix masculines. Malgré un timbre chaleureux et des louables efforts d'interprétation, le ténor Aleksander Fedorov manque son « Ah, lève-toi soleil » par une pauvreté des nuances et surtout par des capacités de projection qui donnent le sentiment d'une voix essoufflée. Son collègue Aleksander Chernov pâtit, quant à lui, d'un vibrato nettement trop marqué — des techniques existent pour réduire cette très désagréable amplitude — dans son air de Don José « La fleur que tu m'avais jetée » : il ne saisit pas en outre l'esprit intimiste de cette douloureuse plainte adressée à Carmen et la transforme en une compétition de chant. C'est d'ailleurs l'un des travers récurrents pour les voix masculines entendues hier : forçage vocal à l'image d'un exercice physique contraint, exagéré, de musculature. Avec, pour conséquence, une structure phonique massive et verrouillée : Vasily Mikhutin en devient inaudible dans l'air de Valentin « Avant de quitter ces lieux ». L'air du Toréador réussit un peu mieux au baryton-basse Vasiliev Viacheslav : timbre majestueux, aigus plus justes mais notes basses trop rentrées. La basse Georgy Kremnev, quant à lui, ne projette pas suffisamment ses notes dans sa seule apparition du quatuor extrait de Faust « Seigneur Dieu, que vois-je ? ».

Jean-Louis Grinda nous le rappelait : « L'opéra de Monte-Carlo est un lieu où le soin porté au détail n'est pas une vaine prétention mais une réalité ». Gageons que les critiques constructives, égrenées ici ou là, sauront profiter à ces futurs artistes lyriques dont nous suivrons attentivement les prestations à venir. Deux élèves de la promotion 2015, Aleksander Bezroukov et Anna Nalbandiants ont d'ailleurs été invités en tant que solistes : le premier dans le Joueur de Prokofiev en mars 2016 et la seconde, dans le Nabucco en novembre de la même année. Tous les espoirs sont donc permis.

Monaco, le 24 septembre 2017
Jean-Luc Vannier
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