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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. V. La musique instrumentale au temps de Mozart et de Haydn : Autriche.

La musique de chambre de Joseph Haydn

La musique symphonique ; la musique de chambre ; la musique pour clavier ; la musique concertante.

L'œuvre de chambre de Haydn est si considérable qu'on se sent impuissant à en rendre compte dans un espace nécessairement restreint, alors même que cette production renferme une bonne part de ses plus hautes réalisations. Qu'on veuille bien en conséquence nous pardonner d'aller un peu trop à l'essentiel dans la revue à suivre. Nous y donnerons naturellement la priorité à deux genres que le musicien a merveilleusement servis alors qu'ils en étaient encore au premier stade de leur développement : le Trio avec clavier et le Quatuor à cordes.

Index : Trios avec clavier (1-17 ; 18-23 ; 24-27 ; 28-30 ; 31-34 ; 35-40 ; 41-45). Quatuors à cordes (« à Fürnberg ; opus 9  ; opus 17 ; opus 20 ; opus 33 ; opus 42 ; opus 50 ; opus 54-55 ; opus 64 ; opus 71-74 ; opus 76  ; opus 77 et 133. Les sept dernières paroles du Christ. Autres : œuvres avec baryton (duos et trios ; quintette et octuors). Duos et trios à cordes. Trios avec instruments à vent. Divertimenti.

Trios avec clavier 

L'inventaire musicologique le plus récent, dû à H.C. Robbins Landon, en dénombre quarante-cinq, dont quelques-uns n'y figurent que pour mémoire, soit que les partitions complètes aient été perdues (Nos 8 et 9), soit qu'il s'agisse de transcriptions, dues à Haydn lui-même ou à des tiers, d'œuvres relevant d'autres genres (Nos 3, 4, 15 et 16). Finalement, c'est donc un catalogue de trente-neuf trios qui nous est proposé, lequel se divise approximativement en trois tiers : un premier relève des années 1750 et 1760, le second d'une période allant de 1784 à 1790 et le troisième des années 1793 à 1797.

Avec ces œuvres, Haydn pose les vrais premiers jalons d'un genre — celui du trio pour violon, violoncelle et piano — promis au plus brillant avenir. Certes, ses trios restent quelque peu tournés vers le passé puisqu'il s'agit essentiellement d'œuvres pour clavier solo, violon solo et accompagnement de violoncelle, ce qui explique qu'ils soient relativement peu fréquentés par les interprètes. Il faut le regretter car, sur le plan musical, ils atteignent assez souvent les mêmes hauteurs que les quatuors du musicien viennois. « Ils jouent, chez Haydn compositeur pour clavier, un peu le même rôle que chez Mozart les concertos. Ils nous offrent, non seulement sa musique de « piano » la plus avancée, mais aussi — en grande quantité  ses confidences les plus intimes, et plusieurs de ses conceptions formelles et tonales les plus audacieuses et les plus insolites. »40

Trios nos 1 à 17

Dans la classification Landon, les onze trios de jeunesse occupent une plage allant du no 1 au no 17 puisque, on l'a vu, il faut retrancher de la série les nos 3, 4, 8, 9, 15 et 16. Presque tous articulés en trois mouvements, dont un menuet médian ou conclusif, ce  sont déjà « des pages ambitieuses et savantes ne se limitant pas à des tonalités simples … On y trouve parfois d'assez nets relents de basse chiffrée, mais la partie de clavier domine évidemment et, par ses structures et son expression, cette musique est à la pointe de la modernité de l'époque. »41  Sur ce plan, le Trio no 5 en sol mineur (Hob XV : 1) mérite d'être mis en exergue, mais, au même titre que les sonates composées par Haydn à ses débuts, ces trios des années 1750-1760 comportent bien des pages qui  valent un petit détour.

Joseph Haydn, Trio no 5 en sol mineur, Hob XV : 1, par le Van Swieten Trio.

Trios nos 18 à 23

Ces six trios, qui se suivent dans le même ordre (Hob XV : 5 à 10) dans la classification Hoboken, appartiennent à la haute maturité du compositeur. Ils nous transportent en effet sans transition aux années 1784 et 1785, époque où, à Vienne notamment, le trio avec clavier connaissait une vogue telle que Haydn s'empressa de répondre à la demande des éditeurs et des amateurs. A l'exception du no 18 en sol majeur et du no 20 en majeur, ils se contentent de deux mouvements, ce qui ne traduit pas nécessairement un manque d'ambition. On le verra surtout, et avec quel éclat, dans le no 23 en mi♭ majeur (Hob XV : 10), un trio débordant d'énergie, aux vastes dimensions, qui frappe par ses audaces et par l'incroyable esprit d'aventure de son second mouvement, véritable aubaine pour les esprits férus d'analyse. C'est à l'évidence le fleuron de cette série où deux autres œuvres se distinguent aussi par quelques traits particulièrement originaux : le no 20 en majeur (XV : 7), dont le rondo final comporte un épisode harmoniquement si audacieux que l'auditeur, même prévenu, ne peut que sursauter face à cette apparente incongruité ; et le no 22 en la majeur (Hob XV : 9), pour son Adagio initial, page « d'un beau lyrisme intime, [où] le violoncelle manifeste son indépendance par rapport à la main gauche du pianiste, et souvent le violon et le violoncelle jouent en duo tandis que le piano se tait ou accompagne. »42