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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. V. La musique instrumentale au temps de Mozart et de Haydn : Autriche.

La musique symphonique de Joseph Haydn

La musique symphonique ; la musique de chambre ; la musique pour clavier ; la musique concertante.

Nous abordons ici l'autre grand titre de gloire du musicien : son immense corpus de symphonies, un genre auquel il se consacra avec zèle et de façon presque continue pendant près de quarante ans. Toutefois, avant de parcourir ce catalogue de cent quatre symphonies (voire cent six en y incluant les deux œuvres de jeunesse désignées comme symphonies « A » et « B »), nous aurons à cœur d'évoquer quelques œuvres périphériques qu'il serait coupable de négliger.

Au tout premier rang, les légendaires Sept dernières paroles du Christ dans leur version originale pour orchestre de 1786-1787. Une œuvre d'un dépouillement confinant à l'ascèse où, dans une succession de sept mouvements lents, entre une ouverture grave et solennelle et un bref finale Presto con tutta la forza évoquant le tremblement de terre rapporté dans la Passion selon Saint Matthieu, Haydn parvient non seulement à soutenir la méditation, mais aussi, avec une maîtrise confondante, à éviter toute uniformité.

Les Sept dernières paroles du Christ, ouverture, par Le Concert des Nations, sous la direction de Jordi Savall.

D'un tout autre esprit, puisque relevant de la danse, mais avec une vraie dimension symphonique, les vingt-quatre menuets (Hob IX : 16) valent le détour. Ils datent des années 1796 et 1797 et on y trouve des échos de symphonies antérieures. Charme, bonne humeur et allégresse sont évidemment au rendez-vous, mais « ce sont des pages de haute maturité, à l'orchestration somptueuse, d'un niveau qu'on ne retrouve que dans les plus belles séries de danses de Mozart. [Particularité à souligner :] dans aucune autre œuvre d'orchestre, Haydn n'utilisa les clarinettes comme ici, le trio du 13e allant jusqu'à annoncer le Pâtre sur le rocher de Schubert. »92   Et, dans le même genre, mentionnons aussi les 12 menuets et 12 allemandes Hob IX : 11 et 12 de 1792, dits « Danses pour la salle de la Redoute ».

Enfin, outre quelques ouvertures d'opéras se prètant à une exécution de concert (parfois reprises d'ailleurs par Haydn dans ses symphonies), on se doit de ne pas oublier ce vrai petit bijou que constituent les six Scherzandos(Hob II : 33 à 38). Remontant semble-t-il  à 1761, « c'est une série de brefs divertissements ou de mini-symphonies de coupe identique : un allegro-ouverture, un menuet avec son trio où la flûte tient un rôle concertant permettant au soliste de briller en toute jouissance, un adagio ou un andante où flotte une sorte de rêveuse et grave tendresse, le tout s'achevant par un presto expéditif d'une étincelante prestesse… rupture en forme de pirouette. D'une merveilleuse concision dans sa diversité, cette musique, d'une écriture inventive en diable, est un véritable carnet de croquis explorant les pistes conduisant à la symphonie classique. C'est aussi la musique d'un cœur explosant de jeunesse. »93

Symphonies nos 1 à 40

Dans la numérotation qui sert de référence pour les symphonies de Haydn, et qui parfois prend des libertés avec la chronologie, les quarante premières (auxquelles on ajoutera les symphonies « A » et « B ») correspondent pratiquement à ce que le musicien écrivit jusqu'en 1765, dont une bonne quinzaine d'œuvres composées pour le comte Morzin à la fin des années 1750. Seules quatre de ces symphonies sont plus tardives : ce sont les 26e, 35e, 38e et 39e, que l'on date des années 1767-1768.

Dans cette production, du moins dans les quinze à vingt toutes premières « tentatives » du musicien dans le genre, on a affaire à des œuvres brèves et un peu conventionnelles, vouées bien entendu au pur divertissement. Mais cette musique simplement agréable laisse d'autant moins indifférent qu'elle se signale déjà par de belles inspirations, comme la fugue finale de la no 3 en sol, le très bel Andante de la no 4 en ou le mystérieux Adagio introductif de la no 15 en , ou par un éclat inattendu lorsque le jeune Haydn convoque trompettes et timbales, comme c'est le cas dans les trois symphonies en ut nos 20, 32 et 33.

Dans la vingtaine de symphonies qu'il composa durant ses cinq premières années à Esterhazy, le musicien allait pousser plus loin ses expérimentations et fixer le cadre qui devait prédominer dans la symphonie classique : un premier mouvement rapide (éventuellement assorti d'une introduction lente), deuxième mouvement lent, troisième mouvement dansant (menuet), puis quatrième mouvement rapide. Parallèlement, il sut mettre à profit la présence à ses côtés d'instrumentistes virtuoses qu'il n'hésita pas à mettre en valeur comme solistes. Une des plus belles illustrations en est donnée dans la fameuse trilogie des symphonies no 6 en « Le Matin », no 7 en ut « Le Midi » et no 8 en sol « Le Soir » qui constitue son premier coup de maître dans le genre. Ce sont « de magistrales œuvres de transition, entre le concerto grosso baroque et la symphonie moderne telle que Haydn en deviendra le grand accoucheur. En fait, de véritables symphonies concertantes qui paraissent conter des dialogues et anecdotes drolatiques, évoquer tour à tour toutes les atmosphères de ces heures de la journée, avec un œil sur Vivaldi et l'autre sur la pastorale, si l'on peut se permettre ce raccourci, peu rigoureux mais évocateur. »94 D'autres symphonies de cette période comportent carrément un mouvement pour soliste et orchestre, comme les mouvements lents de la no 13 en (superbe Adagio cantabile dévolu au violoncelle) ou de la no 24 en (avec flûte solo).

Joseph Haydn, symphonie no 6 en majeur « Le Matin » (I. Adagio - Allegro) par le Freiburger Barockorchester

Joseph Haydn, symphonie no 7 en ut majeur « Le Midi » (I. Allegro) par le Czech Sinfonietta, sous la direction de Radek Baborak.


Très tôt, grosso modo à partir de la symphonie no 21 en la, ces œuvres montrent à quel point Haydn s'était élevé déjà au-dessus de ses contemporains. La no 22 en mi♭, « Le philosophe », en est un parfait exemple : ainsi nommée pour l'atmosphère de sagesse et d'éternité de son premier mouvement, elle se signale par plusieurs traits singuliers (schéma formel de sonate d'église, utilisation d'un thème de choral, remplacement des hautbois par des cors anglais) et son Adagio initial « intègre à merveille l'esprit du choral (énoncé dès les premières mesures par les instruments à vent) et celui de la forme sonate. »95  Surtout, « la synthèse typiquement haydnienne du savant et du populaire, voire du plébéien, se manifeste déjà fortement, en particulier dans les symphonies nos 28 et 29, ce qui, vers 1770, devait valoir à ces œuvres et à leur auteur de violentes attaques de la part de critiques d'Allemagne du Nord, où l'on avait, de la musique, une conception beaucoup plus « sacrée » qu'en Autriche, et où, par exemple, on estimait volontiers que le menuet était quelque chose d'avilissant au sein d'une symphonie ! »96 Autre signe de l'éclectisme dont Haydn fit preuve dans ses expérimentations de l'époque : les finale fugués des symphonies no 13 en et no 40 en fa.

Joseph Haydn, symphonie no 22 en mi♭majeur « Le Philosophe »: I. Adagio, II. Presto, III. Menuet - Trio, IV. Finale: Presto.


Joseph Haydn, symphonie no 28 en la majeur par The Academy of Ancient Music, sous la direction de Christopher Hogwood.

Joseph Haydn, symphonie no 40 en fa majeur (IV. Finale - fugue).


Parmi les autres œuvres marquantes de notre jeune symphoniste, citons au moins la symphonie no 30 en ut, « Alleluia », ainsi nommée à cause de la mélodie grégorienne utilisée dans son premier mouvement ; la no 31 en « Appel de cors », une œuvre aussi remarquable que singulière qui « forme avec la no 72, de 1763, un couple de symphonies évoquant la chasse (fanfares de quatre cors) et rénovant l'esprit à la fois du concerto grosso (instruments solistes) et du divertimento (finale à variations) »97 ; la no 39 en sol mineur, une des plus tardives de notre série, peu fréquentée et pourtant remarquable, qui cultive, sous une douceur trompeuse, des atmosphères fortement contrastées ; enfin et surtout, toujours parmi les plus tardives, la célèbre no 26 en mineur, « Les Lamentations », où le compositeur, utilisant, comme modèle la musique d'un drame de la Passion remontant au Moyen-Âge, nous donne une œuvre d'une grande intensité dramatique.

Joseph Haydn, sSymphonie no 31 en majeur « Appel de cors » par The Academy of Ancient Music, sous la direction de Christopher Hogwood.
Joseph Haydn, Symphonie no 39 en sol mineur (IV. Finale - Allegro molto).
Joseph Haydn, symphonie no 26 en mineur, « Les Lamentations » par La Petite Bande, sous la direction de Sigiswald Kuijken.

Symphonies nos 41 à 60

Hormis la no 53, « L'Impériale », qui est  postérieure de quelques années, ces vingt symphonies remontent aux années 1766 à 1774. Elles se rattachent donc peu ou prou à la période Sturm und Drang de Haydn, celle où il adopta souvent un style passionné caractérisé par de fréquents recours au mode mineur, par des contrastes d'écriture parfois violents et, ceci allant de pair, par une volonté d'expression quasi-théâtrale. Certaines des symphonies qu'il composa à cette époque comptent parmi ses plus grandes et plus populaires. Dans les vingt qui nous intéressent ici, cinq se détachent tout particulièrement : la no 44 en mi mineur, « Funèbre », la no 45 en fa♯ mineur « Les adieux », la no 48 en ut majeur, « Marie-Thérèse », la no 49 en fa mineur, « la Passion » et la no 56 en ut majeur.

On prétend que le titre de « funèbre » attribué à la no 44  viendrait (chose rare) de Haydn lui-même ; il aurait en effet émis le vœu de faire jouer son mouvement lent pour ses propres obsèques. Il n'en fut rien, mais il reste que « ce titre convient admirablement à l'ouvrage — un des plus beaux specimens du style Sturm und Drang, chef-d'œuvre tant sur le plan des détails que dans la conception d'ensemble. »98 On admire évidemment le lyrisme sobre du long Adagio qui vient ici en troisième position, mais on ne peut qu'être saisi par le climat de tension qui habite les trois autres mouvements, tension presque violente dans l'Allegro con brio initial, inquiète dans le Menuetto, et quasi-physique dans le Presto final, « page obstinément monothématique, [où] le motif de sept notes entendu au début, énoncé deux fois par les cordes à l'unisson, ne disparaît pour ainsi dire jamais — ce qui contribue à faire de ce finale le mouvement où la tension atteint son point culminant. »98

Joseph Haydn, symphonie no 44 en mi mineur « Funèbre », (I. Allegro con brio) par le Norwegian Chamber Orchestra, sous la direction de François Leleux.
Joseph Haydn, symphonie no 44 en mi mineur « Funèbre », (IV. Presto) par la Capella Istropolitana, sous la direction de Barry Wordsworth

La plus célèbre du lot, la no 45, doit pour partie sa renommée aux circonstances de sa composition qui lui ont valu son titre « Les adieux ». À travers une astuce de composition, doublée d'une « mise en scène » appropriée, Haydn voulut manifester le mécontentement de ses musiciens qui, alors que la saison s'éternisait en cette année 1772, s'étaient vu interdire par le prince toute nouvelle visite de leurs épouses et enfants à Esterhaza. Voyant monter la révolte, notre musicien eut l'idée de symboliser le courant de démissions que ce diktat risquait de provoquer : « Il composa une symphonie dans le dernier mouvement de laquelle les musiciens devaient quitter successivement leur pupitre jusqu'à ne plus rester que deux. L'impression de nostalgie était accentuée au soir de la première audition par le fait que les exécutants devaient éteindre leur bougie en abandonnant leur pupitre. »99

Heureusement pour Haydn, le prince comprit la plaisanterie, et sut  se montrer bon prince puisqu'il envoya tout le monde en vacances. Voilà pour l'histoire, qui a son importance ici, mais, même sans elle, cette symphonie, dont Marc Vignal souligne que, des quelque quinze mille symphonies écrites au XVIIIe siècle, elle est la seule en fa♯mineur, aurait droit à tous les égards, car c'est l'une des plus riches et des plus belles écrites par notre musicien.

Joseph Haydn, symphonie no 45 en fa♯ mineur « Les Adieux » (IV. Finale, Presto-Adagio) par le Wiener Philharmoniker, sous la dirction de Daniel Barenboim, concert du Nouvel An 2009.

« Impériale et royale », comme son sous-titre « Marie Thérèse » le laisse supposer, la no 48, qui passe pour avoir été jouée lors de l'unique visite de l'impératrice à Esterhaza en septembre 1773, est avant tout une œuvre brillante, festive et pleine d'élan. Elle fait appel aux cors alto et aux timbales qui lui conférent un éclat singulier. Outre un premier mouvement plein de panache, on y retient en particulier le splendide menuet et l'étonnant allegro final, une sorte de mouvement perpétuel qui conclut l'œuvre dans un emportement roboratif.

Joseph Haydn, symphonie no 48 en ut majeur « Marie-Thérèse » (III. Menuetto : Allegretto), par la par Capella Istropolitana, sous la direction de Barry Wordsworth.

En fa mineur, la no 49, « La Passion », au caractère sombre et pathétique, est de celles qui sont le plus fortement marquées de l'esprit du Sturm und Drang. L'Adagio initial est mystérieux et agité de sursauts ; suit un Allegro di molto ténébreux, parsemé de brusques ruptures de ton ; « le Menuet est désespéré, et seul le trio, en fa majeur, introduit brièvement dans la symphonie un rayon de lumière — d'autant que hautbois et cors y jouent un rôle prépondérant ; dans le finale Presto, fondé sur un bref motif rythmico-mélodique, la tension ne se relâche en rien. »100

Joseph Haydn, symphonie no 49 en fa mineur « La Passion » par l'Academy of St Martin in the Fields, sous la direction de Neville Marriner.

Sans sous-titre, ce qui ne l'empêche pas d'être reconnue parmi les grandes, la no 56 en ut majeur est une œuvre monumentale, voire spectaculaire, avec ses trompettes et timbales et ses « sonorités barbares » évoquées par Robbins Landon. Elle « porte l'éclat d'ut majeur à un degré auparavant insoupçonné. »101

En vérité, de la puissante no 41 en ut à la no 60 sous-titrée « Le distrait », la plupart de ces vingt symphonies méritent de figurer au tableau d'honneur. Ainsi de l'imposante no 42 en et de la no 43 en mi♭, « Mercure » qui ouvrent véritablement le bal des grandes symphonies des années Sturm und Drang. Ainsi également de la no 46 en si, aussi riche et raffinée qu'originale (cf. les nombreuses surprises réservées par son finale…), et de la no 47 en sol, une des plus lumineuses de Haydn, dont les jeux de timbres et de contrastes semblent bien avoir impressionné Mozart puisqu'on en retrouvera des échos dans ses concertos pour piano. Autres œuvres marquantes de la période Sturm und Drang : les superbes no 51 en si♭ et no 52 en ut mineur, la première nommée avec un  mouvement lent qui reste tout spécialement dans la mémoire par les prouesses auxquelles s'y livrent les cors ; la no 54 en sol, très richement orchestrée avec trompettes et timbales, et dotée d'un mouvement lent d'une ampleur exceptionnelle dans lequel Marc Vignal a pu voir le nec plus ultra du Sturm und Drang ; la no 55 en mi♭, « Le maître d'école », concise, élégante, humoristique et fort séduisante ; la no 57 en , subtile et d'esprit populaire, avec en plus un adagio où le musicien atteint des sommets d'inventivité motivique à partir d'un thème « de trois fois rien » ; et bien sûr la no 60 en ut « Le distrait », une œuvre en six mouvements que Haydn conçut au départ comme musique de scène pour une pièce du Français Jean-François Regnard et qui, notamment dans les deux derniers, abonde en surprises et tournures incongrues, comme cet arrêt soudain auquel les instrumentistes procèdent en plein finale afin… de se réaccorder.

Joseph Haydn, symphonie no 52 en ut mineur, par La Petite Bande, sous la direction de Sigiswald Kuijken.

Enfin, plus tardive mais elle aussi justement réputée, citons la no 53 en dite (sans que l'on sache trop pourquoi) « L'Impériale ». Dotée d'une introduction lente, elle eut une genèse passablement compliquée et continue de mettre les interprètes dans l'embarras puisque (rare singularité !) elle leur offre le choix entre trois finales différents.

Symphonies nos 61 à 81

Cette nouvelle série nous fait entrer dans la période 1775-1784 (entre les années Sturm und Drang et celles où Haydn écrivit les fameuses Parisiennes), mais une fois encore, la numérotation des symphonies prend des libertés avec la chronologie. Aussi nous faut-il faire un « tiré à part » pour trois de ces œuvres : la no 72 en est presque contemporaine et comme une sœur jumelle de la célèbre no 31 « Appel de cors » dont elle reprend l'effectif de quatre cors virtuoses ; d'autre part, les nos 64 et 65, toutes deux en la majeur, datent de 1772-1773, ce qui ne les empêche pas d'être très différentes de caractère. Autant la 65e est éclatante et théâtrale, autant la 64e, sous-titrée « Tempora mutantur », est discrète et intime, et en même temps impétueuse et imprévisible. Ses particularités en font une des symphonies les plus précieuses de Haydn, notamment par la sensibilité à fleur de peau qui se dégage de son extraordinaire mouvement lent (largo), véritable centre de gravité émotionnel de l'œuvre.

Joseph Haydn, symphonie no 64 en la majeur « Tempora mutantur » par The Academy of Ancient Music, sous la direction de Christopher Hogwood.

Après une telle page, et plus généralement après la remarquable floraison des années 1766-1774, on a un peu l'impression, déjà ressentie à propos des quatuors et des sonates de la même époque, que la production symphonique de Haydn marque un recul qualitatif. Mais là aussi, on est en présence d'une évolution stylistique. « On a coutume d'appeler cette période celle du style galant . Ce qui est vrai, si par style galant on entend la séduction mélodique ou la variation ornementale. Mais ces traits de style, s'ils se multiplièrent chez Haydn (et Mozart) à partir de 1775, furent loin de le (de les) définir à eux seuls. Surtout, ils devaient plus tard, après de nouvelles synthèses, faire partie intégrante du classicisme viennois à son apogée. Les symphonies « parisiennes » et « londoniennes » de Haydn sont inconcevables sans celles de 1775-1784. »102

En fait, lesdites symphonies se révèlent le plus souvent non seulement extrêmement plaisantes, mais remarquablement subtiles à qui se livre à une écoute attentive, dispensant même de grandes joies aux auditeurs bien au fait de la langue musicale du temps. À un titre ou un autre, la plupart de ces œuvres mériteraient une plus grande considération. Ainsi, la no 61 en comporte un admirable mouvement lent utilisant un thème que Haydn reprendra plus tard dans les Sept Dernières Paroles du Christ . La no 62 en se distingue par de forts relents d'opéra, nous rappelant au passage que, dans ces années-là, le musicien se consacrait beaucoup au répertoire lyrique à Esterhaza . La no 63 en ut, baptisée « La Roxolane », a quant à elle été largement confectionnée à partir d'une musique de scène. La no 67 en fa est « une des plus originales du compositeur : mouvement initial très vif […], Adagio d'écriture extrêmement délicate et se terminant sur des sonorités spéciales (… avec le bois de l'archet), Menuetto donnant la parole dans son trio à un violoneux de village, Allegro final de coupe tripartite, avec en son centre un Adagio e cantabile qui n'est autre qu'une scène d'opéra sans paroles annonçant Cosi fan tutte. »103  La no 69 en ut « Laudon » , écrite en hommage à un maréchal autrichien, est une œuvre éclatante, avec un mouvement lent d'une ampleur exceptionnelle et d'une grande séduction. La no 70 en , une des plus grandes de la série, compte elle aussi parmi les plus originales de Haydn, avec notamment un deuxième et un quatrième mouvements qui sont d'éblouissants tours de force contrapuntiques. « Rarement Haydn, dans une symphonie, avait été aussi complexe en un espace de temps aussi réduit, et jamais il n'avait combiné à un tel degré le savant et le théâtral. »104  La no 73 en , connue sous le titre « La Chasse », est de celles qui s'ouvrent par une introduction lente, et son finale (avec trompettes et timbales) n'est autre que l'ouverture de l'opéra La fedeltà premiata composé peu de temps avant par Haydn. Puis, après la no 75 en , puissante et concentrée, viennent deux belles séries de trois symphonies écrites dans les années 1782-1784, dont les deux dernières (no 80 en mineur et no 81 en sol) annoncent nettement les six « parisiennes » qui allaient suivre. Parmi ces six œuvres, on aura des égards tout particuliers pour la no 77 en si♭, « synthèse remarquable d'élégance et d'esprit populaire. Haydn avait rarement fait bénéficier à un tel degré son génie de symphoniste de l'expérience acquise dans le domaine de l'opéra bouffe, et la simplicité de surface, dans cette 77e symphonie, va de pair avec la science la plus élaborée. »105

Joseph Haydn, symphonie no 67 en fa majeur par L'Estro Armonico, sous la direction de Derek Solomons.
Joseph Haydn, symphonie no 70 en majeur par la Philharmonia Hungarica, sous la direction d'Antal Dorati.
Joseph Haydn, symphonie no 77 en si♭majeur par The Academy of Ancient Music, sous la direction de Christopher Hogwood.

Symphonies nos 82 à 87

Ce sont là les fameuses six symphonies « parisiennes » que le musicien écrivit en 1785-1786, à un moment où son prince ne lui demandait plus de nouvelles compositions instrumentales et où, par conséquent, il était de plus en plus en plus tenté de se tourner vers le monde extérieur. Aussi peut-on imaginer qu'il accueillit avec faveur cette commande de six nouvelles symphonies qui lui fut adressée par l'intermédiaire du Chevalier de Saint-Georges, chef d'orchestre du Concert de la Loge Olympique. Six symphonies qui ouvrent l'impressionnante série de chefs-d'œuvre à venir jusqu'à la toute dernière des londoniennes, inaugurant de ce fait l'âge d'or de la symphonie classique. Cela n'échappa pas tout à fait aux contemporains, si l'on en juge par ce qu'écrivait Le Mercure de France à propos de ces symphonies « parisiennes » : « Chaque jour on sent mieux, et par conséquent on admire davantage, les productions de ce vaste génie qui dans chacun de ses morceaux sait si bien, d'un sujet unique, tirer des développements si riches et si variés ; bien différent de ces compositeurs stériles, qui passent continuellement d'une idée à l'autre, faute d'en savoir présenter une sous des formes variées, et entassent mécaniquement des effets, sans liaison et sans goût. » Un commentaire qu'on ne peut manquer de rapprocher de cette réflexion de Stendhal dans sa Vie de Haydn, montrant qu'il avait bien saisi la particularité de son génie : « Il commence par l'idée la plus insignifiante, mais peu à peu cette idée prend une physionomie, se renforce, croît, s'étend, et le nain devient géant à nos yeux étonnés. »

De ces « parisiennes », qui illustrent évidemment bien d'autres facettes de l'art de Haydn symphoniste, on connaît en général assez bien celles qui sont dotées de sous-titres : la no 82 en ut, « L'Ours », qui doit son surnom au thème initial de son puissant finale ; la no 83 en sol mineur « La Poule », dont la page la plus étonnante est sans doute son Andante, marqué par d'impressionnants contrastes d'intensité ; et surtout la no 85 en si♭, « La Reine », qui était paraît-il la préférée de Marie-Antoinette (on en retrouvera la partition sur son épinette, en prison…). « Par sa synthèse magistrale d'élégance et de vigueur, de savant et de populaire, la symphonie « La reine » illustre les fastes d'une époque tirant à sa fin — l'Ancien Régime —, sans oublier pour autant ceux qui, de ces fastes, se trouvaient plus ou moins exclus », indique Marc Vignal106  qui fait ici allusion au thème d'aspect populaire du dernier mouvement, et, au moins autant, à la chanson La gentille et jeune Lisette qui fournit le thème traité en variations dans la romance allegretto (deuxième mouvement).

Joseph Haydn, symphonie no 82 en ut majeur « L'Ours » (IV. Finale - Vivace), par l'orchestre national de Hongrie, sous la direction de Janos Ferencsik.
Joseph Haydn, symphonie no 83 en sol mineur « La Poule », (I. Allegro spiritoso) par la Capella Istropolitana, sous la direction de Barry Wordsworth.
« La Reine » (I. Adagio - Vivace) par l'Academy of St Martin in the Fields, sous la direction de Neville Marriner.

Il n'est pas sûr que les trois autres « parisiennes » soient tout à fait reconnues à leur juste valeur : l'énigmatique no 84 en mi♭est pourtant une magnifique illustration des propos du Mercure de France rapportés plus haut, et se signale en outre par une orchestration riche et originale ; puissante, presque grandiose, la no 86 en est peut-être bien la plus grande des six Parisiennes. « Son mouvement lent, marqué Capriccio Largo, ce qui indique une forme libre et inhabituelle, proche de l'improvisation, un peu dans la descendance des fantaisies de C.P.E. Bach, se révèle en tout cas le plus profond et le plus original des six. »107 ; et la no 87 en la, pleine de vigueur et de dynamisme, est elle-même particulièrement réussie, une de ses pages les plus séduisantes étant son adagio de caractère hymnique, superbement orchestré.

Joseph Haydn, symphonie no 86 en majeur (II. Capriccio Largo).
Joseph Haydn, symphonie no 87 en la majeur par l'Academy of St Martin in the Fields, sous la direction de Neville Marriner.

Symphonies nos 88 à 92

Des années 1787-1789, ces cinq symphonies sont les dernières que Haydn écrivit  à Esterhaza, avant son premier voyage à Londres, et le surnom « Oxford » donné à l'une d'entre elles (la 92e) ne doit pas induire en erreur : ces œuvres sont peu ou prou de nouvelles « parisiennes », notamment les trois dernières, puisque le musicien les composa en réponse à une seconde commande pour l'orchestre de la Loge Olympique.

Sur les cinq, deux, les 88e et 92e, s'imposent avec une particulière évidence, rejetant dans l'ombre leurs voisines qui, pourtant, ne manquent pas d'attrait : la no 89 en fa, qui conjugue élégance et vigueur, séduit par ses jeux de couleurs et de timbres auxquels les bois apportent une appréciable contribution ; la no 90 en ut ne néglige ni les couleurs, auxquelles participent à nouveau les bois, mais aussi le violoncelle, ni les effets de surprise comme ce soudain silence prolongé qui vient interrompre le finale ; quant à la no 91 en mi♭, la plus élaborée des trois, elle frappe par ses audaces tant harmoniques que contrapuntiques et, tout autant, par les contrastes dynamiques ou d'atmosphères dont elle est parsemée.

De la no 88 en sol, on a tendance à mettre en exergue le sublime mouvement lent, ce Largo qui faisait paraît-il l'admiration de Brahms et dont une des particularités est de faire intervenir trompettes et timbales, et le remarquable finale, merveille de science et d'humour. Mais il y a plus, car cette symphonie offre une sorte de condensé de l'art du compositeur : « L'œuvre est la plus vigoureusement concentrée jamais sortie de la plume d'un symphoniste : qualité due au strict monothématisme de chacun des mouvements, et à une liberté formelle permettant d'énoncer un maximum de choses en un minimum de temps. »108

Symphonie no 88 en sol majeur (IV. Finale : Allegro con spirito) par le Wiener Philharmoniker, sous la direction de Leonhard Berstein.

La célèbre symphonie « Oxford » (no 92 en sol), a reçu ce surnom pour avoir été jouée à Oxford en juillet 1791 alors que Haydn s'y déplaçait pour recevoir le titre de docteur honoris causa de l'Université (une distinction qu'il jugea surtout coûteuse, puisqu'il note dans ses carnets : « J'ai dû payer pour être reçu docteur à Oxford une guinée et demi, plus une guinée pour le manteau, le voyage m'a coûté six guinées »). Toute anecdote mise à part, cette symphonie, la dernière que Haydn composa avant les « londoniennes », est certainement la plus grande des cinq évoquées ici. C'est même « à la fois l'une des plus belles de Haydn, et des plus subtilement organisées sur le plan formel, ses divers mouvements [étant] unis par des liens cachés mais étroits. »109

D'un bout à l'autre, sa « lecture » fait le bonheur des analystes les plus qualifiés, et, comme souvent en pareil cas, le simple auditeur se laisse envahir par cette musique d'une rare plénitude, à commencer par l'inoubliable premier mouvement, prodigieux d'ampleur et de grandeur épique.

Joseph Haydn, symphonie no 92 en sol majeur « Oxford » (I. Adagio - Allegro spiritoso)  par le Concentus Musicus Wien, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt.

Symphonies nos 93 à 98

Ces six Symphonies, que Haydn composa en 1791 et 1792, durant son premier séjour à Londres, ouvrent la glorieuse série des douze « londoniennes ». Une série que le musicien conçut à l'intention du public — nouveau pour lui — des grandes salles de concert londoniennes. D'où une grande virtuosité orchestrale, une liberté confirmée de la forme, une veine expérimentale renouvelée, et presque une frénésie de nouveauté, le tout maîtrisé et synthétisé par un esprit souverain capable de concilier les éléments et sentiments les plus divers dans des œuvres supérieurement équilibrées.

Parmi les six qui nous occupent ici, deux bénéficient d'une notoriété toute spéciale due à leurs sous-titres. C'est d'abord la no 94 en sol, « La Surprise », qui en Allemagne est surnommée Symphonie mit dem Paukenschlag (symphonie avec le coup de timbale), tout cela en raison de l'accord fortissimo (accompagné d'un coup de timbale) qui vient troubler la tranquillité de son Andante dans le but, dit-on méchamment, de réveiller les dames assoupies. Et c'est la no 96 en , « Le Miracle », qui, bizarrement, tient son surnom du fait que la foule des auditeurs venus l'entendre aurait miraculeusement échappé à la chute du grand candélabre de la salle (en réalité, l'incident en question se serait produit lors de la création de la 102e symphonie, mais qu'importe…). Reconnaissons que ces deux œuvres pourraient parfaitement se passer de ces atouts publicitaires. Toute d'élégance et de virtuosité, la 94e a tout pour plaire, jusqu'à son menuet dont le thème s'inscrit durablement dans les mémoires. La 96e, qui se signale par une orchestration d'une grande transparence, est énergique et concentrée ; elle comporte elle-même un splendide menuet et, à la fin du très bel Andante qui précède, se permet, avec un naturel confondant, un hommage au bon vieux concerto grosso.

Joseph Haydn, symphonie no 94 en sol majeur « La Surprise » (III. Menuet), par la par Capella Istropolitana, sous la direction de Barry Wordsworth.

Les trois symphonies « impaires » (no 93 en , no 95 en ut mineur et no 97 en ut) , bien que dépourvues de surnom, ne sont pas en reste. Très inspirée et pleine d'originalité, la 93e est marquée par une réelle volonté de puissance qui cependant n'exclut pas l'humour, et son mouvement lent, Largo cantabile, aventureux en diable, retient tout spécialement l'attention. La 95e, la seule en mineur de toutes les « londoniennes », la seule également à ne pas disposer d'une introduction lente, s'impose surtout par son finale aux puissants développements contrapuntiques qui lui valent d'être souvent rapproché du finale de la symphonie « Jupiter » de Mozart, de quelques années antérieure. Et la 97e, remarquable à beaucoup d'égards, se signale par son éclat, sa force, la qualité de ses idées thématiques, en même temps que par des étrangetés sonores (utilisation des violons « al ponticello » dans une partie du mouvement lent) ou rythmiques (effets de « déhanchements » alla Mahler dans le trio du menuet).

Joseph Haydn, symphonie no 95 en ut mineur par le London Philharmonic Orchestra, sous la direction d'Eugen Jochum.

Mais la plus grande des six est de toute évidence la no 98 en si♭, aux accents héroïques et désespérés. C'est « l'une des plus vastes (à cause de son finale très étendu) et des plus sérieuses des « londoniennes ». Un de ses admirateurs fut Beethoven, qui en acheta le manuscrit autographe après la mort de Haydn, et qui s'en inspira de près dans sa propre 4e symphonie (également en si♭). »110 Outre son formidable finale, on ne peut qu'admirer le premier mouvement qui impressionne par sa tension dramatique et sa densité contrapuntique, et s'incliner devant le magnifique et poignant Adagio dans lequel on croit reconnaître un Requiem pour Mozart, Haydn l'ayant écrit alors qu'il venait d'apprendre la mort de son ami.

Joseph Haydn, symphonie no 98 en si♭ majeur par The Orchestra of the 18th Century, sous la direction de Frans Brüggen.

Symphonies nos 99 à 104

Écrites entre 1793 et 1795, les six dernières des « londoniennes » constituent le couronnement suprême de l'art orchestral de Haydn et, plus encore que les précédentes, annoncent le XIXe siècle et l'aventure symphonique des romantiques. Autant dire qu'après la formidable 98e, le compositeur conclut ici en apothéose sa propre aventure dans le genre, atteignant des sommets absolus avec la 99e et les trois ultimes symphonies.

D'une grande intensité dramatique, la no 99 en mi♭est peut-être celle qui a le plus fort impact sur l'auditeur. Impressionnant de profondeur expressive, l'Adagio introductif donne le ton, et enchaîne sur un Vivace assai prodigieux, débordant d'énergie, qui préfigure le premier mouvement de l'Héroïque de Beethoven. Suit un sublime Adagio, douloureusement méditatif, tragique, voire désespéré, qui pour Marc Vignal est « un des plus beaux mouvements lents jamais écrits ». Puis, après un menuet grandiose dont le trio nous projette dans le monde de la valse, les forces se déchaînent dans un finale d'une puissance et d'une densité contrapuntique rares.

Joseph Haydn, symphonie no 99 en mi♭majeur (II. Adagio) par le Cleveland Orchestra, sous la direction de George Szell.

Célèbre, et immensément populaire dès sa création à Londres, la no 100 en sol,dite « Militaire » en raison de l'utilisation (dans son deuxième mouvement et à la fin du quatrième) d'une importante percussion « turque », séduit par la beauté de ses thèmes (allegro initial et menuet), et bien sûr par l'ampleur et la grandeur « explosive » de son deuxième mouvement (allegretto) qui, d'ailleurs, fit forte impression à l'époque sur les auditeurs londoniens (on était en pleine guerre contre la France révolutionnaire). Mais c'est le finale, vaste et tendu à l'extrême,  qui constitue le sommet de l'œuvre, avec son « fantastique développement, aux modulations spectaculaires, aux silences expressifs et dramatiques à la fois, dont on ne sait jamais quelle direction il va prendre. »111

Joseph Haydn, symphonie no 100 en sol majeur « Militaire » (IV. Presto), par le Concertgebouw Amsterdam, sous la direction de Colin Davis.

La  no 101 en , «L'Horloge», est réputée pour son merveilleux Andante dont le rythme de balancier lui a valu son surnom. Ce mouvement, par sa subtilité d'écriture et la puissance qui s'en dégage, s'impose en effet avec toute la force de l'évidence. Mais les trois autres sont également de grandes pages. L'introduction, mystérieuse et étrangement sombre, débouche sur un Presto d'une folle énergie et d'une étonnante richesse de développement. Le menuet, et son trio, d'une ampleur exceptionnelle, sont pleins de subtilités. Quant au Vivace final, qui combine avec brio humour et science contrapuntique, il éblouit par sa vigueur et sa virtuosité d'écriture.

Joseph Haydn, symphonie no 101 en majeur « L'Horloge » (II. Andante) par le New York Philharmonic Orchestra, sous la direction de Leonard Berstein (1969).

Ouvrant la prestigieuse trilogie finale, la no 102 en si♭est l'une des plus remarquables. Magique et mystérieux, le vaste Largo introductif conduit à un fabuleux Vivace d'une énergie, d'une puissance dramatique et (déjà) d'une conception proprement beethovéniennes. L'Adagio, qui frappe d'emblée par ses sonorités très originales, dues à l'emploi du violoncelle solo et de trompettes et timbales avec sourdines, est une page véritablement visionnaire qui associe merveilleusement concentration et esprit d'aventure (Haydn reprit ce mouvement dans son trio avec clavier no 40). Et, après un  robuste mais superbe menuet, l'œuvre fait place à l'humour et à l'optimisme dans un étourdissant Presto en forme rondo-sonate que le compositeur — délectation suprême — s'amuse à boucler par une coda où, comme entre chat et souris, la musique semble jouer à se perdre…

Joseph Haydn, symphonie no 102 en si♭majeur (I. LargoAllegro vivace) par la Capella Istropolitana, sous la direction de Barry Wordsworth.


Surnommée « Roulement de timbales » (ou « Paukenwirbel ») en raison du solo de timbales sur lequel elle s'ouvre, la no 103 en mi♭saisit d'entrée par les couleurs sombres de son Adagio introductif, couleurs venant il est vrai habiller une sorte de Dies Irae dont on retrouvera quelques échos dans la brillante construction de l'Allegro con spirito initial. Suit un magnifique mouvement lent en forme de variations alternées qui, « par son allure de marche lente à résonances slaves, annonce beaucoup Schubert et Mahler. »112 Le menuet, aux airs de tyrolienne, montre une fois de plus avec quel talent Haydn sait marier le savant et le populaire. Et, avec un nouvel Allegro con spirito, construit sur un seul thème formé ici de quatre notes identiques, l'œuvre s'achève sur un véritable tour de force. « C'est de pages telles que [celle-là] que Beethoven apprit comment écrire de longs mouvements sur un seul thème sans que l'attention se relâche pour autant et en évitant au maximum les répétitions textuelles. »112

Joseph Haydn, symphonie no 103 en mi♭majeur « Roulement de timbales » (IV. Allegro con spirito) par Les Musiciens du Louvre Grenoble, sou la direction de Marc Minkowski.

En mai 1795, au soir de la création de l'ultime symphonie no 104 en , dite « Londres » ou « Salomons », Haydn notait sobrement dans ses carnets : « L'auditoire était très satisfait, et moi aussi. » Et d'ajouter, comme pour expliquer sa propre satisfaction : « Cette soirée m'a rapporté 4.000 florins. Une telle chose n'est possible qu'en Angleterre. » Il est vrai que, mise en rapport avec le montant de la pension annuelle que lui versait alors la famille Esterhazy (1.000 florins), cette somme donnait le vertige. Cela dit, on peut être sûr que notre vieux « papa Haydn » était aussi hautement satisfait de sa dernière réalisation artistique, car, à défaut de toucher autant que d'autres la sensibilité, cette 104e reste l'une des plus grandes et des plus puissantes, une des plus avancées aussi de par les liens extrêmement subtils qui unissent ses divers thèmes et mouvements. Et, au-delà des qualités dramatiques de ces pages, on ressent, au début comme à la fin, une émotion particulière en songeant qu'en les écrivant, Haydn avait conscience de livrer là sa toute dernière symphonie : oscillant entre solennité et mystère, le portique d'entrée semble en être le signe, et ce sentiment s'impose encore plus dans la dernière partie du finale où, comme l'a relevé Marc Vignal, le musicien donne l'impression de vouloir à tout prix en retarder la conclusion.

Joseph Haydn, symphonie no 104 en majeur « Londres » (I. Adagio - Allegro).


Notes

92. Vignal Marc, dans « Le Monde de la musique » (169), septembre 1993

93. Hamon Jean, dans « Répertoire » (116), septembre 1998

94. De Gaule Xavier, dans « Répertoire » (156), avril 2002.

95. Vignal Marc, dans François-René Tranchefort (direction), « Guide de la musique de chambre », Fayard, Paris 2002, p. 302.

96. Ibidem, p. 300-301

97. Ibidem, p.303

98. Ibidem, p.306

99. Barbaud Pierre, Haydn. « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1957, p. 63.

100. Vignal Marc, dans François-René Tranchefort (direction), « Guide de la musique de chambre », Fayard, Paris 2002, p.304

101. Ibidem, p.304

102. Ibidem, p.309

103. Vignal Marc, dans « Le Monde de la musique »(244), juin 2000.

104. Vignal Marc, dans François-René Tranchefort (direction), « Guide de la musique de chambre », Fayard, Paris 2002, p. 311.

105. Ibidem, p 312.

106. Ibidem, p. 314.

107. Ibidem, p. 317.

108. Ibidem, p. 319.

109. Ibidem, p. 321.

110. Ibidem, p. 328.

111. Ibidem, p. 333.

112. Ibidem, p. 338.


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Vendredi 25 Février, 2022

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