Résumé : Il y eut deux pianos qui se suivirent à Nohant du 18 juin au 2 novembre 1841. Ce sont : De la fin juin au 8 août, le piano à queue PP n0 8724, en acajou flammé, au magasin en juin pour 1 800 fr. et vendu à M. Bardon à Paris en septembre 1841.
Du 9 août à la fin octobre, le piano à queue PP n0 8741, en acajou chenillé, au magasin en août pour 2 000 fr. et vendu à ce prix à M. Jarry à Paris en décembre 1841.
De retour du Berry le 3 novembre 1841, Chopin déménage de la rue Tronchet pour habiter près de sa compagne, dans un pavillon à la rue Pigalle n0 16. Parmi six candidats pour le piano à Chopin, le piano à queue PP no 8906, en acajou flammé, au magasin en novembre 1841 pour 1 800 fr. et loué en avril 1842, est de loin le piano le plus vraisemblable.
Lors de l'été 1841 à Nohant du 18 juin au 2 novembre, un mois après son arrivée, Chopin n'est pas content de son piano à queue et s'en fait livrer un autre ! Il s'adresse à son factotum Julien Fontana le 23 juillet :
« Va, je te prie, porter cette lettre à Pleyel et parle lui personnellement. Je lui demande de m'envoyer un meilleur piano car le mien n'est pas bon… »17
« Aujourd'hui, c'est-à-dire le 9 août, j'ai reçu le piano.»18
Nous ne savons pas quand exactement il a renvoyé le premier piano, mais très certainement après qu'il ait reçu le deuxième : ce piano est donc arrivé à la mi-août au plus tôt à Paris.
Les contraintes sont les suivantes : le piano à queue doit être terminé avant le 15 juin 1841 et ne pas être vendu ni loué avant le mois d'août 1841.
Nous avons quatre candidats :
Le piano à queue GPB no 8074, en acajou flammé, est terminé au 20 février 1841 et se trouve au magasin en février pour 2 200 fr.. Dans le RV 41-42 on relève : « Pleyel et Kalkbrenner pour Lassabathier19 Paris août (1841) 2 200 fr. ». Ce piano est assez vieux. Il a certainement été un moment chez Kalkbrenner qui prenait parfois des pianos un bon mois pour les essayer.
Le piano à queue GPB no 8095, en acajou flammé, est terminé au 12 juin 1841 et se trouve au même mois au magasin pour 2 300 fr.. Dans le RV 41-42 on relève : « Neukomm pour Harlé Paris août (1841) 2 300 fr. ». Là aussi une connaissance de Pleyel, Sigismond Neukomm, qui choisit un piano pour Harlé.
Le piano à queue GPC no 8226, en acajou ronceux est terminé au 28 novembre 1840 déjà et mis au magasin en décembre 40 pour 2 200 fr.. Il est mis en vente en juin 1841 mais l'acheteur noté de Paris est tracé. Il est vendu toujours pour 2 200 fr. à Mr Ponettre à Alençon en mars 1842. Piano bien trop vieux, vendu très tard pour un acheteur non parisien, il cumule les défauts et est donc à rejeter.
Ces trois pianos ne sont donc pas crédibles et en plus ont le problème principal d'être des pianos grands patrons. Il reste alors :
Le piano à queue PP no 8724, en acajou veiné (ou flammé selon RF), est terminé au 29 mai 1841 et se trouve au magasin en juin pour 1 800 fr.. Il est vendu à ce prix à M. Bardon à Paris en septembre 1841. Ses dates sont idéales et c'est un piano petit patron vendu rapidement à un Parisien. Il n'y a pas de doute : c'est le premier piano à Nohant en été 1841.
Deuxième piano à queue
Il doit être terminé au 7 août (donc entre le 2 et le 7 août) et ne pas être vendu avant début novembre. Voici les 4 candidats trouvés :
Le piano à queue GP no 7578, en acajou moucheté, n'est terminé qu'au 31 juillet 1841, se trouve au magasin en août pour 2 500 fr. et vendu à ce même prix à la société philharmonique de Paris (biffé « en dépôt chez ?» ) en juin 1842. Ce piano a été dans un dépôt et vendu très tardivement. Il est à rejeter.
Le piano à queue GPC no 8226, rencontré avant.
Le piano à queue GPC no 8559, en palissandre uni, est terminé le 17 juillet 1841 et se trouve au magasin le même mois pour 2 600 fr.. Il est vendu à ce prix en mai 1842 à Mr Livingston à New York. A nouveau une vente trop tardive, qui plus est, à New York.
Comme pour le premier piano, ces trois pianos sont des grands patrons. Il ne reste plus alors que le piano à queue PP no 8741, en acajou chenillé, harmonisé le 19 juin 1841 mais verni seulement au 31 juillet. Il se trouve au magasin en août pour 2 000 fr. et est vendu à ce prix à M. Jarry à Paris en décembre 1841.
On peut, grâce à une autre lettre de Chopin à Fontana20, savoir quand le piano est parti de Paris. Il demande qu'on lui envoie son piano par roulage accéléré ce qui prend 4 à 5 jours. Le piano arrive avec 3 jours de retard. Autrement dit, il a été envoyé de Paris le 1er ou 2 août.
La situation est on ne peut plus claire : Fontana avertit Pleyel peu après le 24 juillet. Le piano reçoit alors sa dernière couche de vernis dans la semaine du 26 au 31 juillet. Une fois séché, il est envoyé au tout début août à Nohant. De plus ce piano est vendu à un Parisien peu après l'arrivée de Chopin dans la capitale. Il n'y a pas de doute le piano à queue PP no 8741 était à Nohant l'été 1841.
Le piano à queue à la rue Pigalle l'hiver 1841-1842
Chopin, en arrivant dans la capitale le 3 novembre 1841, déménage chez Sand dans un pavillon jouxtant celui de la romancière. Sand avait un piano chez elle. Chopin n'avait besoin que d'un piano à queue. Le couple partira au Berry le 4 mai 1842.
Il y a cinq candidats mais là c'est plus difficile de les départager car on ne peut pas exclure les grands patrons. On oubliera le GP no 7578 déjà rencontré. Le GPC no8559, également discuté, est un peu vieux et envoyé à New York.
Les pianos GPB no 8746 et le GPB no 8747 sont des pianos chers, à 2 700 fr. et 2 800 fr., terminés les deux à fin août. Le premier est vendu tardivement en septembre 1842 et le deuxième en juillet, les deux pour Paris.
Aucun de ces pianos n'est vraiment convaincant.
On pourrait alors tabler sur le PP no 8742, en courbary riche, terminé début septembre et vendu pour 2 100 fr. à Mr Dequerrois à Troyes en mai 1842. La date de vente va très bien mais il n'est pas vendu à un Parisien et surtout il est terminé deux mois avant la venue de Chopin. Or celui-ci, on le sait, n'était pas content de son premier piano à Nohant. Et le deuxième ne le satisfait pas non plus. Il dit à Fontana :
« Prie Pleyel de m'excuser de ne lui avoir écrit (ne lui dis pas qu'il m'a envoyé un bien mauvais piano). »21
En clair, il est fort probable que Chopin, à son retour à Paris, veuille assister aux derniers réglages de son piano. Des témoignages vont bien dans le sens que le compositeur polonais était d'une rare exigence sur les choix des pianos. Il fit cela en automne 1844 et 1845 et probablement aussi en automne 1842. Donc on peut rechercher un piano terminé en novembre.
On trouve alors le PP no 8906, en acajou flammé, au magasin en novembre 1841 pour 1 800 fr. et loué en avril 1842. A priori ce piano semble avoir deux problèmes : il n'est harmonisé qu'au 20 novembre et est loué avant le départ de Sand et Chopin pour le Berry.
On remarque, dans les registres de fabrication et de ventes, que les 3 pianos jumeaux no 8907- 8908 - 8909 sont les trois terminés au 30 octobre et vendus directement. Le no 8906 est verni au 30 octobre et seulement harmonisé trois semaines plus tard : c'est comme si Pleyel avait réservé ce piano pour Chopin et attendait sa venue pour l'harmonisation. Celle-ci semble tardive (semaine du 15 au 20 novembre soit deux semaines après l'arrivée de Chopin dans la capitale) mais c'est possible car Chopin déménageait rue Pigalle. Sand disait en date du 18 novembre « Chopin est tout aussi occupé que moi, et nos gens ont des courses à faire toute la journée. »22 Et Chopin pouvait toujours donner ses cours provisoirement sur le piano carré de Sand.
Ce piano no 8906 a clairement été mis à disposition : il n'a pas pu rester au magasin car il aurait été vendu directement comme les autres. Et surtout c'est le seul piano à queue mis en location dans ce RV 41-42. Pleyel louait des pianos mais, dans cette période, pas les pianos à queue (zéro dans le RV 40-41, et seulement deux dans le RV 42-43 dont un, le no 9164 est très probablement le piano à Nohant en été 1842).
Autre problème à résoudre : il est mis en location en avril déjà. En fait, le couple Sand-Chopin part de Paris au tout début mai, le mercredi 4. Le piano favori pour l'été à Nohant est le n0 9164 : il est harmonisé dans la semaine du 18 au 23 avril. En clair, sachant qu'il allait partir et n'ayant plus le moral pour donner ses cours23, Chopin a pu rendre son piano parisien à Pleyel avant la fin avril et choisir celui pour Nohant.
En conclusion, malgré des dates qui paraissent à priori serrées, le piano PP n0 8906 est de loin le meilleur candidat pour l'hiver 1841-1842.
17. Lettre de Chopin à Julien Fontana du 23 juillet 1841, CFC, t. III, p. 57-58.
18. Lettre de Chopin à Fontana du 9 août 1841, CFC, t. III, p. 62.
19. Il s'agit bien sûr de la belle mondaine Apollonie Sabatier qui tenait un salon très prisé.
20. Lettre de Chopin à Fontana de la fin juillet 1841, CFC, t. III, p. 59.
21. Lettre de Chopin à Fontana du 18 août 1841, CFC, t. III, p. 65.
22. Lettre de Sand à sa fille Solange du 18 novembre 1841, CGS, t. V, p. 502
23. Sand annonce dans une lettre à Delacroix du 13 avril 1842 : « Je pars au commencement de mai… », CGS, t. V, p. 635. D'autre part, Chopin perd son ami médecin Jan Matuszyński le 20 avril et accuse le coup.
Alain Kohler, 2013.
Introduction — Chapitre 1 : Méthodologie et caractéristiques générales — Chapitre 2 : Les archives Pleyel — Chapitre 3 : La recherche des pianos par période : Nohant été 1839 et Paris 1839-1841 ; Nohant été 1841 et Paris 1841-1842 ; Nohant été 1842 et Paris 1842-1843 ; Nohant été 1843 et Paris 1843-1844 ; Nohant été 1844 ; Paris 1844-1845 ; Nohant été 1845 ; Paris 1845-1846 ; Nohant 1846-1848 ; Paris 1846-1847 ; Bibliographie sélective.
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ISNN 2269-9910.
Vendredi 24 Février, 2023 18:31