Jean-Marc Warszawski, Paris, Hôtel des Invalides, 8 juin 2025.
Le 5 juin dernier, avant le concert donné à la cathédrale Saint-Louis des Invalides par l’ensemble Organum, Christine Dana-Helfrich présenta à la presse réunie dans le grand réfectoire, la 32e saison de la programmation musicale aux Invalides.
Comme pour la 31e, la 32e saison musicale des Invalides offrira 37 concerts, organisés en seulement deux cycles : « À armes égales ? » et « Tout un Monde lointain », le premier évoquant l’accession des femmes à l’égalité sociale avec les hommes ou plutôt le combat multiforme pour réduire à rien des inégalités érigées artificiellement, avec un point d’interrogation, évidemment. Entre le 22 et 24 mars 1944, le Comité français de la Libération nationale ouvrait les scutins aux femmes, qui votèrent pour la première fois aux élections municipales du 29 avril 1945. Mais ce sont les 80 ans des élections législatives du 21 octobre 1945, qui portèrent 33 femmes à la députation qu’on entend honorer ici.
« Tout un Monde lointain » (titre d'un concerto d'Henri Dutilleux), est quant à lui un thème propice à l’imagination, à la fantaisie, à l’exploration et aux explorations militaires, sujet d’une exposition du Musée des Armées du prochain printemps. Deux cycles avec des parcours transversaux, comme le mise en valeur l’histoire de l’hôtel des invalides, ses pierres et ses activités humaines ou des ensembles musicaux militaires.
Ainsi entendra-t-on, au long de ce bicycle, l’Orchestre symphonique de la Garde républicaine, sous la direction de Bastien Stil, puis de Sébastien Billard, L’Orchestre de la musique de l’Air et de l’Espace, sous la direction de Claude Kesmaecker, et des œuvres d’Ethel Smith, Cécile Chaminade, Mel Bonis, qui aura droit à une soirée entière, Augusta Holmès, Clara Schumann, Louise Farrenc, Marie Jaëll, Maude Valérie White, Teresa del Riego, Germaine Tailleferre, Lili et Nadia Boulanger, Sofia Gubaïdulina, Fanny Mendelssohn-Hensel, Patricia Kopatchinskaïa, Alma Mahler.
Presque un tiers des concerts est consacré à la musique ancienne.
On aura le plaisir d’entendre, de réentendre, de découvrir des artistes tel que Le Paris Mozart Orchestra, sous la direction de Claire Gibault (qui jouera du… Mozart), Les Paladins, sous la direction de Jérôme Correas, le Chœur Accentus, l’Orchestre Idomeneo, sous la direction de Débora Waldman, Les Accents, Les Talens lyriques et Christophe Rousset… Les violonistes Stéphanie-Marie Degand, Raphaëlle Moreau, les pianistes Célia Oneto Bensaïd, Anne Queffélec, Jean-Marc Luisada, Tristan Raës, Dana Ciocarlie, Yvan Cassar, l’ensemble, Matheus sous la direction de Jean-Christophe Spinosi, la trompettiste Lucienne Renaudin Vary, le clarinettiste Pierre Génisson, les violoncellistes Christian-Pierre La Marca, François Salque, Philippe Muller, les récitantes et récitants Macha Méril, Didier Sandre, Benoît Haller ; Eva Zaïcik et le Consort du claveciniste Justin Taylor, le ténor Reinoud Van Mechelen.
Aussi des soirées qui attirant l’œil donnent envie d’y ajouter l’oreille : la soirée Arnold Schönberg avec le quatuor Voce renforcé en sextuor, Nuit transfigurée oblige ; « Hassan le voyageur », l’histoire de Léon L’Africain, conté, chanté, commenté de pièces de diverses traditions orientales et méditerranéennes, par l’ensemble Canticum Novum ; « Un orient imaginaire », mis en musique par Giuseppe Verdi, Camille Saint-Saën, Jean Cras, par l’orchestre symphonique de la Garde républicaine et Dana Ciocarlie, sous la direction de Sébastien Billard ; soirée avec Thomas Briant (violon) et Julien Beautemps (accordéon) dans leurs propres compositions ou des arrangements de pièces de Fazil Say ou de RadioHead ; les espagnolades du séduisant ensemble Faenza… et tout le reste ! Voir sur le site du Musée des Armées.
Saint-Louis des Invalides, Vêpres royales, ensemble Organum (Marcel Pérès), Ad vesperas Sancti Ludovici Regis Franciae, antiphonaire des invalides (1682), « Grand siècle », Harmonia Mundi 2025 (hmm 905366), réédition du CD Ambroisie 2005 (amb 9982).
Les concerts sont l’occasion de mettre en valeur le patrimoine du lieu et son histoire. Ce soir, avec l’ensemble organum, nous y étions en plein.
Dès leur mise en service, les Invalides proposaient des ateliers d’artisanat, pour occuper les soldats ou les aider à un recyclage professionnel. C’est ainsi que fut élaboré (achevé en 1682) le graduel et antiphonaire des Invalides, collection des plain-chants nécessaires aux offices solennels de l’année liturgique. On est dans un milieu de tradition, c’est un ouvrage à l’ancienne sur parchemin, monumental, pour être lu de loin autour du lutrin, noté en signes carrés et magnifiquement enluminé en rapport aux sujets et par des décors floraux. Comme tous les magnifiques manuscrits, la question de sa destination se pose : cadeau luxueux (au roi Louis xiv) ou usage. En tout cas, c’est un objet d’apparat.
L'ensemble Organum, cathédrale Saint-Louis, 5 juin 2025. Photographie © musicologie.org.
Voici exactement vingt ans, l’ensemble Organum a choisi d’enregistrer les Vêpres destinées à la fête de saint Louis (Ambroisie 2005) contenues dans cet antiphonaire. Harmonia Mundi vient de le rééditer. Pour ce concert anniversaire l’ensemble, toujours sous la direction de Marcel Pérès, a offert au public nombreux de la cathédrale Saint-Louis des Invalides, le programme intégral de l’enregistrement, et petit miracle de longévité, avec pratiquement les mêmes chanteurs, sinon deux absents et un nouveau, Raphaël Pérès, fils du chef. Donc, vingt ans après : Antoine Sicot, Frédéric Tavernier, Giovannangelo De Gennaro, Jean-Christophe Candau, Jérôme Casalonga, Luc Terrieux.
Comme dans le disque, les plain-chants de l’antiphonaire sont interpolés par des de faux-bourdons, puisés, nous dit Marcel Pérès, dans un ouvrage conservé à la Bibliothèque l’Inguimbertine de Carpentras (Faux-bourdons parisiens) et d’improvisations d’orgue.
Le plain-chant, comme son nom l’indique, est un chant collectif fondu en une seule voix. Il est le chant de la communauté unie qui monte vers Dieu. Dans le faux-bourdon, l’union demeure par un strict parallélisme entre les voix dont on peut dire qu’elles sont homorythmiques ou « homosyllabiques », mais elles se meuvent sur des notes différentes, formant des accords. Cela produit un contraste et une diversité esthétique, tout comme l’introduction à mi-parcours des improvisations d’orgue.
L'ensemble Organum, cathédrale Saint-Louis, 5 juin 2025. Photographie © musicologie.org.
Malgré la qualité et la beauté musicales indéniables, nous ne sommes pas totalement convaincu par l’ensemble du spectacle qui montre peut-être les limites des reconstitutions historiques illusoires. Il est évident qu’il manquait ici la ferveur religieuse et l’apparat des offices solennels, dont on sait le faste qu’ils pouvaient déployer au xviie siècle. Les vestons froissés des chanteurs tournés vers le lutrin (un chevalet en l'occurrence), dos au public, n’ont pas particulièrement nourri l’imagination. En fait, le peu de « mise en scène » fut de trop. Le vrai sujet étant l’antiphonaire des Invalides, non pas les louanges à Dieu ou ses bonnes grâces pour l’âme de Louis IX, pourquoi n’avoir pas posé le lutrin en vedette d’avant-scène, avec les magnifiques fac-similés des pages de l’antiphonaire, voire un double lutrin, une face vers le public, une face vers les chanteurs… restant tournés vers le public.
L'ensemble Organum, cathédrale Saint-Louis, 5 juin 2025. Photographie © musicologie.org.
Le disque ne provoque pas cet effet de vide, peut-être donne-t-il plus de liberté à l’imagination ou permet-il d’être mieux concentré sur la musique, qui est magnifique et bien méritante de cette réédition. Nous y apprécions particulièrement les épices orientales parcimonieuses, ou l’évocation de la polyphonie populaire corse, dès le Deus in adjutorium meum intende (ps 69), qui ouvre en général les heures liturgiques, choses étrangères à l’esprit du plain-chant, mais qui conviennent si bien à sa lettre.
Graduel et antiphonaire des Invalides (1682), Deus in adjutorium meum intende, plage 1 (extrait). Jean-Marc Warszawski
8 juin 2025
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Dimanche 8 Juin, 2025 6:38