La Bohème, Illustration d'Adolf Hohenstein pour Ricordi, Milan 1895.
Musique de Giacomo Puccini, sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après les Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger, créée le 1er février 1896, au Teatro Regio de Turin.
Déjà Musetta paraît au deuxième acte au bras d’un homme d’un certain âge qu’elle est supposée ne pas aimer (elle, elle n’aime que son Marcello, comme elle prouvera par la suite), mais qui lui paye maints caprices. C’est à notre avis une forme de prostitution, le courtisement de la femme entretenue. Mais il n’y a à aucun moment une vraie réprobation de la part du groupe d’amis ni des passants et passantes — au contraire, ceux et celles-ci l’admirent pour sa façon de s’habiller. Marcello non plus n’en tient pas compte. Certes, il est jaloux du riche protecteur et fâché contre Musetta — il le sera encore plus au troisième acte — mais son activité de femme entretenue n’entraîne pas chez lui le mépris pour Musetta ni chez Musetta la culpabilité — ou si cette culpabilité existe, elle est tellement refoulée et intériorisée qu’elle ne ressort qu’aux moments de « confession », dans le sens religieux (prière de Musetta au quatrième acte).
Puis, quand au début de ce même acte, Rodolfo et Marcello commentent les dernières nouvelles concernant leurs deux ex-amantes, il est clair pour tout le monde que l’une et l’autre exercent en tant que courtisanes. Et les ricanements des amants à ce moment-là (« In un coupe ») laissent vite la place à des mélancolies et des regrets sincères d’une sensualité perdue — superbe duo « O Mimi tu piu non torni ».
Giacomo Puccini, La Bohème, « In un Coupé?... O Mimi tu piu non torni », Jonas Kaufmann, Ludovic Tezier, Orchestra of the Accademia di Santa Cecilia, sous la direction de Antonio Pappano, 2022.Giacomo Puccini, La Bohéme, décore, Theater Museum Vienna, sd.
La prostitution n’est donc pas un enjeu dramatique en soi, elle n’engendre pas de malentendus, ni de regrets, ni de rejets, comme dans les opéras antérieurs (de La favorite de Donizetti, Royer, Vaëz et Scribe à la propre Manon Lescaut mise en musique aussi par Puccini). La prostitution est considérée comme un métier que les filles peuvent exercer quand elles sont jolies, un métier qu’on ne peut pas exercer toute la vie, et qui a l’inconvénient de devoir y sacrifier sa vie privée, de devoir y sacrifier son vrai amour. Mais à part ça, « ça va ». C’est donc une tout autre conception de la prostitution. Une conception qui ne motive donc pas des passages musicaux douloureux ou torturés — passages qui peuvent exister par ailleurs, motivés par d’autres éléments du drame, mais pas par la prostitution.
Certes, la vision est encore entièrement masculine : ce sont les femmes qui se prostituent pour le plaisir des hommes, et à aucun moment les librettistes ne se posent la question de savoir si ce métier est pénible ou non pour les femmes. Mais bon. Il ne faut pas non plus trop en demander.
Voir : relations sexuelles en dehors du mariage.
Giacomo Puccini, La Bohème, Scène finale, Angela Gheorghiu et Roberto Alagna. Frédéric Léolla
7 août 2025
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