Jean-Luc Vannier, Monaco, 3 novembre 2025.
Der fliegende Holländer à l’Opéra de Monte-Carlo : Bryn Terfel et Asmik Grigorian en haut de la vague !
Asmik Grigorian (Senta) et Bryn Terfel (Le Hollandais). Photographie © OMC - Marco Borrelli.
« Dans Le Vaisseau fantôme, la seule chose que je me fusse proposé principalement était de ne pas sortir des traits les plus simples de l’action, de bannir tout détail superflu et toute intrigue empruntée à la vie vulgaire… » explique Richard Wagner dans ses Écrits sur la musique (Gallimard, 2013, p. 387). Il était donc logique, dans la perspective énoncée par le compositeur, d’attendre de cette version « mise en espace » et proposée par l’opéra de Monte-Carlo, dimanche 2 novembre en ouverture de saison, la possibilité de retrouver ce « coloris caractéristique du sujet légendaire…inséparable des motifs internes de l’action » toujours selon le maître de Leipzig.
Dans cette immense salle des Princes du Grimaldi Forum, dont certains décors latéraux annoncent déjà la prochaine production de Aida de G. Verdi, ce Fliegende Holländer n’avait sans doute nul besoin des vidéo-projections aussi ennuyeuses que répétitives de D-Wok — type lampe à lave des années 70 pour faciliter l’endormissement ce qui a parfaitement réussi pour mon voisin de gauche — sauf peut-être, symbolisant les rugissements marins, de cet aquarium placé au centre du plateau mais dont la taille ne parvenait toutefois pas à égaler celle de l’immense réservoir aquatique dans lequel les filles du Rhin se languissaient dans un ancien Rheingold monégasque.
Le Vaisseau fantôme. Photographie © OMC - Marco Borrelli.
Bien avant le lever de rideau, les musiciens de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo — cuivres et vents en particulier — rejouaient inlassablement les passages les plus ardus de la partition afin de pallier d’éventuelles imperfections dues, selon ce que l’on nous rapporte de la fosse, au manque de temps consacré aux répétitions. Dès la célèbre ouverture, la direction musicale de Gianluca Marciano nous paraît s’écarter de la dynamique traditionnelle wagnérienne, tonique et tranchante, comme s’il souhaitait nous informer — et nous avertir — de son orientation générale, nettement plus encline à susciter l’émoi que l’effroi. Certes, les houles chromatiques des bourrasques ne se transforment pas en bonace mais les piani marqués dans l’air de Senta sont plus annonciateurs de la couleur que de la forme. Le maestro prendra d’ailleurs toutes les précautions utiles, tout au long de l’ouvrage, afin de ralentir certains tempi et d’éviter aux voix solistes d’être couvertes par l’orchestre alors qu’il encourage les chœurs masculins de l’opéra de Monte-Carlo (Stefano Visconti) à donner de la leur et ce, avec de magnifiques effets sonores et ondulatoires entre les basses et les ténors, effets ressentis bien au-delà du plateau dans « Mit Gewitter und Sturm aus fernem Meer ».
Choeurs de l'opéra de Monte-Carlo. Photographie © OMC - Marco Borrelli.
C’est donc dans le registre d’une intériorité souffrante, celle-là même d’un être écorché vif, que Sir Bryn Terfel, un habitué de Monte-Carlo, interprète le rôle-titre. Il en accentue le déchirement en prodiguant à son chant, une forme presque « parlée », essentiellement empreinte de pics de « vociférations » plaintives et douloureuses : ces derniers sont destinés à prendre l’audience à témoin et à convaincre celle-ci de son irréductible malheur, notamment dans son long monologue « Die Frist ist um ». Impressionnante performance vocale et physique jusqu’au-boutiste qui le conduit à frôler ses propres limites phoniques. Il s’en explique dans une courte interview : « les douze minutes du monologue d’entrée du Hollandais sont sans doute les plus dramatiques qu’un baryton-basse puisse rencontrer chez Wagner. L’interpréter c’est comme marcher sur une corde raide : vous pouvez la parcourir avec succès ou bien en chuter ». On ne saurait mieux dire.
Le Vaisseau fantôme. Photographie © OMC - Marco Borrelli.
Pour la Senta d’Asmik Grigorian, artiste lyrique qu’un confrère a entendue dans un récital en juin 2021 Salle Gaveau, nous devons distinguer la superbe prestation vocale de son médiocre jeu scénique. Lui aurait-on soufflé ou aurait-elle improvisé, pour le second, des mimiques théâtrales complètement inadaptées non seulement à son personnage mais encore au jeu nettement plus classique de ses partenaires ? Toujours est-il que son inélégante démarche, type « grenadier de la garde », la multiplication d’une gestuelle hystérisée et faussement moderniste, usuelle dans les vidéos qui pullulent sur TikTok, finissent par dévaloriser son personnage, fort éloigné d’une Senta plus « rêveuse » relevée dans une version berlinoise. Fort heureusement pour ses débuts à l’opéra de Monte-Carlo, la puissante projection de sa voix aux aigus acérés et délicatement pigmentés par un timbre très légèrement métallique, lui autorise, à la fin de sa « chanson », cette magnifique exaltation vocalisée « Mög Gottes Engel mich dir zeigen ! Durch mich sollst du das Heil erreichen ! ». Prestation également émouvante, dans le rôle d’Erik, de Daniel Behle qui fut aussi L’évangéliste dans un inoubliable Weihnachtsoratorium monégasque. Saluons enfin la basse Albert Dohmen (Daland et Le médecin dans un Wozzeck à Monte-Carlo), plus encore le ténor à la belle voix acidulée Trystan Llyr Griffiths (Le pilote) ainsi que le talent prometteur d’Angharad Lyddon (Mary), mezzo-soprano dont notre voisin de droite et joueur de cricket professionnel suivait avec une attention soutenue les évolutions de celle qui était aussi sa jeune épouse.
Après deux heures et vingt minutes sans entracte, les « vagues » réitérées d’ovation enthousiaste, aussi légitimes qu’elles aient pu être pour encenser cette production de grande qualité, avaient aussi pour finalité de décharger une tension pulsionnelle accumulée.
Jean-Luc Vannier
Monaco, 3 novembre 2025
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ISSN 2269-9910

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