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17 novembre 2024 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (VI) : désir féminin

La visite de Belqis, reine de Saba, à Salomon, copie du Livre des rois, de Firdousi, Abou'lkasim (0940-1020), par Mohammad Djân al-Kermâni (vers 1904-1610), BnF, département des manuscrits, suppl. persan 490, fol. 1v et 2.

Le désir féminin ne se manifeste pas dans tous les opéras du répertoire, tant s’en faut, mais il y a quand même quelques exemples à peu près dans toutes les époques.

En effet, historiquement, le seul désir socialement « reconnu » serait le désir masculin, considéré presque comme « inévitable », voire « nécessaire », voire « salutaire ». Le désir féminin est, ou bien inexistant, ou bien laissé aux femmes dévoyées — celles qui finissent mal. Certes, le répertoire ne manque pas de femmes amoureuses, mais leur amour est censé être « chaste », c’est-à-dire « sans désir », la « chasteté », la « pureté », la virginité, en somme, étant érigées en valeur suprême — parfois le soupçon même que l’amoureuse ait perdu cet attribut est toute une catastrophe pour l’amoureux, comme dans Fra Diavolo (Auber/Scribe), Simon Boccanegra (Verdi/Piave et Boito), etc.

Parmi les exemples de désir, laissé alors aux « braves » paysannes et servantes, citons Laurette dans Richard cœur de lion (Grétry/Sedaine), Zerlina dans le Don Giovanni (Mozart/Da Ponte), des cœurs qui battent, symptômes typiques de l’excitation…

Ce « cœur qui bat » comme symbole du désir féminin est utilisé par Mozart/Da Ponte exceptionnellement chez des femmes « très comme il faut », des fiancées d’officiers, pour montrer l’infidélité « ontologique » de la femme dans le Cosi fan tutte — un opéra que tout le dix-neuvième siècle blâma, à commencer par Beethoven lui-même.

Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, époque bien plus prude chez les classes dominantes, hormis quelques figures de femmes courageuses ou téméraires selon les avis (Fiorilla du Turco in Italia de Rossini/Romani et Rachel dans La Juive de Halévy/Scribe) le désir féminin est absent. Ou si bien caché que votre serviteur n’en a pas trouvé d’exemple notoire dans le répertoire.

Esquisse du costume de Balkis, la reine de Saba, par Alfred Albert, 1862.

Dans la deuxième moitié, du dix-neuvième siècle il est nécessaire de noter le très beau La reine de Saba de Goldmark/von Mosenthal, où la mezzo-soprano doit camper une femme riche, puissante et luxurieuse, dont le désir jaloux la dispute au besoin de garder son rang (superbe monologue du début du deuxième acte). Ce personnage peut nous sembler un chouïa conventionnel de nos jours. Pourtant, même en lui attribuant le rôle de « méchante », de « dévoreuse d’hommes », force est de reconnaître que dans ce très bel opéra, empreint de sensualité, Goldmark et Mosenthal anticipent de bien des années les Teda Bara, Garbo, Harlow et autres vamps d'Hollywood. Presque oublié de nos jours, malgré quelques essais de résurrection, La reine de Saba fut un triomphe colossal en 1875 à Vienne, la ville où, quelques années plus tard, Freud allait élaborer sa théorie de l’inconscient à partir notamment des observations sur ses patientes et leurs pulsions dites « hystériques », nées d’un désir profond et refoulé. Pur hasard, me direz-vous…

C’est au tournant du dix-neuvième et du vingtième, qu’une pléthore de femmes manifestant leurs désirs paraît dans le répertoire opératique : Francesca Da Rimini (Zandonai/d’Annunzio), Asteria dans le Nerone (Boito), Salomé (Strauss/Wilde), la principessa di Bouillon dans Adriana Lecouvreur (Cilea/Collauti), les servantes de Pénélope (Fauré/Fauchois), même, à sa façon, Mélisande dans le Pelléas et Mélisande (Debussy/Maeterlinck)… Influence enfin des travaux de Charcot puis Freud ? Libéralisation des mœurs ? Combats des femmes pour leur égalité ? Ou tout simplement « parce que c’était dans l’air du temps » ?

Parfois le désir n’est pas suggéré par le livret, mais plutôt par le compositeur qui pare d’une musique hautement sensuelle la réplique du personnage féminin, comme la dernière réplique de Desdemona à la fin du premier acte de l’Otelo (Verdi/Boito) ou le très sensuel air « O mio babbino caro » du Gianni Schicchi (Puccini/Forzano) lorsque Lauretta raconte à son papa comment elle est entichée de son amoureux.

Giacomo Puccini, Gianni Schicchi, « O mio babbino caro », Montserrat Caballé, Münchner Rundfunkorchester, sous la direction de Nicola Rescigno, Munich, 1990.

Attention est portée parfois, cas rare, mais non unique, à l’éveil du désir, au passage de fille à femme par le désir. Notons en ce sens les cas de Francesca da Rimini (Zandonai/d’Annunzio) déjà citée, ou aussi le merveilleux La Fille des neiges (Rimski-Korsakov/Ostrovsky) ou encore la transformation de la fille dynamique et guerrière en femme aimante et passionnée de la Brunhilde wagnérienne entre La walkyrie et Le crépuscule des Dieux, grâce au duo final de Siegfried.

plume_04 Frédéric Léolla
17 novembre 2024
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Dimanche 17 Novembre, 2024 18:45