4 novembre 2024 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (III. 21) : Francesca da Rimini

Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile. Ary Scheffer, 1855.

Musique de Riccardo Zandonai, sur un livret de Tito Ricordi d’après la pièce de Gabriele d’Annunzio, elle-même d’après la Divine Comédie de Dante Alighieri, créée en 1914, Turin, Teatro Regio.

Ici l’adultère permet de tracer un « historique du désir », et notamment du désir féminin, depuis sa naissance sans objet déterminé, superbe duo entre Francesca et sa sœur Samaritana, puis le moment où l’objet du désir apparaît et donc l’objet se concrétise, la fin du 1^er avec son solo de violon à la limite du mièvre, mais qui justement pour cela est incroyablement efficace et expressif à ce moment, puis le désir refoulé, devenu haine (électrisant acte II), puis le désir cafardeux, dépressif, angoissant (magnifique acte III), puis l’ivresse de son assouvissement (fin acte III), jusqu’à finalement le désir devenu obsession sexuelle et désir irrépressible (acte IV).

Comme dans le Tristan et Isolde (Wagner), la figure d’interdit sexuel, l’adultère, joue ici un rôle majeur dans l’articulation de l’opéra et dans la progression psychologique de la protagoniste. Comme dans Thaïs (Massenet/Gallet), le décor cette fois-ci médiéval — un moyen âge 1900, bien entendu, parfaitement d’annunzien, pas si loin quelque part de son contre-pied, Au Temps des Croisades (Terrasse/Franc-Nohain) — permet d’ajouter une touche exotique à l’ensemble. Mais le désir de la protagoniste est tellement bien décrit, avec un tel luxe de nuances, et je ne parle pas que du texte, le traitement de la voix, l’orchestre somptueux de Zandonai, décrivent mieux que n’importe quel texte toute la nacre du désir, que personne ne se leurre : il ne s’agît pas d’une héroïne en carton-pâte, mais bel et bien d’une femme en chair et en os qui est envahie par le désir. Ce n’est pas un désir fait pour attirer ou aguicher le mâle, comme chez la Thaïs des deux premiers actes, ou même chez la Manon (Massenet/Meilhac et Gille) de Saint-Sulpice, mais un vrai désir profond qui croît malgré la protagoniste.

Riccardo Zandonai, Francesca da Rimini, acte II, scène 3, Svetla Vassileva (Francesca), Roberto Alagna (Paolo), chœur et orchestre de l'Opéra de Paris, sous la direction de Daniel Oren,2010.

En ce sens, Francesca da Rimini de Zandonai est un des premiers chefs-d’œuvre à parler du désir féminin, et surtout un des premiers à le décrire avec une telle intensité. La femme n’est donc plus cet être qui cherche la vertu et l’amour chaste et pur, qui peut se contenter d’un simple bisou. C’est aussi un être humain dont les désirs et les pulsions sont pareils, ou du moins équivalents, à ceux de l’homme. On pourrait presque dire en ce sens que Francesca da Rimini représente un jalon dans l’histoire du féminisme, ou de l’égalité de sexes dans l’opéra. C’est déjà beaucoup, n’est-ce pas ?

Ce ne serait peut-être pas assez s’il n’y avait pas cette musique enveloppante, poignante et extrêmement raffinée de Zandonai. Un vrai chef-d’œuvre d’un compositeur mal connu et qui, pourtant en compte plusieurs, de chefs-d’œuvre.

Bon, que les amants adultères meurent à la fin, ça n’étonnera plus personne à cette hauteur de notre étude. Il était difficile d’y échapper, d’autant plus que les alighieristes de tout le monde auraient fait un scandale. C’est comme ça, c’est comme ça.

Riccardo Zandonai, Francesca da Rimini, scène finale; Renata Scotto (Francisca), Placido Domingo (Paolo il Bello), Cornell MacNeil (Giovanni le Boiteux), New-York, Metropolitan, Opera, 1894.

Frédéric Léolla
4 novembre 2024

[suite] [Sexe et opéra : adultère et infidélité] [sexe et opéra : index]

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_2405

Lundi 4 Novembre, 2024 23:53