Paillasse
Caruso dans le rôle de Paillasse, dessin de Maurice Lourdey, 1908.
Musique de Ruggero Leoncavallo, sur son propre livret, créé en 1892, Milan, Teatro del Verme.
Canio est le chef d’une troupe de théâtre ambulante à laquelle participent aussi sa femme Nedda et le passablement contrefait Tonio. Or celui-ci est tombé sous le charme de Nedda qui, cinglante, le refuse. D’autant plus qu’elle est tombée elle-même sous le charme de Silvio, avec qui elle prétend fuir. Les amants, dénoncés par Tonio, qui cherche ainsi à se venger, sont surpris par Canio, mais avant que celui-ci n’ait pu le reconnaître, Silvio fuit. Le soir, pendant la représentation de la troupe, devant les villageois, Canio, qui joue le rôle d’un mari trompé, mélange dangereusement théâtre et réalité : il finit par tuer sa femme puis Silvio qui se dénonce en accourant la défendre. Seulement alors Canio s’adresse au public pour dire que « la comédie est finie ».
Dans Pagliacci Canio n’agit pas « en défense de son honneur » comme dans tant d’opéras précédents. Il est vraiment pris de jalousie brutale. Nedda n’a pas un seul moment les remords de la femme qui risque de perdre son statut social, car elle n’a peut-être pas tant à perdre que ça — aujourd’hui nous dirions que c’est une « marginale », comme tous les pauvres intégrants de cette pauvre compagnie de théâtre itinérante. Elle a pourtant la peur bleue de la bestialité de son mari (« Qual fiamma avea nel guardo »).
Ruggero Leoncavallo, Pagliacci / Paillasse, « Qual fiamma avea nel guardo », Mirella Freni, National Philharmonic Orchestra, sous la direction de Giuseppe Patanè, 1978.Leurs passions sont à nu, sans « alibis » ni justifications sociales, hors du mariage comme institution sociale. Ici ce n’est pas « une position » que l’on défend qui exacerbe les sentiments ; c’est plutôt le manque total de position sociale, la pauvreté et le déclassement qui font que les passions éclatent sans freins. À Leoncavallo le double mérite d’un livret ramassé et très efficace, et d’une musique vibrante, aux mélodies prenantes parfaitement en accord avec les situations.
Berthe Lamarre dans le rôle de Neda, Illustration de couverture, Le Théâtre (276), 11 juin 1910.
Bien entendu, cela s’inscrit dans le modèle, si prisé en Italie au tournant du xixe et du xxe, de l’opéra à mari jaloux qui tuera tout le monde à la fin (Otelo, Francesca da Rimini, Cavalleria Rusticana,…) qui donne de si bons résultats musicaux — pour ce qui est de « l’évolution de mœurs », il faudra peut-être attendre le film « Divorce à l’italienne » de Pietro Germi pour que la chose commence à changer.
Ruggero Leoncavallo, Pagliacci / Paillasse, duo de Nedda et Silvio, Anna Netrebko, Dimitri Hvorostovsky, Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, sous la direcion de Yuri Temirkanov, gala du tricentenaire de Saint-Pétersbourg, 2003.
Frédéric Léolla
16 octobre 2024
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