Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 2 juin 2021 —— Frédéric Norac.
Les Sept péchés capitaux. Photographie © Pierre Grosbois.
Ultime collaboration de Bertolt Brecht et de Kurt Weill, Les Sept péchés capitaux (des petits bourgeois), créé à Paris en 1933, sont un terrible réquisitoire contre le détournement de la morale judéo-chrétienne dans les sociétés capitalistes. Dans cette cantate dansée, les deux complices mettent en scène deux sœurs ou plutôt une figure féminine dédoublée à qui sa famille (ses parents et ses deux frères) impose le devoir de réunir les fonds pour la construction de la maison familiale, refuge utopique face à un monde barbare qui lamine les individus.
En sept stations qui correspondent à sept mouvements musicaux et à sept villes états-uniennes, ils décrivent la descente aux enfers d’Anna II, la danseuse, jusqu’à la prostitution pure et simple. Anna I, la chanteuse, fait figure en quelque sorte de conscience ou de surmoi, l’obligeant à rester dans la droite ligne du sacrifice et de la négation de soi au nom d’un intérêt commun porté par l’égoïsme petit-bourgeois. Dans cette œuvre brève et intense, Weill déploie son inspiration la plus riche avec des rythmes de danses populaires transfigurés par une orchestration raffinée dont il a le secret, entre bastringue et musique savante. Au petit chœur des parents d’Anna, quatre voix d’hommes, il affecte un style choral parodique qui tourne en dérision celui du choral luthérien.
Les Sept péchés capitaux. Photographie © Pierre Grosbois.
La production de Jacques Osinski joue le jeu d’un extrême dépouillement avec une scénographie réduite à un écran de cinéma où les vidéos très réussies de Yann Chapotel, parfaitement fondues dans le rythme musical de la pièce, commentent le propos de chacun des mouvements. La gestuelle et les chorégraphies de Noémie Etlin restituent habilement l’évolution d’Anna jusqu’à la chute finale, le retour au bercail tant espéré, tandis que les images montrent un petit pavillon de banlieue de mauvaise construction, totalement délabré.
À la tête de son ensemble Pelléas, Benjamin Lévy restitue toute l’âpreté et la fascination colorée et dansante de la musique de Kurt Weill. Les deux Anna, la mezzo Natalie Pérez et la danseuse Noémie Ettlin forment un duo parfaitement assorti qui s’unit souvent dans les mouvements chorégraphiques avec un bonheur certain.
À cette pièce faussement austère et très concentrée, à peine plus d’une demie heure, ont été ajoutées les trois chansons françaises composées dans la même période parisienne par Kurt Weill : « La Complainte de la Seine », « Je ne t’aime pas » et « Youkali ». Curieusement, si elles s’intègrent plutôt bien à la trame et offrent une certaine résonance individuelle aux péripéties de cette parabole, elles affaiblissent un peu la radicalité du propos. Il est vrai que Natalie Pérez qui sublime avec beaucoup de finesse les discours moraux d’Anna I, manque peut-être vocalement un peu de corps pour donner tout leur relief à ces pastiches de chansons réalistes.
Quatre-vingts ans après sa création, en tout cas, cette pièce étonnante n’a rien perdu de sa vérité morale et de son actualité politique.
Frédéric Norac
2 juin 2021
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Dimanche 6 Juin, 2021 2:37