musicologie

29 janvier 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

L'art de Leopold Godowsky et de Karol Szymanowsky sous les doigts de Mūza Rubackytė

Mūza Rubackytė, Leopold Godowsky, Sonate en mi mineur, Karol Szymanowsky, 9 préludes opus 1. Ligia 2020 (lidi 0103351-20).

Enregistré à Vilnius les 7-11 septembre 2020.

Mûza Rubackytė est née à Kaunas en Lituanie, au sein d’une dynastie de musiciens, et a grandi entre trois pianos forts occupés entre mère et tante. Le père juriste n’y résiste pas, il se convertit au chant d’opéra à l’âge de quarante ans.

À l'âge de sept ans, elle est admise à l’école des enfants surdoués de Vilnius avant d'intégrer le Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. En 1981, elle remporte un concours à Leningrad, et le Concours Franz Liszt de Budapest. Elle  commence une carrière internationale qui la mène, surtout à partir de 1989, sur les scènes du monde entier. Elle est aussi professeure à l’Académie de musique de Vilnius, ville où elle a créé un festival de piano. Elle a enregistré un peu plus de quarante albums et donne une cinquantaine de concerts et récitals chaque année.

Notre revue a eu l’occasion de présenter plusieurs de ses enregistrements pour Ligia Digital : Les œuvres de Julius Reubke (2017), les arrangements réalisés par Franz Liszt à partir des Lieder de Franz Schubert (2019), et avec le Quatuor Mattis, des quintettes de Dimitri Schostakovitch et de Mieczysław Weinberg (220).

Pour ce cédé, elle a réuni la gigantesque architecture de la sonate en mi mineur de Leopold Godowsky aux miniatures sophistiquées et poétiques que sont les neuf préludes de Karol Szymanowski.

Né en 1870 (il y a 150 ans) à Vilnius dans une famille aisée, formé très jeune au violon, Leopold Godowski a choisi le piano. À 14 ans, il étudie à la Haute école de musique de Berlin, puis à New York, trois années avec Camille Saint-Saëns à Paris. Il est nommé à l’âge de vingt ans professeur College de musique de New York. L’année suivante, il épouse Frida Saxe et obtient la nationalité américaine. Monstre sacré international du piano, il brille dans des arrangements d’œuvres pianistiques d’autres compositeurs, notamment de Chopin. Les esquisses de cette sonate datent de 1896. Il est nommé directeur de la classe de piano de l’Académie impériale de Vienne en 1909, et remet l’œuvre sur le métier au cours d’un séjour en suisse en été 1910. Occupé à ses transcriptions, il n’avait pas composé une œuvre originale depuis 10 ans. Il crée cette pièce à Londres le 29 janvier 1911. Elle fit de suite une grande impression.

Cette immense architecture en cinq mouvements d’environ cinquante minutes peut se présenter comme trois sonates d’égale durée : une vraie sonate en un mouvement, avec en épilogue une marche funèbre d’une dizaine de mesures, trois mouvements d’un magnifique lyrisme nostalgique, et un cinquième mouvement (en cinq mouvements) en miroir du premier récapitulant ses thèmes, variant le Dies irae de marche en prière, développant une fugue sur le nom de B-A-C-H (si bémol, la, do, si), et finissant pianissimo dans un esprit assez funèbre.

Karol Szymanowsky naît en 1882 en Pologne, dans une famille également très aisée, bénéficie d’une solide formation musicale et fait figure de l’entrée en modernité de la musique polonaise, regardant non sans contradictions vers la France, pour s’émanciper des influences russes et allemandes. Il a produit des œuvres de toute beauté, aussi novatrices que personnelles et a connu une célébrité méritée.

Szymanowsky a détruit ses œuvres de jeunesse, mais par bonheur a conservé ces neuf courts préludes numérotés opus 1. On peut y voir une forme générale : quatre épisodes lents ou modérés et lyriques, montant au climax du seul prélude rapide et impétueux, puis descente en quatre autres épisodes. Mais c’est un peu une vue de l’esprit, le huitième prélude marque une remontée en fougue et en puissance. Ce sont là des miniatures ciselées, plus pièces de genre, rêveries, pensées, etc., que préludes.

Mûza Rubackytė  dit aimer les musiques du début du xxe siècle, habitées d’incertitudes et d’inquiétudes, en fait le romantisme se mutant en expressionnisme depuis Vienne. Ce point de vue donne à son jeu, mais aussi à notre écoute une grandeur particulière tout à fait convaincante.

Leopold Godowsky, Sonate en mi mineur, ve mouvement, Dies irae, plage 5.

Leopold Godowsky, Sonate en mi mineur

1. Allegro non troppo ma appassionato ; Epilogue (andante tranquillo)

2. Andante cantabile

3. Allegro vivace e scherzando

4. Allegretto grazioso e dolce

5. Rétrospective (lento mesto) ; Larghetto lamentoso ; Fugue sur le nom de B–A–C–H ; Dies Irae (maestoso lugubre).

Karol Szymanowsky, 9 préludes opus 1

6. I. Andante ma non troppo

7. II. Andante con moto

8. III. Andantino

9. IV. Andantino con moto

10. V. Allegro molto - impetuoso

11. VI. Leonto - Mesto

12 VII. Moderato

13. VIII. Andante ma non troppo

14. IX. Lento-mesto

 

 Jean-Marc Warszawski
janvier 2020
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