musicologie

Claude Charlier, 18 décembre 2021 ——

Commentaires critiques à propos du Guide d’analyse musicale de Claude Abromont (1/3)

Abromont Claude, Guide de l'analyse musicale. « Musiques », Éditions universitaires de Dijon. Dijon 2019 [460 p. ; ISBN 978-2-36441-318-4 ; 28 €].

Il faut toujours rendre hommage à un auteur qui a le courage d’entreprendre un travail difficile sur une matière aussi complexe et austère que représente les techniques d’analyse musicale. Il s’agit d’une bible indispensable, que je recommande aux étudiants. Le principal mérite de cet ouvrage est assurément de proposer un bilan exhaustif sur les différents types d’analyse qui s’offre à eux.

Après une introduction d’intérêt général, l’auteur détaille les principales techniques d’analyse musicale et leur particularité. On est vraiment étonné de constater tous les angles d’attaque qui existe et en toute honnêteté, il y en a plusieurs dont je n’avais jamais entendu parler. Je regrette cependant que dans le chapitre réservé à l’analyse rhétorique (p. 263), l’auteur amenuise la qualité de son travail en se comparant à des professeurs d’Université bien plus savants que lui.

Il ne faudrait pas comparer les sections de Musicologie avec l’enseignement prodigué dans les Conservatoires. Ils sont complémentaires. L’enseignement dans les Universités est plutôt ciblé vers des connaissances livresques, bibliographiques et documentaires, nécessaires et dispensables.

Cependant, lorsque je recense les intitulés des thèses de doctorat, je regrette qu’il ne s’agisse pas toujours véritablement de thèses, mais souvent de constats historiques, certes bien documentés et utiles, mais qui suscitent rarement des idées neuves, contradictoires propices au débat.

En revanche, l’enseignement dans les conservatoires propose des cours plus techniques, plus proche des préoccupations de l’interprète. On a eu tort, trop souvent, de les opposer. Il semble que la tendance actuelle serait de jeter des ponts entre les deux disciplines. Je ne sais pas si c’est un bien, car on risque d’amputer l’essentiel de chaque enseignement et de former une élite moins pointue dans leur spécificité.

L’analyse doit dépendre de ce que nous demandons à chaque œuvre, et son but est de déconstruire, pour ensuite reproduire ou interpréter. Vu sous cet angle, l’enseignement des Conservatoires semble le mieux adapté.

Mais si on devait résumer ce « Guide » en quelques mots : il s’attache principalement à l’étude du contrepoint, de l’harmonie et de la forme. Tous les différents types d’analyse peuvent — peu ou prou — être rangés dans l’une de ces catégories.

On appréciera, particulièrement dans la synthèse (p. 347-361) la Frise temporelle des approches analytiques (p. 350), qui reprend tous les types d’analyse possibles en fonction de l’époque de la musique que l’on souhaite étudier.

J’ai, tout d’abord, relevé quelques conseils indispensables, d’intérêt général, particulièrement judicieux de l’auteur :

Dans la « Découverte » :

Avant tout, analyser implique d’identifier et de comparer. (p. 19).

Dans « Univers expressif »

Cette dimension se ressent souvent intuitivement, mais à la condition préalable d’avoir une bonne connaissance du style ambiant de l’époque du compositeur, voire du style du compositeur lui-même…
En effet, un des écueils de l’analyse tient quelquefois en une focalisation sur le début de la musique, ou sur ses traits les plus saillants, au lieu de la considérer dans sa globalité. (p. 21, 22).

Dans « Langage »

Une fois encore il est essentiel de considérer l’intégralité de la pièce à analyser. (p. 24).

Dans « La Documentation »

Pour comprendre la physionomie d’une pièce, il est bien sûr indispensable de l’étudier par elle-même, mais il est également important de la replacer dans son contexte. (p. 52).

Dans « Analyses et essais déjà publiés »

Il est donc légitime — et même indispensable ! — d’étudier les analyses préexistantes. (p. 56).

Dans ces quelques extraits, l’auteur insiste avec la plus grande sagacité sur le fait qu’avant de débuter une analyse, il faudrait préalablement considérer l’intégralité de la pièce à analyser, l’étudier par elle-même, la replacer dans son contexte et étudier les analyses préexistantes.

C’est en effet indispensable, si on souhaite parvenir à produire une analyse quelque peu crédible. Mais il s’agit bien souvent d’un vœu pieux rarement réalisé dans les faits.

Paradoxalement, ce qui frappe au premier abord, en lisant le texte de Claude Abromont, sont les exemples choisis pour les analyses. De courts extraits, de quelques mesures, envisagés hors de leur contexte et expliqués de manière ponctuelle ; je dirais une lecture verticale, statique dans le temps, sans aucune référence sur la structure générale de l’œuvre concernée, rarement sur sa genèse et surtout sans aucune considération sur les conséquences éventuelles de ce qu’elle pourrait engendrer pour le devenir des œuvres futures du compositeur.

Mais, il est vrai que ce livre est un « guide » et qu’il n’est sans doute possible que de citer de brefs exemples d’analyse à titre indicatif.

Pour ce qui concerne l’analyse musicale, j’ai toujours pensé qu’elle devait ouvrir à une meilleure compréhension de la musique par une explication claire, devant permettre de replacer l’œuvre analysée dans le processus créateur du compositeur… La théorie analytique pure n’a aucun intérêt en soi.

On comprendra, dans le cadre de cet article, qu’il ne soit pas possible de visiter toutes les techniques proposées, je me contente de mettre en lumière quelques techniques spécifiques en quelques commentaires, nous l’espérons judicieux.

Analyse en matière d’identité sexuelle (p. 327).

Dans cet exemple, et c’est le seul, du livre, l’auteur qui s’est intéressé de près à la musique d'Hector Berlioz propose une analyse de la Symphonie fantastique (1830) en matière d’identité sexuelle.

Il intègre son étude dans le contexte global de l’œuvre, selon les conseils préalables qu’il propose avant de procéder à toute analyse. Voici quelques extraits :

Une opposition masculin/féminin semble être présente dans l’esprit de différents compositeurs romantiques, et même parfois pour des générations plus tardives. (p. 329).

Depuis l’époque de Haydn, la plupart des premiers mouvements des symphonies… Depuis Beethoven, chacun ce ces deux mouvements formels est porté par un personnage thématique fort et mémorisable, le second devant être à la fois apparenté au premier et contrastant avec lui....

Dans les nomenclatures plus abstraites, on oppose simplement un thème A et un thème B.

L’auteur dans son enquête autour d’une idée fixe, 2016, qu’il reproduit dans ce « guide » défend avec crédibilité, mais aussi, semble-t-il, avec autant de doute, son analyse de l’œuvre de Berlioz. Ensuite, il termine par la lecture inversée de Robert Schumann.

Dans le cadre de la symphonie fantastique (1830) de Berlioz.... qui, d’après le programme,désigne la femme aimée. Schumann avait par conséquent raison de suivre son instinct en distinguant deux thèmes au sein de ce que nous pourrions considérer comme la première forme sonate féministe de l’histoire de la musique. (p. 329-330).

Il faut, au préalable, connaître l’œuvre si l’on veut apprécier tous les aspects de son commentaire. Il n’empêche que cela tourne autour de deux thèmes qui semblent s’opposer et de savoir lequel serait masculin, lequel serait féminin ? Il reste que c’est d’abord une analyse, je dirais, plus littéraire que musicale. Ce qui se révèle déterminant, c’est qu’il s’agit d’une musique à programme et que la spécificité des thèmes est basée sur base d’interprétation de l’intrigue. Qu’en serait-il de l’analyse en l’absence de texte ? Peu importe qui a raison, mais que change cela, pour le musicien, pour l’exécution de l’œuvre si les deux analyses semblent également crédibles ?

À ces deux argumentations discutables, je pourrais rétorquer que, déjà, Martin le Franc dans le « Champion des Dames » (v. 1441), est considéré comme le premier défenseur des droits de la femme. Il serait quand même étonnant d’avoir attendu cinq siècles avant d’avoir opposé un thème masculin et un thème féminin dans la musique occidentale !

Il faudrait, peut-être aussi, envisager dans ce type d’analyse, l’orientation en matière sexuelle du compositeur (trice), dont on devrait tenir compte, à toutes les époques, avant de se lancer dans des considérations aussi délicates. Cécile Chaminade (1857-1944) compose-t-elle de la musique féministe ? Les sonates d’Hélène de Montgeroult (1764-1836) sont-elles de la musique pour hommes ?

Peu importe, mais je souhaitais intégrer dans ce premier commentaire une analyse globale qui tient compte du contexte général de l’œuvre.

Analyse schenkérienne 

Je vous invite à relire attentivement l’analyse d’un choral de Johann Sebastian Bach par Heinrich Schenker (p. 289-290). Elle est constituée de couches et de sous-couches multiples pour aboutir savamment à la conclusion que la structure fondamentale du choral se résume à une simple cadence parfaite.

Même mieux, cette structure élémentaire repose sur une pédale de tonique de do. Si je souhaitais être un rien facétieux, la totalité de l’Art de la Fugue, le testament musical d’un des plus grands génies de la musique, pourrait se résumer, selon la philosophie de cette analyse, après avoir éliminé toutes les différentes couches à une vulgaire et rudimentaire pédale en mineur !

Dans la partition annotée (p. 364).

L’une des qualités majeures d’une bonne annotation reste en effet de demeurer lisible malgré la profusion d’informations. des textes rédigés qui risqueraient de surcharger le document, onpréfèrera alors des symboles et abréviations, en veillant à utiliser les mêmes codes dans les annotations…

En guise de simplification, nous sommes servis : le code musical, spécifique, originel, relativement accessible, auquel les musiciens ont été formés, est remplacé par un second code bourré de signes cabalistiques, de crochets, de flèches de toutes sortes, plus complexes à comprendre que la partition elle- même et proche des études de polytechnique !

Une sorte de faux savoir masquant la partition, qui doit inquiéter et faire douter le plus convaincu des musiciens… et si loin de leur centre d’intérêt !

Voilà un type d’analyse réalisée à l’emporte-pièce qui ne démontre rien du tout.

En envisageant les 300 Chorals harmonisés par Johann Sebastien Bach, même toute la musique tonale, on aboutirait, sans se creuser la cervelle, aux mêmes conclusions : I V I !

La seule manière intelligente d’approcher ce genre de pièce est l’exécution à l’orgue.

Main gauche ou droite sur un premier clavier, pour le soprano. L’autre main sur un second clavier pour l’alto et le ténor… Enfin, la basse au pédalier.

De préférence à quatre clés. Nous obtenons une lecture kaléidoscopique verticale et horizontale de quatre couches et cela est amplement suffisant. Mais voilà, c’est autrement plus difficile à réaliser que de manier une craie sur un tableau noir !

Analyse de l’harmonie (7) : vecteurs harmoniques (p.161). Je cite Claude Abromont :

Nicolas Meeùs (né en 1944) a été frappé par l’existence irréductible d’un cercle vicieux dans la conception usuelle de la tonalité :

un accord ne peut être reconnu comme tonique ou comme dominante que dans le cadre d’une tonalité donnée ; mais comment reconnaître la tonalité avant de savoir quelle est la tonique, quelle est la dominante ?

Seule une personne qui ne pratique pas l’instrument peut se poser cette question ! 

Il a posé comme postulat que :

le fondement de l’harmonie réside dans la succession des accords, plutôt que dans les accords eux — mêmes considérés chacun isolément. Ce qui détermine la fonction d’un accord, ce n’est pas tant le degré sur lequel il est construit que la façon dont il est amené et quitté ; ce qui détermine la tonalité, c’est moins la fonction que l’on peut attribuer à chacun des accords que la signification tonale de leur succession… (p. 161).

En conséquence, Nicolas Meeùs a souhaité, partir d’une définition des progressions harmoniques, avec comme avantage recherché la possibilité d’aborder un répertoire plus large que celui strictement tonal, notamment les musiques des xvie et xviie siècles, et celui de l’univers de la chanson.

L’ambition centrale de la théorie des vecteurs harmoniques, qu’il a initiée, est aussi d’offrir la possibilité de comparer de très nombreuses analyses, en faisant éventuellement des recherches statistiques sur certains traits harmoniques spécifiques, et ensuite d’en déduire des compréhensions stylistiques.

… Pour élargir et généraliser cette approche, Meeùs a repris l’idée de Riemann, qui pensait qu’un degré II, tout comme un degré VI, pouvait être analysé comme un degré IV (cela vaut également pour III et VII qui peuvent être un V, ou VI et III, qui peuvent être assimilés à un I). Cette identité est obtenue en substituant un accord à un autre, c’est-à — dire en supposant ou en omet — tant des tierces. (p.162).

Je souhaiterais la présence d’un traducteur !

Un véritable Tour de magie combiné à du charabia ! Parle-t-on encore, ici, de musique ? Il est déjà assez difficile de comprendre ce qui est écrit ; si l’on doit commencer à omettre des tierces et à substituer des accords pour comprendre la texture de l’harmonie, où va-t-on ?

Nicolas Meeùs compare ensuite une partition de J.S. Bach et de Roland de Lassus :

... On y découvre qu’une composition clairement tonale de Bach privilégie presque exclusive ment les vecteurs dominants. (p.163).
l’exemple 60, au contraire, montre un langage tout autre dans un madrigal de Lassus.

....On découvrira contrairement à l’exemple de Bach, une représentation quasi — similaire des vecteurs dominants et sous- dominants. (p. 164).

Il s’agit encore d’une technique d’analyse à l’emporte-pièce, ponctuelle, sans aucune assise historique.

Et évidemment, il ne faut pas être grand clerc, en la matière, pour se douter que les graphies seraient différentes.

Bien plus grave est de comparer l’harmonie tonale indiscutable de Johann Sebasian Bach (1685-1750) avec une œuvre de Roland de Lassus (1532-1594), bien antérieure et en utilisant une méthode d’analyse commune.

Lassus compose probablement de la musique mixte, instable, en partie modale et en partie tonale. C’est encore le cas dans les chorals pour orgue de Samuel Scheidt (1587-1654) dans lesquels il existe des versets entiers qui alternent modalité et tonalité !

S’il existe un « cercle vicieux », ce n’est certainement pas dans le cœur de l’harmonie ! D’autant plus que ces deux génies de la musique rédigeaient très probablement ces œuvres d’une manière linéaire, voix par voix.

Il serait peut-être temps de remettre ce type d’enseignement en question et d’arrêter de plâtrer des générations entières d’étudiants en leur inculquant des telles imbécillités.

Et toujours la même question ? Quelle est concrètement l’utilité d’une telle analyse ?

De l’intérêt et du danger des autoroutes (p. 37 - 38).

Dans ce chapitre consacré à la Découverte, Claude Abromont suggère ce qu’il considère comme une simple remarque d’ordre général. Il serait intéressant de butiner hors des sentiers battus et les classes d’analyse musicale ne devraient pas exclusivement se cantonner aux grands compositeurs : Bach, Haydn, Mozart. Dans le Guide des formes, nous nous étions déjà amusés à imaginer une définition de la forme sonate qui aurait été édifiée, non à partir des spécimens de Haydn, mais de ceux de Boccherini ! Et, ne serait-ce que pour la fugue, étudier Haendel au lieu de Bach change considérablement la perspective.

Je pense tout à fait différemment. Contrairement aux ballades touristiques, certes intéressantes, les autorutes seules sont dignes d’intérêt. Il faut s’attaquer aux géants et pas aux nains pour apprendre !

Seuls les compositeurs de seconde zone ont besoin d’une forme pour rassembler leurs idées. Personne ne me contredira si j’affirme que Johann Sebastian Bach n’a pas écrit deux fugues semblables et sans doute Ludwig van Beethoven, deux sonates identiques ! Le processus créateur des vrais génies est toujours en perpétuelle évolution et ils ignorent tout de la forme.

C’est pour cette raison que je défends d’abord l’analyse globale et herméneutique. Elle est indispensable avant de pouvoir aborder les aspects plus spécifiques.

Sans le contexte historique, on ne peut avancer que des contre-vérités !

J’aborderai, ce thème dans un second article où je me permettrai de réfuter les analyses relatives aux œuvres de Johann Sebastian Bach, citées dans livre de Claude Abromont, réalisées hors de tout contexte historique.

Cela n’enlève rien aux riches enseignements de ce guide de classe que je recommande à nouveau, que tout étudiant en musique devrait acquérir, avant de s’aventurer sur le chemin épineux de l’analyse musicale !

À suivre

  Claude Charlier
18 décembre 2021.
© musicologie.org

Commentaires critiques du Guide d’analyse musicale de Claude Abromont (2/3) : plaidoyer en vue d’une analyse musicale globale, diachronique et structurelle préalable à toute analyse ponctuelle.

Commentaires critiques du Guide d’analyse musicale de Claude Abromont (3/3) : Analyse rhétorique et Figurenlehre

Commentaires critiques du Guide d’analyse musicale de Claude Abromont (4/4) : Analyse implicative.

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Samedi 1 Janvier, 2022 23:06