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2019 —— Jean-Marc Warszawski.

Le festival Pau Casals vogue de Prades à Paris vers ses 70 ans

Pau Casals avait décidé de ne plus se produire en public, les États occidentaux refusant de marquer leur hostilité envers la dictature franquiste d’Espagne, ce sont les musiciens les plus en vue de leur époque qui sont allés  jouer chez lui, dans son exil de Prades, afin fêter le bicentenaire de la mort de Johann Sabastian Bach, dont le maître catalan a transformé les suites pour violoncelle en une des œuvres maîtresses du répertoire de concert.

La commémoration dans cette bourgade de vignerons et d’agriculteurs fut musicalement si grandiose, en 1950, qu’on voulut la recommencer. Le festival Pau Casals de Prades fêtera en 2020 son soixante-dixième anniversaire.

Ce sera également la vingt-septième année, au cours de laquelle la fine fleur musicale de cette institution, avec son directeur, le clarinettiste Michel Lethiec, donnera, hiver et printemps, deux concerts de prestige au Théâtre des Champs-Élysées.

Le 30 novembre, le Festival Pau Casals sera donc au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, pour un concert Mozart-Schubert (« le meilleur des slogans »). Au programme,  de Wolfgang Amadeus Mozart, le quatuor à cordes K. 465 « Les Dissonances » (donné à Prades par le quatuor Shanghai le 31 juillet dernier) et le quintette pour piano et vents K. 452. De Franz Schubert, l’octuor pour cordes et vents D. 80.

On y retrouvera le Quatuor Artis, Jean-Louis Capezzali (hautbois), Michel Lethiec (clarinette), André Cazalet (cor), Carlo Colombo (basson), Jurek Dybal (contrebasse), Jean-François Heisser (piano).

Dossier de presse ; Théâtre des Champs-Élysées ; Festival Pau Casals de Prades.

Grand hôtel de Molitg-les-Bains. Photographie © musicologie.org.

Mon dernier jour, vendredi 9 août 2019, passé au dernier festival Pau Casals, a commencé au Grand hôtel de Molitg-les-Bains, un centre thermal construit à flanc de montagne, avec des bâtiments et des terrasses accrochés à des parois rocheuses en à-pic de ravines. Un cadre à la fois un peu vieille France, impressionnant et de toute beauté.

Pau Casals a séjourné dans cet hôtel. Jeune marié de quatre-vingts ans avec une de ses élèves de vingt ans, on pensait peut-être qu’il serait ici plus à l’abri des médisances qu’à Prades. C’est en ce lieu qu’il reçut le beau piano Pleyel, cadeau d’un admirateur qui est toujours joué dans le grand salon.

Michel Lethiec et Isaac Rodriguez. Photographie © musicologie.org.

Michel Lethiec et Isaac Rodriguez ouvrent les festivités avec la sonate pour deux clarinettes de Francis Poulenc, où l’on peut percevoir l’influence d’Igor Stravinski, auquel Poulenc offrit d’ailleurs la partition. Au vif feu d’artifice sonore du dernier mouvement, le violoncelliste François Salque et la pianiste Xénia Maliarevitch (sur le piano de Pau Casals) répondent par l’élégie de Gabriel Fauré et celle de Jules Massenet (sans le chant), deux célèbres et magnifiques mélodies aux effets lacrymaux. Le guilleret Belle-Époque et joie de vivre caprice opus 12 de Gabriel Pierné balaie toute trace de mélancolie pour faire place au sourire, parfois sarcastique, de la sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, évoquant le soleil du Sud, la habanera et la guitare (ou la mandoline). Un programme bien logé en ce lieu.

Le violoncelliste François Salque et la pianiste Xénia Maliarevitch. Photographie © musicologie.org.

Le concert s’achève dans l’humour potache du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, agrémenté de facéties concoctées par Michel Lethiec et la lecture de Marie-Christine Barrault. Cette dernière, très entourée après le concert, explique qu’elle n’a pas retenu le (malicieux) texte traditionnel de Francis Blanche, vieux de soixante-dix ans. Soit et certes, des jeux de mots et des  sous-entendus seraient aujourd’hui incompréhensibles de la plus grande part du public. Mais en remplaçant ces poèmes assez courts, pleins de malice à égal humour des séquences musicales, par un collage de textes plus longs, souvent pontifiants et naïfs, voire enfantins, sur la protection des animaux et la prédation humaine à leur égard, elle fait une entorse à la cohérence stylistique du texte, ne fait aucune allusion à la musique, s’écarte de l’humour de  Saint-Saëns (auquel Francis Blanche rendait hommage), en fait une musique pour les enfants, inverse la relation du texte à l’œuvre. En effet, si la version Francis Blanche introduit la musique, dans cette version, la musique est sommée d’illustrer les textes. Ce qui est encore plus incompréhensible que ne l’est de nos jours le texte de Francis Blanche. Heureusement que les musiciens se sont quant à eux tenus à un texte vieux de 133 ans.

Le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, « L'aquarium ». Photographie © musicologie.org.

Marie-Christine Barrault en discussion avec le flûtiste Patrick Gallois. Photographie © musicologie.org.

Après ce Carnaval qui a ravi le public malgré ma tronche en biais, nous sommes invités à un buffet. Le tampon sur le poignet pour y accéder n’est pas de la première élégance, il semble qu’il faille aussi montrer patte blanche pour le cocktail. Ça me semble un peu compliqué, je me passe des complications. Les choses du buffet sont succulentes, cela correspond au moins au cadre semi-luxueux de la maison, mais 25 euros, c’est un peu onéreux, d’autant que le café (3 euros) n’est pas compris. Ça fait petit.

Le buffet « picoti-picota » (poco picolo) au Grand hôtel de Molitg. Photographie © musicologie.org.

À table, je fais connaissance d’un couple fidèle au festival. On comprend très vite qu’on n’admet ici aucune critique contre le patron Michel Lethiec. Nous nous érigeons rapidement en jury gastronome. Il faut goûter à tout et tout commenter. L’unanimité se fait sur le feuilleté au boudin et aux pommes. La confiance établie, papilles ne mentent pas, ils me racontent l’histoire du père, paysan en montagne, qui se fait prêter un violon pour en fabriquer une copie. Il va par la suite passer du temps dans les cafés pour entendre les airs à la mode et les violoneux qui s’y produisent et font danser. De nouveau dans sa montagne, il reproduit ces airs sur le violon qu’il a reproduit, y compris La méditation de Thaïs de Massenet… Et devient lui-même un violoneux de cafés et de mariages.

Nous retournons au grand salon, où l'incritiquable Michel Lethiec, qui connaît la vie de Pau Casal sur le bout des doigts, donne une conférence sur les relations du maître catalan et Paris, où il fut parfois accueilli avec condescendance avant qu'on l’admire sans réserve, mais où il format au début des années 1900 un  trio mythique avec Jacques Thibaud et Alfred Cortot.

En redescendant dans la vallée, je pense à cette histoire du violoneux. Je réalise qu’en perdant de vue ces gens sympathiques, j’ai aussi perdu l’occasion de raconter une histoire singulière et combien touchante.

Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photographie © musicologie.org.

Le soir, nous nous retrouvons  dans le magnifique cadre de l’abbaye Saint-Michel-de-Cuxa,  pour un programme d’une immense générosité musicale, repris d’un concert  de juillet 1959 en ce même lieu. À l’époque on y jouait à ciel ouvert, il n’y avait pas de toit : le concerto pour violon (Ulf Wallin) BWV 1042 de Johann Sebastian Bach, La sérénade pour vents K 388 de Wolfgang Amadeus Mozart, et le coup de jeunesse déjà coup de maître, l’octuor opus 20 de Félix Mendelssohn, une de ces œuvres qu’on emporterait sur l’île déserte. Il faudrait alors nourrir et abreuver les musiciens, ce qui donne tout de même à réfléchir. Mais l'idée est là.

Emil Rovner à Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa. Photographie © musicologie.org.

 

 Jean-Marc Warszawski
19 novembre 2019

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Lundi 17 Août, 2020 23:30