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Berlin, 31 octobre 2019 —— Jean-Luc Vannier.

Laurent Pelly met en scène l’inconscient des Contes d’Hoffmann à la Deutsche Oper de Berlin

Les Contes d'Hoffmann. Deutsche Oper Berlin. Photographie © Bettina Stöss.

Coproduction de l’opéra national de Lyon, du San Francisco Opera et du Gran Teatre del Liceu de Barcelone, la deutsche Oper proposait mercredi 30 octobre Les Contes d’Hoffmann dans une mise en scène signée Laurent Pelly. Auteur en février 2018 d’un somptueux Il Barbiere di Siviglia à l’opéra de Marseille, le metteur en scène s’attaque cette fois-ci aux « voix de l’inconscient », titre de sa note d’intention. Et d’expliquer : « de tous côtés surgissent des forces à l’inquiétante étrangeté » (unheimlich). « L’ambivalence des personnages… Une frontière jamais claire entre fiction et réalité… Des forces obscures, secrètes… Des personnages qui projettent sur le monde extérieur leur intériorité », rien ne manque à la dimension psychanalytique dans l’étude de Laurent Pelly. Tout comme Enrique Mazzola, interviewé lui aussi et qui précise: « le monde onirique dans Les Contes est toujours très proche du monde réel et peut percer à tout moment ». En témoigne, par exemple et en sens inverse, l’apparition sur le plateau juste après la chanson d’Olympia, de l’appareillage scénique qui détruit toute la magie apparente de sa prestation chorégraphique. Précédés des exclamations de surprise du public, les applaudissements valent assurément mécanisme de défense contre le surgissement, soudain et destructeur de la fantaisie, de la réalité. Peut-être cette mise en scène aurait-elle pu éviter dans ce registre du fantastique certains procédés éculés. Si Laurent Pelly rend la chanson de Klein Zack vivante en faisant dynamiquement évoluer les chœurs — magnifiques au demeurant nonobstant de légers décalages avec l’orchestre à l’acte II — l’emploi de la vidéo à l’acte III — l’inévitable disque psychédélique et le spectre de la mère — parasite un des moments de l’œuvre parmi les plus denses vocalement et scéniquement.

Les Contes d'Hoffmann. Deutsche Oper Berlin. Photographie © Bettina Stöss.

Nous ne tarirons pas d’éloges sur la direction musicale de Daniel Carter. Direction d’autant plus méritante en raison des nombreuses difficultés des chanteurs. Le maestro australien fait heureusement face, lance des attaques orchestrales aussi précises qu’il tranche chirurgicalement dans les arrêts. Et sait mettre superbement en valeur les particularités instrumentales de la partition : le violoncelle solo (Arthur Hornig) pour évoquer Stella à la fin de l’acte I, le premier violon (Reinhold Wolf) sur la chanson de la tourterelle au début de l’acte III, les cuivres (Martin Wagemann) en ouverture de l’épilogue ainsi que ces quelques notes mystérieuses et inhabituelles — loin des chutes en tutti — destinées à clore la partition. Du bel ouvrage.

La distribution nous aura en revanche déçu: nous ne sommes guère surpris par la demande officielle d’indulgence, avant l’acte IV, due aux difficultés dans le rôle-titre du ténor belge Marc Laho, déjà souffrant pour La Reine de Chypre au TCE en 2017. Sa tentative, vite avortée au second acte où son forte a frôlé le déraillement, l’a obligé à ne plus pousser sa voix. Et ce malgré de beaux accents. Hormis Jörg Schörner pour Spalanzani (et Oloferno Vitellozzo dans Lucrezia Borgia à la deutsche Oper en 2013) et Jean-Vincent Blot pour Crespel (et Un Noble Brabant dans Lohengrin à Marseille), la diction du français n’aura pas été hélas au rendez-vous de cette production : nonobstant ses efforts dans l’acte II, la soprano Heather Engebretson (Stella, Olympia, Antonia et Giulietta) s’agite hystériquement sur scène mais ne parvient pas à nous convaincre par ses aigus à la sonorité métallique. Sans parler du fait qu’elle devient aussi incompréhensible qu’inaudible pour la partie parlée de son rôle. C’est pire pour le baryton-basse coréen Byung Gil Kim (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dappertutto) : ligne de chant complètement monolithe, sans nuance, sans accent et finalement très ennuyeuse. Aucun effort de diction ne vient par surcroît sauver sa triste prestation. Irène Roberts s’en sort beaucoup mieux dans son interprétation de Nicklausse. Gideon Poppe (Andrès, Cochenille, Franz et Pitichinaccio), Annika Schlicht (La Voix de la mère), Tobias Kehrer (Maître Luther et Un Député des Flandres dans un Don Carlo berlinois), Matthew Cossak (Hermann), Timothy Newton (Schlemihl) et Ya-Chung Huang (Natanael) complètent cette distribution. Tout comme à Monte-Carlo : à chacun ses Contes d’Hoffmann. Et Laurent Pelly de le confirmer : « à chaque fois que l’on s’approche d’une grande œuvre, on découvre quelque chose de nouveau, de nouvelles perspectives, de nouvelles possibilités, de nouveaux liens ».

Daniel Carter. Photographie © D. R.

 

Berlin, le 31 octobre 2019
Jean-Luc Vannier


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