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Théâtre des Champs-Élysées, 12 septembre 2017, par Frédéric Norac ——

Une Lucia en demi-teintes : les débuts parisiens de  Jessica Pratt

Jessica Pratt. Photographie © D. R.Jessica Pratt. Photographie © D. R.

En ouverture de leur saison 2017-2018, « Les Grandes voix » proposaient une version de concert de Lucia di Lammermoor, dédiée à Maria Callas (qui en fut en effet une des grandes interprètes), à l'occasion de 40e anniversaire de sa mort. Curieux hommage en vérité et dont on se demandait à l'entracte s'il n'aurait pas fait se retourner la Divine dans sa tombe (si toutefois elle en avait une). Héroïne de la soirée,  la soprano Jessica Pratt, nouvelle coqueluche des amateurs de belcanto, dont c'étaient les débuts parisiens, appartient à un tout autre registre que celui de son illustre aînée.  Dès son air d'entrée, il est évident que sa Lucia n'aura pas la profondeur dramatique de celle de sa devancière. La voix certes est belle, étendue, brillante dans l'aigu, la technique irréprochable, mais l'interprète semble surtout concentrée sur la vocalité pure et paraît d'une expressivité plutôt limitée. Cette première impression « négative » se dissipe un peu dans le duo avec le baryton où la soprano trouve des attitudes et des gestes,  sans doute venus de son expérience scénique du rôle, qui alliés à des accents plus marqués, apportent enfin au personnage un peu de ce pathos qui lui faisait défaut jusque là. Mais il faut attendre la fameuse scène de la folie pour que l'interprète se révèle enfin tout à fait. Gérant avec une remarquable maîtrise la colorature et avec un sens très personnel de l'ornementation, la chanteuse échappe à toute référence et impose sa propre conception du personnage, certes un peu retenue mais d'une grande musicalité, déchainant après sa cavatine une ovation qui interrompt un bon moment le concert et fait se demander si elle n'accordera pas un bis à ses fans venus en masse et déchaînés.

Autour d'elle,  le reste de la distribution se révèle plus « traditionnel » mais d'excellent niveau : Luca Salsi, baryton solide et bien timbré, incarne un Enrico vindicatif et autoritaire à souhait. La conduite de chant authentiquement belcantiste de la basse généreuse de Riccardo Zanellato est un miracle d'élégance et de style dans son grand air de l'acte 2. Seul,  l'Edgardo au timbre uniformément nasal, à l'émission poussive, au chant emphatique, de Paolo Fanale déçoit. Ses moyens de ténor mozartien ne semblent pas exactement le prédestiner à un emploi aussi dramatique. Il  gâte un peu la scène du Wolfcrag et délivre une scène finale très ordinaire. Le charme et l'élégance qui lui font défaut sont à trouver chez l'Arturo du jeune ténor basque Xabier Anduaga, superbement timbré, qui malgré ses 22 ans  ne fait qu'une bouchée de son entrée à la fin du premier acte, avec une ligne de chant immaculée et un aplomb scénique qui font regretter que le rôle soit si court. Valentine Lemercier (Alisa) et Kevin Amiel (Normanno) apportent un soutien efficace aux protagonistes. On doit à Roberto Abbado  en grande partie la réussite de la soirée. Sa direction vivante, théâtrale mais toujours attentive aux chanteurs, à la tête de l'orchestre national d'Île-de-France (à qui son directeur musical Enrique Mazzola a d'évidence inoculé le virus du bel canto) porte le plateau et l'Ensemble lyrique Champagne-Ardenne jusqu'au meilleur d'eux-mêmes. Notons que la partition est donnée dans son intégralité. Non seulement il n'y manque aucun numéro ni passage en récitatif, mais toutes les cadences, reprises et variations y sont vraiment respectées, en tout cas pour ce qui concerne le rôle-titre. Un souci d'authenticité qui mérite d'être souligné et confère à la soirée un intérêt supplémentaire

Frédéric Norac
12 septembre 2017


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