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Monaco 15 juin 2019 —— Jean-Luc Vannier.

La joie de la souffrance de Chen Qigang dirigé par Yu Long : la philharmonie de Monaco à l’heure chinoise

La route de la soie

 

« La Route de la Soie » musicale passait, vendredi 14 juin, par Monaco dont l’orchestre philharmonique proposait à l’auditorium Rainier III un concert « Grande Saison » estampillé « horizons lointains ». Au programme : Instant d’un opéra de Pékin, Ouverture symphonique et La joie de la souffrance, Concerto pour violon, deux œuvres du compositeur Chen Qigang créées au Festival de Pékin en 2017 et dont c’était la première exécution à Monte-Carlo.

Dernier élève d’Olivier Messiaende 1984 à 1988,  Chen Qigang dont le père « était un grand amateur de musique chinoise traditionnelle », nous explique que ses créations puisent dans la souffrance, « celle d’avoir perdu un fils unique il y a 7 ans ». « J’ai accepté depuis de poser un regard critique sur le passé ». Lui qui n’avait jamais enseigné, précise « avoir créé un atelier musical gratuit dans la montagne au sud de Guang Zhou, lieu propice à la méditation ».

L’Ouverture symphonique Instants d’un opéra de Pékin reprend deux thèmes d’une œuvre donnée pour l’inauguration du Shanghai Symphony Hall. Au commencement, notes des vents et de la harpe pianissimi, progressivité très mesurée des sons qui donnent le sentiment d’une immense étendue, d’un espace sidéral d’où surgissent, ici et là, les premiers signaux de la vie à l’aide d’instruments spéciaux (cymbale suspendue, tam-tam chinois médium…). L’orchestre se réveille avec l’entrée des cordes à laquelle succède une marche à la cadence particulièrement martelée. Les crescendos et tutti se multiplient dans une sorte d’emballement non maitrisé (la frénésie du développement économique de la Chine contemporaine ?) pour aboutir à un mouvement orchestral d’une incroyable ampleur (on imagine aisément le lit évasé d’un fleuve à son aval). Deux forces antagonistes s’opposent — le mouvement ample contre l’agitation — avant de revenir, par une singulière circularité de la partition, à la délicate quiescence des toutes premières mesures. Et ce, non sans avoir dérouté l’audience qui croit la pièce terminée après une chute des plus classiques.

Chan QuigangChen Quigang (compositeur). Photographie © D. R.

Interprété par le soliste et artiste en résidence Maxim Vengerov, « rencontré par hasard à Pékin et le hasard est très important pour moi » dit encore le compositeur,  le Concerto pour violon La joie de la souffrance qui s’origine dans d’autres circonstances, plus tragiques, nous étonne par une relative analogie de structure dans l’écriture avec la pièce précédente: déchirement pianissimo du violon qu’accompagne un orchestre porté par l’écoute empathique, récit tourmenté par le soliste dans un dialogue plus fécond comme si une accordance entre les deux avait été trouvée, amplification de ce dialogue dans une accélération virtuose du violon – le compositeur a tant à dire – avant que n’apparaisse, là encore, une marche heurtée, non dénuée de violence. Le violon de Maxim Vengerov change alors de registre, exprime avec plus de douceur la nostalgie – magnifique duo du soliste avec la clarinette de Marie B.—, puis rythmicité et vivacité d’un retour à la vie, dépassement du deuil (?) et, de nouveau, tutti et frénésie orchestrale qui précèdent des phrasés nettement plus ouverts. Une note unique tenue — le violon de Liza Kerob pour Instants d’un opéra de Pékin et la contrebasse de Marie Chirokoliyska pour La joie dans la souffrance — clôt les deux morceaux sur une impression très poétique d’éternité.

En deuxième partie, le maestro Yu Long offre une interprétation très personnelle de la Symphonie no 5 en mi mineur, opus 64 de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Contrairement à la version entendue en 2015 au Palais Princier de Valery Gergiev, l’actuel Directeur Artistique de l’Orchestre philharmonique de la Chine hystérise — influence du compositeur ? — la nature de l’œuvre : tempi pressés, presque expéditifs, dramatisation de la marche, relief imposant donné aux accentuations, un Allegro de la valse qui passe outre le moderato, ampleur inégalée, débordante du finale. Nous ne reprocherons pas la cohérence de cette direction, soutenue avec une rare énergie d’un bout à l’autre de l’exécution. Celle-ci évidemment souffre, en contrepartie, d’une faiblesse esthétique : l’exubérance, même teintée de pathétisme, plonge ses racines, faut-il le rappeler, dans une extrême sensibilité.

 

Monaco, le 15 juin 2019
Jean-Luc Vannier

 

 

 

 

 

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