One Performance-One Life. Ballets de l'Opéra de Shanghai. Photographie © Alain Hanel.
上海 Shang Hai. Littéralement : sur la mer. Malgré la présence de la clé de l’eau dans le second idéogramme, ce serait plutôt celle du feu qui aura marqué, mercredi 7 novembre Salle Garnier, la fascinante prestation des Ballets de l’opéra de Shanghai. Une avant-première des plus originales : les danseuses et danseurs de la Compagnie chinoise participeront dès le 19 novembre prochain à la nouvelle production de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns par l’opéra de Monte-Carlo dans le cadre de la Fête nationale monégasque. Comme nous l’expliquait son vice-président, Wu Jie, l’opéra de Shanghai, ce sont des chanteurs lyriques, un chœur de plus de 80 personnes, un orchestre d’une centaine de musiciens et une compagnie de ballets.
Sword. Ballets de l'Opéra de Shanghai. Photographie © Alain Hanel.
La performance proposait en première partie une enfilade de brèves saynètes offrant une palette variée de chorégraphies : Paper-cutting Girls (chorégraphes : Zhang Weidon et Xu Jin), Remaining Charm in Xunyang (chorégraphe : Ma Tao) et surtout Peacock (chorégraphe : Gan Lu), inattendue danse qui rappelle celle du ventre, originaire — nous dit-on — du Yunnan et dont la célèbre chorégraphe et danseuse Yang Liping a fait sa spécialité. Ces trois propositions mettent en exergue une hyperféminité dont l’apparente pudeur accentue d’autant les traits de coquetterie : les danseuses n’hésitent pas, sur fond de mélodie traditionnelle chinoise remixée rythmiquement, à multiplier les déhanchements et autres cambrures suggestives tout en conservant l’exquise candeur d’une grâce naturelle. L’abondance des costumes enrichis de voiles amples et soyeux densifie la fluidité ondulatoire des mouvements.
Early Spring. Ballets de l'Opéra de Shanghai. Photographie © Alain Hanel.
Les évolutions masculines telles que Sword (chorégraphes : Zhang Yushao et Liu He) et Fire-Life (chorégraphe : Ma Tao) semblent davantage dans la retenue, comme si elles ne parvenaient pas — entièrement — à s’affranchir des registres attendus de la virilité. Une impression qui, il faut nettement le souligner, disparaît totalement lorsque les danseurs exécutent, comme en deuxième partie, davantage de solos : Farewell to My Concubine (chorégraphie : Ma Tao) et Roses, une chorégraphie de Ma Tao inspirée du Carmen de Georges Bizet, manifestent une impressionnante liberté créative, hautement personnalisée dans les gestuelles et dans la relation entre l’espace scénique et les corps.
Peacock. Ballets de l'Opéra de Shanghai. Photographie © Alain Hanel.
Trois études chorégraphiques méritent à notre avis une mention tout à fait spéciale : interprété par Tan Yimei, One Performance-One Life (chorégraphie Zhang Fan) réussit l’exploit de rendre intimistes, feutrés, ses mouvements acrobatiques tandis que l’extrême flexuosité de ses bras et mains nous procure l’illusion optique d’un infini corporel. Absolument magnifique. D’une somptueuse beauté, plutôt classique de facture, le pas de deux Early Spring (chorégraphe : Wang Yuanyuan) dansé par Yang Jinging et Chen Peng fait immanquablement penser aux splendides prestations des élèves de l’Académie Princesse Gracetout comme le Family-Maifen & Juexin (chorégraphe Ma Tao) exécuté par Min Yan et Song Yu. Ces deux morceaux suscitent une imparable émotion : expressivité grave, très humanisée, des visages, délicate gestuelle des effleurements du couple qui, étonnamment, n’altère pas sa profonde et authentique incarnation. Superbe. Et surtout, le même tragique du thème, celui où le triomphe de l’amour implique en soi sa part de malheur : qui veut la jouissance est vulnérable aux souffrances, et qui veut avant tout s’épargner la douleur se prive de jouissance. Une approche qui n’est pas sans rappeler la célèbre légende chinoise de Liang Shanbo et Zhu Yingtai, les amants éternels qui préfèrent mourir que de vivre séparés.
Fire-Life. Ballets de l'Opéra de Shanghai. Photographie © Alain Hanel.
Nonobstant une soirée aussi exceptionnelle qu’inoubliable, nous formulerons néanmoins un double regret : celui, tout d’abord, d’un recours systématique aux projections vidéo, à même de nuire, selon nous, à la nécessaire concentration sur des évolutions scéniques richement mises en lumière (Liu Shenhui). Celui, en second lieu, lié au port de maillots et collants d’une triste couleur chair : s’ils uniformisent la perception des corps des danseuses et danseurs, ils ont aussi pour conséquence d’aseptiser l’intensité émotionnelle qui se dégage de la prestation chorégraphique.
Nous attendons avec une impatience non dissimulée de découvrir ces Ballets de l’opéra de Shanghai lequel coproduit avec les Chorégies d’Orange le Samson et Dalila de l’opéra de Monte-Carlo.
Monaco, le 8 novembre 2018
Jean-Luc Vannier
Interprètes : (femmes)Yang Jingjing, Ren Ke, Zhou Jie, Weng Xiji, Zhang Sihan, Zou Danni, Su Nannan, Wang Yue, Tan Yimei, Song Jie,Min Yan et (hommes) Pang Lijia, Tao Qing, Yin Zihang, Min Yan, Chen Peng, Song Yu, Li Shengzhao, Zheng Yuetian, Chen Haowei, Sun Fang Zhao Tianrui.
Éblouissant Das Lied von der Erde avec l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Eliahu Inbal —— La Chapelle musicale Reine Élisabeth et J. Offenbach pour l’ouverture de saison à l’Opéra de Monte-Carlo —— De L’Ombre à La Lumière : Klein, Dohnányi, Weinberg et Cras mis à l’honneur par le Trio Goldberg —— Monte-Carlo : M. Vengerov avec Chostakovitch et « l’expérience » K. Yamada de la Ve Symphonie de Beethoven ouvrent la saison philharmonique —— The Lavender Follies création de Joseph Hernandez et White Darkness de Nacho Duato aux Ballets de Monte-Carlo.
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Jeudi 8 Novembre, 2018 22:11