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Monaco, 13 juillet 2018 —— Jean-Luc Vannier.

Dancing with Bergman vibrant hommage chorégraphique au Monaco Dance Forum

Anna Herrman, Nina Botkay, Olivia Ancona et Alva Inger Armenta. Photographie © Erik Berg.Anna Herrman, Nina Botkay, Olivia Ancona et Alva Inger Armenta. Photographie © Erik Berg.

Ingmar Bergman aurait eu 100 ans le 14 juillet 2018. Afin d’honorer la mémoire et l'œuvre de cet immense metteur en scène et réalisateur, trois chorégraphes suédois présentaient, jeudi 12 juillet dans le cadre du Monaco Dance Forum et après avoir obtenu un franc succès au Théâtre des Champs-Élysées en juin dernier, trois pièces aussi étonnantes que superbes : 4 Karin de Johan Inger, Thoughts on Bergman d’Alexander Ekman et Memory (2000-2018) de Mats Ek. Pour introduire chacune de ces œuvres : un montage vidéo dévoilant les coulisses, les échanges entre les acteurs et le metteur en scène — magnifique dialogue impromptu sur l’amnésie des souvenirs d’enfance — et, parfois, un regard porté sur les tristes décors naturels, froids et enneigés, lors des plus célèbres tournages : Cris et Chuchotements (1972), La Honte (1968), Fanny et Alexandre (1982), Sonate d’automne (1978), Persona (1968), Les Fraises sauvages (1957) ou De la vie des marionnettes (1980). Séparées par une vingtaine d’années (Mats Ek est né en 1945, Johan Inger en 1967, Alexander Ekman en 1985), trois générations de chorégraphes planchaient pour nous offrir trois visions de l’auteur aux multiples récompenses, dont à ce jour l’unique « Palme des Palmes » au Festival de Cannes 1997. Visions pas totalement distinctes si nous voulons bien nous souvenir des liens spirituels dans la formation chorégraphique des deux plus jeunes avec leur aîné.

Alexander Ekman. Photographie © Erik Berg.Alexander Ekman. Photographie © Erik Berg.

Probablement en référence à la mère d’Ingmar Bergman, 4 Karin de Johan Inger fleure bon le didactisme chorégraphique : la vidéaste Hélène Friberg joue au professeur et invite le public à regarder une première fois La danse des femmes condamnées, sombre étude psychologique et court métrage de l’auteur réalisé en 1976. Suit une explication succincte de texte — confirmant l'interprétation facilement accessible par l’intelligibilité de la dramaturgie — puis une nouvelle exécution afin de mieux saisir les pensées latentes de son créateur. Interprétée par Anna , Nina Botkay, Olivia Ancona (aperçue au Batsheva Ensemble en février 2011 et Alva Inger Armenta, cette chorégraphie met aux prises quatre femmes dans un univers désespérément clos : complexité de la transmission intergénérationnelle, résistances dans les efforts, teintés d’ambivalence, d’émancipation de la fille, dualité conflictuelle psychique de la mère incarnée par deux danseuses, objet transitionnel sous la forme d’une poupée de chiffon vers laquelle revient inlassablement la plus jeune. Laquelle refuse peut-être de grandir vu l’étouffement final par des mains qui lui interdisent d’entendre, de voir et de dire. Johan Inger, que nous avions apprécié dans In-Exact aux Ballets de Monte-Carlo en avril 2011, travaille toujours sur des figures d’extension des membres et des corps à l’opposé des évolutions plus rentrées, recroquevillées presque, dévolues à la grand-mère vêtue de noir. Le tout ponctué par la lourde résonance, porteuse de renonciation sacrificielle, des « Apprendete pietà » du Il Ballo delle Ingrate de Claudio Monteverdi. Le terme de « ravage » évoqué par Jacques Lacan en 1973 à propos de la relation mère-fille (« L’étourdit », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001) n’est sans doute pas un vain mot.

Ana Laguna et Mats Ek. Photographie © Erik Berg.Ana Laguna et Mats Ek. Photographie © Erik Berg.

Pour son Thoughts on Bergman, le chorégraphe et ancien danseur du Ballet royal de Suède Alexander Ekman, qui avait créé Rondo pour les Ballets de Monte-Carlo en décembre 2012, interroge pêle-mêle les conceptions chorégraphiques, musicales et théâtrales d’Ingmar Bergman. Et ce, sur la base du film, très analytique lui aussi, Persona : le silence de l’un qui appelle, nolans volans, la parole de l’autre. « Qu’est-ce que la danse ? » : un mouvement sans but, effectué par pur plaisir, comme le propose une voix off ? Un plaisir néanmoins à partager et qui conduit le chorégraphe et danseur à s’affranchir des limites du plateau pour oser une incursion dans la salle et inviter une spectatrice à un bref et langoureux slow. Illusoire tentative malgré la beauté du Nocturne n° 2, opus 9 en mi bémol majeur de Frédéric Chopin : la conclusion — réaliste — de Bergman est sans appel : « la solitude est totale ».

Ana Laguna et Mats Ek. Photographie © Stéphanie Berger.Ana Laguna et Mats Ek. Photographie © Stéphanie Berger.

D’une ineffable beauté et d’une infinie douceur, Memory (2000-2018), le duo d’Ana Laguna (63 ans) et de Mats Ek (73 ans et qui a participé à la chorégraphie d’un Gala de l’Académie Princesse Grace en 2015) décrit les somptueuses évolutions d’un couple autour d’un mobilier intérieur des plus rustiques. Somptueuses par la densité dans l’accomplissement, subtil mais authentique, du geste le plus évanescent et le plus anodin, par l’expression incommensurable, sur les visages comme dans l’ébranlement des corps, d’un pur sentiment de bonheur achevé, complet, inaltérable. Même en face de la mort. Époustouflant de puissance et de sérénité.

Monaco, le 13 juillet 2018
Jean-Luc Vannier
 


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