Corps désarticulés qui se déhanchent en recherche d'une orientation spatio-temporelle, déroutantes évolutions scéniques où la liberté individuelle du mouvement semble a priori l'emporter sur une synchronisation du groupe dont la précision se révèle finalement millimétrique, alternance soudaine de rythmes musicaux saccadés et de profonds silences qui stoppe net la richesse d'un élan gestuel pour laisser des êtres immobilisés, comme en suspens d'eux-mêmes, surprenants enchaînements chorégraphiques qui électrisent les danseurs reliés par le fil d'une invisible ferveur. Et, au final, un extraordinaire sentiment de partage, de mise en commun d'énergies et de cœur avec un public enthousiaste, saluant la prestation d'une ovation debout.
Célébrant dix années d'un travail mêlant présentation de morceaux issus de son répertoire et recherche d'une nouvelle expressivité, le Monaco Danse Forum accueillait vendredi dernier les subtiles performances du « Batsheva Ensemble », jeune troupe de danseurs israéliens dirigés par le chorégraphe Ohad Naharim. Né en 1952 au Kibboutz Mizra, acclamé comme l'un des plus éminents directeurs artistiques et chorégraphiques de son temps, Ohad Naharim est passé par la Julliard School de New York, avant, dans les années quatre-vingt-dix, de chorégraphier plus d'une vingtaine d'œuvres pour cette division prometteuse et avant-gardiste du Batsheva. Tout en retravaillant des pièces et autant de créations personnelles, toujours en évolution, pour les inscrire au programme de la jeune compagnie.
Il était difficile, l'autre soir, de ne pas prendre la mesure ou de prétendre ignorer l'empreinte culturelle des artistes membres du « Batsheva Ensemble » : un engagement total, un investissement physique et psychique sans réserve avec cette dose de jusqu'auboutisme, de don de soi qui trahit la dimension symbolique, inconsciente et civilisationnelle de cette production. Pour qui connaît les tendances contradictoires fondamentales de la société israélienne, le « Batsheva Ensemble » assume ce mélange de raffinement esthétique exacerbé et cette violence calculée dans l'exécution du geste et l'accomplissement du rythme par les corps.
La scène la plus énigmatique demeurera sans doute celle où, en demi-cercle, un courant passe chez chacun des danseurs jusqu'au dernier qui, soumis à l'acmé de la décharge, jaillit hors de sa chaise comme électrocuté : la scène se répète compulsivement suggérant une commisération souffrante pour celui qui en bout de chaîne, réitère dans un effort désespéré, lourd de résignation, le geste de se traîner jusqu'à sa place. Pugnacité humaine contre acharnement du destin.
Interprètes : Olivia Ancona, Gon Biran, Omri Drumlevich, Bret Easterling, Danielle Gal, Nitsan Margaliot, Nitzan Ressler, Lotem Regev, Gil Shachar, Or Schraiber, Marija Slavec, Stav Struz, Maya Tamir, Eduard Turull, Annie Rigney et Keren Pardes.
Nice, le 21 février 2011
Jean-Luc Vannier
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Samedi 2 Mars, 2024