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Théâtre des Champs-Élysée, 3 mai 2016, par Frédéric Norac ——

Le baroque allemand selon Philippe Jaroussky

Philippe JarousskyPhilippe Jaroussky. Photographie © D. R.

 

Dans la foulée du disque qu'il vient de faire paraître chez Warner, Philippe Jaroussky en tournée européenne avec le même programme Bach-Telemann, faisait halte au Théâtre des Champs-Élysées en compagnie de l'ensemble de Julien Chauvin, le Concert de la Loge.

Si Telemann est le plus prolixe des compositeurs du Baroque allemand — pas moins de 1700 cantates si l'on en croit la notice de Vincent Borel —, sa musique n'a certes pas l'originalité et la profondeur mystique de celle de Bach. On y retrouve les caractéristiques du style galant, plus générique, certes avec une belle veine mélodique mais moins de richesse contrapuntique. C'est frappant dès l'ouverture de la  suite pour cordes, TWV 88 dont la structure à la française évoque à s'y méprendre l'opéra händélien. Les cantates de la Passion « Der am Olberg zagende Jesu » qui évoque le Christ au Mont des Oliviers et « Jesu liegt in letzten Zügen » la Crucifixion,  partagent avec celles de Bach l'inspiration piétiste mais elles restent dans un registre nettement plus décoratif, plus proche de l'opéra italien que de la musique religieuse, et la douleur n'y a pas cette prégnance susceptible d'émouvoir l'auditeur jusqu'aux tréfonds comme chez le cantor.

Le contre-ténor s'y montre élégant, bien chantant, avec une articulation allemande châtiée dans les récitatifs, donnant à entendre le versant le plus « enfantin » de sa voix mais c'est finalement l'ensemble orchestral qui captive par la beauté de sa sonorité pleine et soyeuse et la finesse de son articulation. Il faut dire que Telemann offre ses plus belles trouvailles dans l'écriture orchestrale comme ce dialogue en imitations où le premier violon s'unit à la flûte, accompagné par les pizzicati des cordes, pour soutenir la voix dans la seconde cantate.

Globalement tout cela est aimable, se laisse entendre agréablement  mais ne captive pas vraiment et l'on attend avec impatience la pièce de résistance du programme, à savoir la fameuse cantate « Ich habe genug », BWV 82, dans sa version pour alto.

Elle est précédée par la suite pour flûte et cordes, BWV 1087 où le traverso agile mais peu timbré de Tami Krausz peine à percer, semblant d'abord comme fondu dans la masse des cordes à la sonorité très nourrie. Il ne commence vraiment à s'imposer que dans le troisième mouvement où il acquiert vraiment son statut de soliste à part entière, conquérant tout à fait l'auditoire par sa virtuosité dans la célèbre « Badinerie » qui conclut la pièce. La flûtiste reviendra pour un très joli bis qui l'associe en toute légèreté aux vocalises aériennes du chanteur dans un extrait de la cantate BWV 30 « Freue dich erlöse Schar ».

Dans la cantate de Bach, le contre-ténor doit affronter plusieurs défis dont le moindre n'est pas de faire oublier la version plus connue de ce chef d'œuvre, celle pour voix de basse, tessiture originale pour laquelle elle a été écrite. La voix de Philippe Jaroussky pourrait aisément être qualifiée de sopraniste tant elle est pure et facile dans le registre aigu mais le grave — sauf à être émis en voix de poitrine, ce qui chez Bach serait une grave faute de goût — fait défaut et ne lui permet pas de communiquer toute sa profondeur au discours. C'est singulièrement frappant dans la « berceuse » du second mouvement « Schlummert ein » qui, à force de petites notes, d'appogiatures, de variations, le tout dans un tempo excessivement étiré, finit par tomber dans un maniérisme qui n'a plus rien à voir avec le caractère mystique de l'œuvre. Curieusement le chanteur qui nous avait paru d'une incroyable maturité interprétative dans Vivaldi à Ambronay en octobre dernier ne nous propose dans Bach qu'une approche hédoniste et légèrement décorative qui semble combler ses fans mais nous a semblé étrangère à la simplicité et à la profondeur du propos luthérien.

Frédéric Norac
6 mai 2016


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