musicologie
Monaco, 26 avril 2024 —— Jean-Luc Vannier.

To the point(e) : amplitude extrême d’affects aux Ballets de Monte-Carlo

Within the golden hour. Photographie © Alice Blangero.

Si nous devions définir une éventuelle perspective au triptyque chorégraphique To the point(e) proposé par les Ballets de Monte-Carlo mercredi 24 avril au Grimaldi Forum, nous dirions qu’après le sublime de la beauté esthétique et le paroxysme ténébreux de la souffrance, le troisième et dernier volet rétablit une forme d’équilibre et d’apaisement : « sans le tiers, il n’y a pas possibilité de justice » écrit Spinoza.

Et pour cause. Accompagnées pour la première et la troisième par l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sous la direction de Garrett Keast, trois chorégraphies figuraient au programme de cette longue – 20 minutes d’entracte entre chaque œuvre – soirée : Within the golden hour de Christopher Wheeldon, Autodance de Sharon Eyal & Gai Behar et Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot. Trois œuvres très inspirantes mais étonnamment disparates et qui nous font passer par de vertigineux contrastes affectifs.

Within the golden hour. Photographie © Alice Blangero.

Remonté par Jason Fowler — la première fut donnée en avril 2008 par le San Francisco Ballet — Within the golden hour de Christopher Wheeldon sur des musiques de Ezio Bosso et d’Antonio Vivaldi nous offre cette — rare — jouissance d’un absolu de la beauté esthétique : en plusieurs tableaux, le chorégraphe passé par le New York City Ballet développe une série d’évolutions simultanées et d’une richesse inouïe où, aidés par des jeux subtils d’ombres et de lumières signés Peter Mumford, les danseuses et danseurs habillés par Jasper Conran semblent portés par une grâce ailée, céleste qu’illustrent de magnifiques portages élancés et l’extension récurrente des bras vers le ciel. Sur de ludiques pizzicati de violon et d’alto (Liza Kerob, François Méraux), d’audacieux mouvements qui mêlent harmonieusement le ciel et l’intime jouent sur l’intrication des corps avant qu’un rythme vivaldien plus enjoué ne découvre la complicité gymnique entre deux danseurs. Le classique « Pas de deux » d’une délicatesse à couper le souffle suggère, comme au réveil, la torpeur langoureuse des corps qui s’étirent avec une gracile volupté et nous nous demandons s’il ne s’agirait pas d’un clin d’œil empreint de respect à L’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski sur la musique de Claude Debussy. Les deux êtres qui s’enchevêtrent en se reversant préfigurent, dans le finale, la puissance symbolique d’une chaîne humaine : une représentation qui achève – littéralement – de nous subjuguer.

Autodance. Photographie © Alice Blangero.

La chute sera d’autant plus brutale avec Autodance de Sharon Eyal et Gai Behar. La chorégraphe qui débuta dans la Batsheva Dance Company dont nous avions encensé la performance lors de son passage au Monaco Dance Forum en 2011 et dont nous avions par surcroît commenté en 2016 son travail commun avec Gai Behar OCD LOVE semble poursuivre, si l’on ose dire, sa terrible descente aux enfers. Sur une musique encore plus lancinante, voire assourdissante d’Ori Lichtik qui avait déjà signé son précédent opus, la chorégraphe israélienne confirme sa ritualisation obsédante des corps désarticulés, congestionnés, malmenés par des spasmes qui en contractent ou en cambrent les silhouettes. Trente-cinq minutes non-stop d’une ronde macabre, douloureuse, déshumanisée – certaines évolutions imitent des robots de la dernière génération – mais dont le luxe pointilleux, quasi maniaque de détails chorégraphiques – jusqu’à l’index qui tournoie comme le font parfois les personnes atteintes de troubles du spectre autistique – force notre admiration. D’où une véritable ovation du public à l’issue qui, moins qu’à gratifier la chorégraphe, vise plus à saluer l’extraordinaire performance physique des danseuses et danseurs des Ballets de Monte-Carlo tout en se déchargeant de l’accumulation d’une tension extrême, invasive et morbide véhiculée par cette œuvre.

Vers un pays sage. Photographie © Alice Blangero.

Il fallait bien Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot pour nous rassénérer. Remontée cette fois-ci par Bernice Coppieters, cette œuvre dont nous avions déjà rendu compte une première fois en 2012 puis pour la rentrée des ballets monégasques en 2015 nous délivre ce message émouvant d’un fils à son père disparu mais dont le souvenir vivifie la mémoire et nourrit la créativité du directeur des Ballets de Monte-Carlo. Et nous rappelle ce célèbre aphorisme goethéen repris par Freud : « ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder ».

Jean-Luc Vannier
Monaco, le 26 avril 2024
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Samedi 27 Avril, 2024 22:41