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Monaco, 1er mai 2019 —— Jean-Luc Vannier

Superbe Otello pour la fin de saison lyrique à l’opéra de Monte-Carlo

OtelloOtello. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.

Tu me parles de musique mais je te jure que j’ai presque l’impression de l’avoir oubliée ». Ainsi s’exprime Giuseppe Verdi dans une lettre du 30 mars 1879 au comte Arrivabene. Dans cette « décennie Otello 1880-1889 » selon l’expression de Pierre Milza (Verdi, Tempus, 2004, p.434), le compositeur interroge ses « sentiments contradictoires »: « En même temps qu’il aspirait à se jeter dans la bataille, il redoutait d’en sortir vaincu et meurtri ». (Ibid. p.438). Wagner triomphait un peu partout en Europe et cette « germanisation de la culture » renforçait les hésitations du compositeur.

OtelloGregory Kunde (Otello) et George Petean (Iago). Photographie © Alain Hanel.

Au regard de l’immense succès lors de la création, le 5 février 1887 à la Scala de Milan, de son Othello, Verdi avait bien tort. Succès non démenti par l’ovation ô combien légitime réservée à la dernière représentation de cette œuvre, mardi 30 avril à l’opéra de Monte-Carlo. Dans cette nouvelle production, Daniele Callegari, déjà aux commandes d’un puissant I Masnadieri en fin de saison sur le Rocher en 2018 ou d’un inoubliable Ernani en avril 2014, dirige avec une fougue inextinguible l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo tout en manifestant une attention de tous les instants à la direction du plateau. Les chœurs de l’opéra de Monte-Carlo (direction Stefano Visconti) peuvent alors lancer dans la fureur introductive de la tempête leur « Una vela ! Un vessillo » puis leurs magnifiques « Esultate…Vittoria ! Vittoria ! » et « Fuoco di gioia ! ».

OtelloIn-Sung Sim (Lodovico), Maria Agresta (Desdemona) et Ioan Hotea (Cassio). Photographie © Alain Hanel.

Classique, misant davantage sur le jeu des lumières (Laurent Castaingt) et la projection d’ombres indiscernables (Étienne Guiol et Arnaud Pottier) qui ne cessent leurs étranges va-et-vient sur de sombres décors (Bruno de Lavenère), la mise en scène intelligente d’Allex Aguilera rehausse la densité dramatique tout en consacrant une forme d’unité de lieu qui sied parfaitement à ce discours musical continu où rien ne sépare désormais les récitatifs des airs : « l’orchestre n’est pas seulement là pour accompagner le chant : il dialogue avec les chanteurs et dispose d’une autonomie qu’il n’avait pas dans les œuvres de jeunesse du Bussétan » (Ibid, p. 464). Les modulations autour du thème du baiser, celui du duo de l’acte I qui revient, plus tragique que jamais dans le monologue d’un Otello mourant à l’ultime scène, font peut-être écho aux leitmotivs wagnériens très en vogue.

otelloMaria Agresta (Desdemona) et Gregory Kunde (Otello). Photographie © Alain Hanel.

La distribution fut ovationnée sans exception aucune. Et pour cause : le ténor Gregory Kunde, entendu au Théâtre des Champs-Élysées en juin 2018, assure au rôle-titre, dès son fulgurant « Abbasso le spade ! », un charisme sanguin: couleurs cuivrées du timbre, puissance de l’émission et juste ce qu’il faut de spinto pour nous restituer tout le côté attachant d’un personnage fragilisé par la jalousie. L’imposante interprétation par George Petean du traître Iago rappelle le titre, à l’origine, de cette œuvre : le changement est intervenu dans les toutes premières semaines de 1886, alors que la partition était à peu près achevée. « C’est Othello qui agit, qui aime, qui est jaloux et qui tue » écrit Verdi au librettiste Boito dans une lettre du 21 janvier 1886. Déjà applaudi dans un récital caritatif en décembre 2015, ou bien encore dans un Elisir d’amore sur le Rocher en 2014, le baryton roumain développe avec aisance toute l’amplitude de la noirceur vocale et scénique du rôle : son « credo in un Dio crudel » à l’acte II est tout simplement titanesque.

Repéré dès 2013 lors d’un concours de chant à Bucarest, entendu depuis dans Amelia al ballo à Monte-Carlo, le ténor roumain Ioan Augustin Hotea campe un remarquable Cassio. La soprano Maria Agresta, en meilleure forme que dans son interprétation de Leonora d’un Il Trovatore monégasque d’avril 2017, livre cette fois-ci une impeccable Desdemona dont la chanson du saule et la prière « Ave Maria » à l’acte IV auront provoqué d’interminables sanglots chez deux jeunes filles russes de notre rangée.

OtelloOtello. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © Alain Hanel.

Mentionnons en outre le ténor Reinaldo Macias (Roderigo), la basse In-Sung Sim (Lodovico et Gualtiero dans I Puritani) le baryton Jean-Marie Delpas (Montano et Polonius dans Hamlet à l’opéra de Marseille), la basse Andrea Albertolli (Un héraut) et la mezzo-soprano Christina Damian (Emila) ainsi que la Chorale de l’Académie de Musique Rainier III pour son charmant et innocent « Dove guardi splendono raggi » à l’acte II (Pauline Badia, Oscar Breton, Noé Bulla, Marie Cursio, Azilis Dream, Tristan Frachat Balbis, Joséphine Giordano, Laëtitia Grandidier, Emila Gréther, Quentin Jürgens, Emma Lambelet, Matéo Lopez-Eivaz-Khani, Danaé Orengo, Maëly Orengo, Aymeric Peyrand et Greta Torelli). Sans oublier les colossaux figurants (Cédric Loynet, Gleb Lyamenkoff, Mamadou Niang et Nicolas Vitale).

Monaco le 1er mai 2019
Jean-Luc Vannier

 

 

 

 

 

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