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Monaco, 28 décembre 2019 —— Jean-Luc Vannier.

Coppél-i.A : Jean-Christophe Maillot est porté sur les androïdes aux Ballets de Monte-Carlo

Coppélius (Matèj Urban) et Coppél-i.A (Lou Beyne). Photographie © Alice Blangero.

« Cela fait quarante ans que je crée des ballets. Les corps des artistes chorégraphiques continuent de m’émerveiller et c’est avec un bonheur renouvelé que je me suis exprimé à travers eux pour vous raconter l’histoire de Coppél-i.A ».

C’est donc muni de la note d’intention du Directeur des Ballets de Monte-Carlo qu’un public impatient entourant S.A.R. La Princesse de Hanovre, assistait vendredi 27 décembre au Grimaldi Forum à sa nouvelle création. Tiré du ballet original Coppélia ou La fille aux yeux d’émail (1870) sur une musique de Léo Delibes, cette histoire aurait pu tout aussi bien accompagner les célébrations musicales en 2019 du bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach et du personnage d’Olympia dans Les Contes d’Hoffmann. Outre une scénographie d’Aimée Moreni, des jeux de lumière  de Samuel Théry et une dramaturgie de Geoffroy Staquet, la musique originale et les arrangements sur l’œuvre de Léo Delibes étaient le fruit de Bertrand Maillot.

Swanilda (AnnSwanilda (Anna Blackwell) et Frantz (Simone Tribuna). Photographie © Alice Blangero.

« Rebuté par le romantisme prononcé du ballet original », Jean-Christophe Maillot a préféré suivre une autre voie : « l’histoire de deux fiancés dont l’amour serait remis en question par l’apparition d’une intelligence artificielle ». Contée en deux actes — le second nettement plus ramassé et, en conséquence, à la dramaturgie plus intense — cette histoire laisse singulièrement apparaître — sans doute inconsciemment de la part de son auteur — des différences sensibles de traitement chorégraphique entre les humains et les androïdes, dont celui de Coppél-i.A.

Mieux investis de créativité gestuelle, plus — paradoxalement — attachants, les seconds sont par surcroît guidés par la fabuleuse densité chorégraphiée du savant Coppélius superbement interprétée par Matèj Urban : en témoignent les amples évolutions spatiales autour de sa création, les tentatives d’éducation ponctuées de séduction sexuelle, son ambivalence entre le savant soucieux d’observer les frémissements amoureux de sa créature et l’humain l’enfermant dans son désir exclusif, la rage de la jalousie et sa folie destructrice qui signera sa propre mort et libèrera l’androïde du joug possessif de son démiurge. L’amour chez Jean-Christophe Maillot devient une acceptation de la perte. La mort, une leçon de vie.

Frantz (Simone Tribuna), Swanilda (Anna Blackwell) et Coppélius (Matèj Urban). Photographie © Alice Blangero.

Cette leçon de vie s’illustre à l’évidence par l’inexorable hominisation de Coppél-i.A : outre une gestuelle — évidemment — déhanchée et désarticulée, sa lente éclosion aux émotions, sa révolte nourrie des sentiments à l’égard du fiancé et finalement, sa conquête et son appropriation d’une féminité éclatante et surtout vengeresse — exacerbation des contorsions et autres gesticulations arrondies du corps — sont subtilement incarnées par Lou Beyne.

Dominé par la haute présence de l’indomptable belle-mère (fulgurante Mimosa Koike) aux impitoyables cisaillements castrateurs et autres objurgations mimiques, le couple  de fiancés Swanilda (Anna Blackwell) et Frantz (Simone Tribuna) tentent de conserver douceur et sensibilité. La dernière scène de l’acte I s’étire un peu et nous laisse sur notre faim : comme si les humains ne parvenaient pas à la hauteur des capacités innovantes et des réalités augmentées des androïdes. Et ce, nonobstant les pitreries enjouées des amies de Swanilda (Gaëlle Riou, Kaori Tajima, Anjara Ballesteros et Anissa Bruley) et celles des amis de Frantz (Daniele Delvecchio, Adam Reist, Benjamin Stone, Michaël Grünecker et Koen Havenith) emmenés par un étourdissant Lennart (Lennart Radtke), confident de la future mariée.

Coppélius (Matèj Urban), Swanilda (Anna Blackwell) et Frantz (Simone Tribuna). Photographie © Alice Blangero.

C’est sans doute ce qu’il y avait de plus troublant et de plus fascinant dans cette magnifique création de Jean-Christophe Maillot : elle se clôt, non — et fort heureusement — sur le Happy End du mariage mais sur le désespoir, sombre et authentique, du savant-créateur doublé de la renaissance humanisée de l’androïde : avènement de la femme purement fantasmatique et projectif du chorégraphe. Mais de son avenir, rien ne nous est suggéré : de l’androïde ou de la femme, que subsistera-t-il des conditions de sa naissance ?

Les prototypes : Benjamin Stone, Koen Havenith, Christian Tworzyanski, Cristian Oliveri, Alessio Scognamiglio et Jaat Benoot.

Les invités : Taisha Barton-Rowledge, Francesco Resch, Chelsea Adomaitis, Candela Ebbessen, Cristian Assis, Marketa Pospisilova, Lydia Wellington, Jaat Benoot et Portia Adams.

Coppél-i.A (Lou Beyne) et Coppélius (Matèj Urban). Photographie © Alice Blangero.

Monaco, le 28 décembre 2019
Jean-Luc Vannier


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