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Monaco, 27 juillet 2018 —— Jean-Luc Vannier.

The Lavender Follies création de Joseph Hernandez et White Darkness de Nacho Duato aux Ballets de Monte-Carlo

les nornes$Les Nornes (Maude Sabourin, Kaori Tajima et Taisha Barton-Rowledge). Photographie © Alice Blangero.

« The Lavender Follies est une pièce qui utilise l’histoire théâtrale comme une aire de jeux » explique Joseph Hernandez pour présenter, jeudi 26 juillet Salle Garnier, sa création aux Ballets de Monte-Carlo. Dès le début, le roulement solennel de tambour embrigade l’assistance dans le spectacle dont l’introduction se veut une référence explicite au film Cabaret  (1972) de Bob Fosse (« Willkommen ! And Bienvenue ! Welcome ! »). Mais, loin du Berlin des années 30, le chorégraphe américain, ancien danseur pour la compagnie de Jean-Christophe Maillot dans Chore en avril 2013 ou bien encore dans l’inoubliable et féérique Casse-Noisette en janvier 2014, déroule des tableaux hétéroclites inspirés de souvenirs et, sans doute, de fantasmes issus de sa tendre enfance. Le plateau ne devient alors qu’un prétexte, un support obligé pour exhiber sans retenue les saillances musculeuses : redoutablement phalliques, les trois Nornes aux robes lamées (Maude Sabourin), Kaori Tajima et Taisha Barton-Rowledge jouent de leurs mollets de coq, les wrestlers, après échauffement, engagent le combat corps-à-corps (Benjamin Stone et Simone Tribuna), un chirurgien au nom prédestiné de « Dr Weltschmerz » (« Douleur du monde », Lennart Radtke) se dévêt complètement avant, devenu corps inerte, d’être ramassé par un balayeur (Alvaro Prieto).

originaleSylvia Von Harden (Asier Edeso). Photographie © Alice Blangero.

Malgré un rythme d’ensemble — musique de Johannes Till — les figures de groupe sont souvent marquées par des évolutions individuelles, chacun des personnages poursuivant son propre destin avec des expressions et des mimiques extraites du quotidien. En témoignent les gestes opératoires du chirurgien ou le flexing des lutteurs. Peut-être la chanteuse à la belle voix aussi sensuelle et évanescente que les volutes de fumée au sein d’un club de jazz (Candella Ebbesen), et qui se produit à l’avant-scène, rideau baissé, sort-elle du lot ? Certes, il est parfois difficile de capter le message, de saisir l’intention véritable du chorégraphe : nous croyons, à tort, percevoir le fil rouge de son travail lorsqu’apparaît la colonne humaine, osseuse et voûtée à la Francis Picabia, et qui ploie sous l’angoissant fatum de son existence. Mais finalement, la chorégraphie abandonne rapidement cette dimension pour une vive énergétique, éventuel signe d’une résistance au désespoir. La véritable clé, pensons-nous, se situe ailleurs, dans un détail scénique sobre, presque anodin : les spécialistes de l’art dramatique vous expliqueront que l’importance d’un personnage vient parfois de son placement au fond de la scène. Joseph Hernandez installe à l’arrière plan, assis à une table, un travesti d’une élégance tout aristocratique (magnifique Asier Edeso) : visage légèrement émacié (référence au tableau d'Otto Dix de 1926), posture empreinte de noblesse, gestes raffinés, à peine maniérés dans le jeu de jambes, seul le monocle — quel clin d’œil ! — rappelle l’origine masculine du danseur habillé en femme. Il/Elle observe le spectacle avec une attention de tous les instants. Son regard s’illumine parfois, brièvement mais avec intensité, sur une figure de style. Savamment orchestrée dans la pénombre, sa dissimulation énigmatique accentue en miroir les effets de voyeurisme. Sans doute l’élément le plus étrange, le plus troublant, de cette création chorégraphique.

the lavenderThe Lavender Follies. Photographie © Alice Blangero.

En seconde partie, le chorégraphe espagnol Nacho Duato, dont nous conservons en mémoire le magnifique travail Por vos muero offert au public de l’opéra de Nice en octobre 2011, propose White Darkness créé par la Compañía Nacional de Danza au Teatro de la Zarzuela de Madrid en novembre 2001 (production, décors et costumes pour 2018: Opéra national de Paris). Requiem en un acte composé en mémoire de la perte prématurée d’une sœur, réquisitoire désabusé — voire ambivalent — contre l’usage de substances psycho-actives, White Darkness développe un extraordinaire esthétisme chorégraphique incarné par le couple somptueux Anna Blackwell et Francesco Mariottini : nous envoûtent l’alliage subtil entre des mouvements antagonistes — les corps et membres qui se crochètent violemment offrent un étonnant contraste avec d’interminables et douces glissades —, la fascinante fluidité dans l’extrême célérité des enchaînements, et, enfin, l’acrobatie minutieuse, recherchée et accomplie par les éléments parcellaires des corps. Nacho Duato parvient surtout à nous subjuguer par la débordante sensualité qui inonde sa proposition chorégraphique (Musique : Karl Jenkins). Et ce, nonobstant l’âpreté de sa douleur : l’auteur se dit « profondément frappé et attristé de voir à quel point des jeunes gens s’enfoncent dans un monde ténébreux…un monde si ténébreux en fait qu’il n’y a pas d’issue ». Et qu’illustre, à la fois lumineuse et terrible, la scène ultime.

white darknessWhite Darkness. Photographie © Alice Blangero.

white darknessAnna Blackwell et Francesco Mariottini. White Darkness. Photographie © Alice Blangero.

Monaco, le 27 juillet 2018
Jean-Luc Vannier

 

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Samedi 28 Juillet, 2018 18:59