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Monaco, 6 mars 2017, par Jean-Luc Vannier

Ludovic Tézier et Pinchas Steinberg signent un Simon Boccanegra d'exception à l'opéra de Monte-Carlo

Pinchas Steinberg (direction). Photographie © Alain Hanel.

Une ovation debout — et enflammée — a salué, dimanche 5 mars à l'auditorium Rainier III de Monaco, une version concertante de Simon Boccanegra de Giuseppe Verdi. Entre, d'une part, une distribution vocale d'une exceptionnelle qualité et où chaque voix a trouvé son adéquation parfaite avec le profil du personnage et, d'autre part, une magistrale direction musicale à même de faire surgir les plus admirables sonorités de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo, la satisfaction du public était légitime. Dans cette version définitive créée à La Scala de Milan le 24 mars 1881 et entendue à l'opéra de Nice en 2012, Verdi a concocté un véritable festival de testostérone lyrique en réservant les plus grands rôles à la gent masculine. Option idoine pour un scénario qui mêle luttes viriles et rivalités fratricides opposant la noblesse au peuple. L'intrigue politique se double par surcroît d'un drame sentimental nourri de troublants secrets de familles, d'amours défuntes et d'heureuses filiations retrouvées.

L'irréprochable direction musicale de Pinchas Steinberg ne nous surprend guère. Nous avions déjà relevé l'indéniable talent du maestro dans des productions antérieures en Principauté, qu'il s'agisse d'Une tragédie florentine et de Pagliacci en février 2015 ou bien encore de La Fanciulla del West en novembre 2012. Comme montée sur d'invisibles ressorts, la silhouette plutôt frêle de Pinchas Steinberg n'en agite pas moins sa baguette avec une fièvre rigoureuse afin d'initier des attaques ciselées au scalpel. Elle ouvre soudainement les bras en croix pour obtenir à la fin du prologue un tutti orchestral d'une puissance rarement égalée ou, à l'inverse, requiert une diminution de l'intensité dans le but de respecter la délicatesse d'une voix. L'orchestre philharmonique de Monte-Carlo répond par un impeccable trafic instrumental et nous permet de jouir de sonorités à la fois denses et raffinées, éthérées et éblouissantes. Les pizzicati des cordes (David Lefevre, supersoliste) diffusent dès l'ouverture l'atmosphère feutrée des combinazioni politiche. Le hautbois (Matthieu Petitjean, 1er hautbois solo) accompagne les réminiscences infantiles d'Amalia tandis que la harpe (Sophia Steckeler, harpe solo) ponctue les retrouvailles du père et de sa fille. Le maestro n'oublie sûrement pas la direction tout aussi précise des artistes et des chœurs de l'opéra, en excellence osmose (Stefano Visconti). Sublime achèvement dont nous pressentons néanmoins les prégnants efforts lors des répétitions.

Simon Boccanegra. Photographie © Alain-Hanel.

Entendu sur le Rocher dans le personnage du comte Anckarström du Un ballo in maschera en janvier 2010 puis déjà acclamé pour son roi d'Espagne d'Ernani en avril 2014, le baryton Ludovic Tézier nous a littéralement charmé dans le rôle-titre par sa ligne de chant dont il a notamment su conserver cette liaison des notes si caractéristique et tellement caressante à l'audition. Outre cette justesse de ton en accord avec les différentes situations, le timbre demeure des plus harmonieux dans les forte, tous enchaînés avec une remarquable aisance, preuve d'une technique aussi maitrisée qu'imperceptible : sa filiation retrouvée avec Amalia nous offre un superbe duo tandis que sa bouleversante prière politique aux Plébéiens et aux Patriciens « Paix et amour » ouvre sur un sextuor vocal d'une ineffable beauté. Outre son air « de la mer » alors que le poison s'infiltre lentement dans ses veines, son ultime dialogue avec Fiesco « je pleure » nous saisit par son authentique noblesse : dignité visionnaire et altruiste avec laquelle Simon Boccanegra se prépare à mourir.  L'ovation presque délirante reçue à l'issue de la représentation n'en était que plus prévisible.

Maria Boccanegra est chantée par Sondra Radvanovsky dont le timbre cuivré, surtout dans les notes aiguës — et au point de procurer le sentiment d'un léger voile  — accentue ce contraste entre la fragilité d'une paternité incertaine et sa détermination amoureuse à l'égard de Gabriele Adorno. La soprano américaine ne manque néanmoins aucune occasion de notes hautes bien assises et ce, dès son premier air « orgueilleux palais » lequel se termine par un aigu énamouré d'une subtile évanescence. Tout comme sa somptueuse vocalise qui couronne, à l'image d'une onde divine, le sextuor de la prière de Simon Boccanegra à la fin de l'acte I.

Remplaçant Andrea Mastroni souffrant, la basse ukraino-suisse Vitalj Kowaljow, dont nous avions déjà salué la formidable prestation dans le personnage du Grand Prêtre Zaccaria d'un récent Nabucco monégasque, campe un magnifique Jacopo Fiesco : son initial « Pria per me » délivre des graves à la fois stables et d'une rare profondeur sans jamais être altérés dans leur émission. Son duo avec Amalia « Viens que je te bénisse » puis celui du finale avec Simon Boccanegra apportent cette touchante pointe de sensibilité à la charpente vocale massive de celui qui fut remarqué pour son Wotan en 2010 au Festival de Pâques de Salzbourg.

Simon Boccanegra. Photographie © Alain Hanel.

Longuement ovationné lui aussi après son grand air « la jalousie embrase mon corps » puis « Rends-la à mon cœur » ainsi qu'après son trio avec Simon et Amalia à l'acte II, Ramon Vargas incarne un Gabriele Adorno, amant d'Amalia, avec une impétueuse exaltation. Un registre émotionnel dont nous lui connaissons l'inextinguible capacité si nous nous souvenons de son récital à finalité caritative en 2015 tout autant que son interprétation d'Ernani précédemment cité. Signalons au même niveau d'excellence le personnage de Paolo Albiani chanté par le baryton André Heyboer. Le baryton Fabio Bonavita (Pietro), le ténor Vincenzo di Nocera (Un capitaine) et l'alto Paola Scaltriti (Une servante) complètent cette production mémorable et qu'une mélomane ponctuait avec fierté : « Je retrouve l'opéra de Monte-Carlo ! »

Monaco, le 6 mars 2017
Jean-Luc Vannier
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