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Une autre grande figure que cet Allemand d'adoption, qu'on se gardera de confondre avec son propre fils Gottlieb (1690-1770), lui-même organiste et compositeur.
Grand européen avant l'heure, né français (à Megève) mais d'ascendance en partie écossaise, Georg Muffat fut un voyageur impénitent, passant ses jeunes années entre l'Alsace et Paris, où il fut à l'école de Lully, avant de partir pour la Bavière, après quoi on le retrouvera à Vienne, à Prague et surtout à Salzbourg où il exercera longtemps ses talents comme organiste et musicien de chambre. C'est pendant cette période qu'il lui sera offert d'aller approfondir son métier à Rome auprès de Pasquini et au contact du grand Corelli. Et c'est à Passau qu'il achèvera son périple, y occupant la charge de Kapellmeister de la cour du prince-évêque de 1690 à sa mort.
Rien d'étonnant dans ces conditions que, bien avant les Goûts Réunis de François Couperin, ce musicien se soit assigné comme mission de marier les différents styles nationaux en introduisant dans son pays d'adoption à la fois les conventions du ballet lullyste et le style italien de Corelli. Et c'est bien ce qui fait la singularité et l'importance dans l'histoire de la musique de ce « suiveur » très talentueux dont la production est essentiellement à destination instrumentale.
En dehors de quelques préludes et danses, ce recueil publié en 1690 réunit tout ce que l'organiste Muffat nous a laissé comme œuvres pour clavier. Il contient douze grandes Toccatas destinées à l'orgue, plus trois pièces qui se prètent aussi bien à une exécution au clavecin : une Ciacona sur un modèle italien, une Passacaglia à 24 variations et – pièce de moindre intérêt - un Air suivi de variations intitulé Nova Cyclopeias Harmonica.
Les Toccatas sentent leur filiation frescobaldienne – filiation clairement revendiquée par Muffat - tout en laissant transparaître une influence française, le tout témoignant brillamment des talents de leur auteur à assimiler et synthétiser les styles italien et français, une tendance caractéristique de la musique allemande qui trouvera son couronnement avec J.S. Bach.
D'un bout à l'autre, on a là de la belle et grande musique qui justifie pleinement le rang éminent accordé généralement à ce musicien, aux côtés de Froberger et de Pachelbel, dans l'école d‘orgue d'Allemagne du Sud. Peut-être l'auditeur moyen éprouvera-t-il à l'écoute une impression de relative uniformité, due au fait que ces douze Toccatas reposent sur un même type de construction, mais l'oreille du spécialiste aura vite fait d'y déceler une grande variété « d'éléments caractéristiques de l'écriture de Muffat : des effets chromatiques à la Frescobaldi, le rythme lombard, l'ornementation française, l'enchaînement de sections harmoniques façon Corelli, des motifs issus de la technique italienne de violon… »1
Georg Muffat, Toccata I, par Gustav Leonhardt, orgue Dom Bedos, abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux.Après s'être fait la plume dès 1677 à travers une belle Sonate pour violon et basse continue, Muffat gagne ses premiers galons véritables en publiant en 1682 – en pleine période salzbourgeoise - ce superbe Armonico tributo contenant cinq grandes sonates pour instruments à cordes et basse continue.
Comme il devait l'énoncer dix-neuf ans plus tard en préface d'une nouvelle édition – remaniée - de ces mêmes œuvres, destinée cette fois à l'orchestre sur le modèle de l'opus 6 de Corelli, Muffat a voulu ici marier « la pureté et la douceur des airs de ballets » lullystes et la gravité des mouvements lents du « Pathétique Italien », entendons Corelli2 , et l'auteur de préciser que, ne pouvant convenir ni à l'église ni à la danse, son œuvre était destinée à « la satisfaction des oreilles délicates ».
Objectif pleinement atteint : ces « Sonates de chambre pour peu ou beaucoup d'instruments » (c'est leur sous-titre) sont une réussite magnifique, riches de nombreux atouts. Ainsi de « la tension et (de) la nervosité de ces petites cellules mélodiques et rythmiques qui, de danses en airs, expriment une invention préfigurant de plusieurs décennies, comme Biber, le Sturm und Drang. »3
Georg Muffat, Sonata II, par le Leonhardt Consort, sous la direction de Gustav Leonhardt.Ces deux recueils d'inspiration française ne recueillirent guère – semble-t-il et contrairement à l'Armonico tributo - les faveurs de l'archevêque de Salzbourg, ce qui expliquerait qu'ils ne furent publiés que tardivement, respectivement en 1695 et 1698. Ceci alors que, depuis de longues années, Muffat s'employait à initier les musiciens et mélomanes locaux au style lullyste et à ses conventions.
Sous leurs titres latinisants – encore vous faisons-nous gràce ici de leur intitulé complet -, ils comportent respectivement sept et huit petites suites (ou « fascicules ») pour orchestre affublées de titres évocateurs tels que Gratitudo, Impatientia, Sollicitudo, Constantia… et écrites à destination de spectacles de ballets. Au-delà du propos didactique mis en exergue dans les préfaces de ces ouvrages, on ne peut qu'apprécier la fraîcheur, le charme très français et la verve rythmique de ces pièces dont « l'écriture paraît plus versaillaise que nature, aussi bien dans la tournure des danses que dans leurs parfums tour à tour galants, nobles ou populaires. »4 Georg Muffat, Florilegium secundum, no 2, « Splendidae Nuptiae », par l'Académie Baroque Orchestra.
Au nombre de douze, ces concerti grossi forment le dernier recueil publié par Muffat en 1701 à Passau , un recueil dénommé tantôt Ausserlesene Instrumental-Music, tantôt Exquisitoris harmoniae instrumentalis gravijucundae selectus, en espérant ne pas nous rendre coupable d'un raccourci qui aurait été réprouvé par l'auteur…
Outre sept concerti de provenances diverses, qui ne manquent pas de séduction, on retrouve ici, retravaillées, les fameuses sonates de chambre de l'Armonico tributo. « Les cinq sonates en question se dissimulent sous les numéros 4, 5, 10, 11 et 12 du nouveau recueil ; Muffat en a modifié l'ordre et l'appellation des mouvements. »5 On ne saurait donc être déçu du voyage que le musicien nous propose là au soir de sa vie en réutilisant du matériel ancien pour « le transfigurer au gré de son expérience et de ses connaissances récentes »6
Georg Muffat, Concerto no 4 en sol mineur « Dulce somnium », par le Parlement de Musique, sous la direction de Martin Gester.1. Michel Roubinet , dans Gilles Cantagrel (dir.), Le guide de la musique d'orgue , Fayard, 2003 , p.602
2. Anne Piejus, Le Monde de la musique (201), juillet/août 1996
3. Jean-Luc Macia, Diapason (484), septembre 2001
4. Jean-Luc Macia, Diapason (457), mars 1999
5. Jean-Luc Macia, Diapason (442), novembre 1997
6. Jean-Luc Macia, Diapason (405), juin 1994.
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Jeudi 28 Mars, 2024