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Après la sanctification divine, la damnation éternelle. L'année passée, l'Opéra Nice Côte d'Azur avait débuté la saison par d'inoubliables Dialogues des Carmélites dotés d'une prestigieuse distribution et dynamisés par une mise en scène signée Robert Carsen.
La première, vendredi 16 septembre, de la Damnation de Faust d'Hector Berlioz en version de concert n'aura malheureusement pas permis de maintenir l'état de grâce. Cette « légende dramatique en quatre parties » créée à l'Opéra-Comique le 6 décembre 1846 ne manque pourtant pas d'atouts et d'originalité : le génie du scénario musical de Berlioz consiste à faire de l'orchestre le principal personnage tout en conférant aux chœurs une importance rarement égalée dans une œuvre lyrique. A l'image d'une initiation à l'acousmatique où le disciple s'interdit d'écrire et de regarder le maître caché derrière un voile afin que la voix seule de son enseignement lui parvienne, la « symphonie narrative avec chant » du compositeur français escamote la scène et mise sur la puissance visuelle des notes et l'efficience de leur traduction sonore par les instruments : ne rien montrer pour mieux faire entendre. Berlioz étaye son travail sur la richesse foisonnante du texte de Goethe qui excède tout théâtre mais convient au pouvoir suggestif et au raffinement d'orchestration de l'auteur de la Symphonie fantastique : elle aussi, il faut le noter, s'accoquine avec les sorcières et les démons.
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Essentielle dans l'exécution de cette œuvre, la direction musicale du chef Philippe Auguin ne manque certes pas d'enthousiasme et de talent mais elle donne parfois le sentiment de laisser de côté toute interprétation personnelle. Au risque de gommer certains accents vigoureux de la partition: les phrasées initiales jouées par l'Orchestre philharmonique de Nice pèchent par excès de rondeur. Le maestro et sa phalange prennent néanmoins leur revanche dans les passages plus délicats. Epoustouflants dans tous les registres — de la fugue satyrique sur le « Amen » au « Pandoemonium , le langage du diable — les chœurs de l'Opéra de Nice (et son directeur Giulo Magnanini) assument brillamment ce rôle majeur imposé par Berlioz. Et ce, malgré quelques rares décalages entre la Philharmonie et les chanteurs, conséquence probable d'un nombre insuffisant de répétitions.
La distribution des voix a doublement pâti de la mise en espace d'Yves Coudray : compte tenu du caractère particulier de cette « musique à programme », la question d'une scénographie pouvait légitimement se poser. Mais à partir du moment où l'option d'une évolution minimaliste des personnages avait été retenue, il fallait à tout prix éviter le maintien des partitions entre les mains des chanteurs : le ténor Charles Castronovo n'a guère ainsi pu investir en gestuelle et en regards les échanges avec ses partenaires. On se souvient pourtant d'un travail scénique particulièrement réussi du « Fidelio » en novembre 2010 à l'Opéra de Nice.
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Dans le rôle de Méphistophélès, la basse américaine Samuel Ramey peine à stabiliser une voix fatiguée dont certains accents dramatiques demeurent nonobstant fort beaux. Campant un Faust raffiné voire fragile, le ténor américain Charles Castronovo retrouvait la scène niçoise où il avait interprété en mars 2011 Némorino dans un « Elixir d'amour».
Parfois couverte par l'orchestre, sa voix n'en émeut pas moins le public avec son « Merci, doux crépuscule . Malgré la relative froideur de son timbre, la mezzo-soprano d'origine biélorusse Oksana Volkova reste très convaincante dans sa complainte de l'abandon « d'amour, l'ardente flamme ». Bref, une ouverture de saison contrastée : ni le paradis, ni l'enfer, un purgatoire dans l'attente de la prochaine production.
Nice, le 18 septembre 2011
Jean-Luc Vannier
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Mardi 27 Février, 2024