Sexe et opéra (xix. 18) : Lulu
Alban Berg, Lulu, Christine Schäfer (Lulu) John Bröcheler (Dr Schön), Festival de Salzbourg 1995.
Opéra en 3 actes d’Alban Berg, sur son propre livret, d’après Die Büsche der Pandora et d'Erdgeist de Frank Wedekind, créé dans sa forme inachevée le 2 juin 1937 à Zurich, avec le 3e acte complété par Friedrich Cerha, en 1979 à l'Opéra de Paris.
Lulu, est l’amante du docteur Schön qui l’a rencontrée alors qu’elle exerçait la prostitution pour le compte du vieux Schigolch, premier amant ou père — le doute plane — de Lulu. Le riche docteur Schön l’a mariée au docteur Goll, puis à un peintre. Mais les deux maris successifs meurent à cause des trahisons de Lulu. Elle va forcer le docteur Schön à se marier avec elle, malgré le rabaissement social que cela représente pour le riche docteur. Une fois mariée, elle va même arriver jusqu’à le tuer en tirant sur lui. Mais sa cohorte d’admirateurs, parmi lesquels Alwa, le propre fils du docteur Schön, va tout faire pour la tirer de prison. Elle sera forcée dès lors de mener une vie d’errance qui la fait passer par Paris où elle côtoie spéculateurs et délinquants de haut vol qui la soumettent au chantage, puis arriver à Londres où, devenue prostituée des rues, elle trouvera la mort des mains de Jack l’Éventreur.
Opéra de la prostitution par excellence, sorte de Grandeur et misère des courtisanes opératique, chef-d’œuvre où tout tourne autour de la femme victime et bourreau, le ton est pourtant très loin de celui de La traviata ou de La favorite. En effet, Lulu n’exprime aucun remords, aucun état d’âme par rapport à son mode de vie. Elle vit et se laisse vivre. Avec plus ou moins de joie, bien sûr, selon les situations. Mais quand on apprend par exemple son passé, comment les figures de père, de premier amant et de maquereau semblent se confondre, ce n’est pas de la bouche de Lulu. Et personne ne semble s’intéresser à ce qu’elle ressent. Tout le monde s’extasie devant sa beauté et semble irrémédiablement attiré vers elle, tous semblent avoir besoin de la « posséder », mais personne ne s’intéresse à ce que pourrait vraiment sentir ou penser cette fille qui fait semblant de ne rien penser, qui peut-être ne veut rien penser ni rien sentir.
Wedekind procède en entomologue : il suit les mouvements, note les paroles, mais ne note pas les pensées que le spectateur est libre d’interpréter d’après ce qui est dit ou tu. Du coup, en effet, ce sont surtout les déclarations d’amour ardentes des hommes (et de la comtesse Geschwitz, voir chapitre « homosexualité ») que l’on retient. Ce sont les demandes économiques et intéressées de Lulu que l’on retient, son badinage. Comme si elle n’avait pas de sentiments, et que son seul vrai désir c’était de voir les hommes, tout un chacun d’entre eux (et tout particulièrement le docteur Schön), humiliés et anéantis sous sa botte. Comme si l’avilissement du mâle était son seul but dans la vie. Il est vrai, encore une fois, que Wedekind est homme, et semble plus touché par les débats intérieurs des hommes que par la détresse ou pas de la fille asservie au sexe depuis son plus jeune âge.
Alban Berg, Lulu, avec Patricia Petibon (Lulu), Ashley Holland (Doctor Schön), Paul Groves (Alwa), Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu, sous la direction de Michael Boder, mise en scène d'Olivier Py, Gran Teatre del Liceu, Barcelona, novembre 2010.Par contre la musique peut dire tout ce qui est tu. Elle raconte le désir et la détresse. Elle raconte aussi le vide. Le désir d’aisance de Lulu, l’obsession du docteur Schön, le sentiment confus du fils de celui-ci, Alwa, les sentiments — voire les non-sentiments— encore plus confus peut-être de Lulu elle-même, sa joie creuse ou sa fatigue morale et physique, le spectateur-auditeur peut tout trouver dans la musique fascinante de Berg. Lyrisme et violence, intelligence et vacuité, passion et indifférence que les spectateurs sont libres d’interpréter à chaque moment selon leur propre vision.
Notons par ailleurs que, parmi les différents types de rétribution en échange de sexe se trouve ici bel et bien le mariage (avec le peintre, avec le propre docteur Schön), mais que les allusions très claires à l’argent ne sont pas évitées. Et que le troisième acte nous offre un des rares exemples opératiques de prostitution de bas étage.
Voir aussi « traite de blanches » ; « homosexualité »
22 novembre 2025
[suite] [sexe et opéra : index]


À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISSN 2269-9910.

Samedi 22 Novembre, 2025 1:50