Piotr Beczala (Il Trovatore) et Krassimira Stoyanova (Leonora). Photographie © Wiener Staatsoper - Michael Poehn.
À l’issue de la création, le 19 janvier 1853 au Teatro Apollo de Rome, de son Il Trovatore, Giuseppe Verdi fut rappelé des dizaines de fois. « Il fut aussi raccompagné le troisième soir à son domicile par une foule d’admirateurs portant des flambeaux, réclamé au balcon de l’hôtel tandis qu’un orchestre jouait des airs de ses opéras jusqu’à une heure avancée de la nuit ». Un immense succès que le compositeur commenta d’une fausse modestie : « Il Trovatore n’a pas mal marché » ! (Pierre Milza, Verdi, Coll. « Tempus », Perrin, 2004, p. 198).
Succès non démenti par le temps : c’est un même enthousiasme enfiévré qui a salué, mardi 27 mai, la vingtième représentation du Il Trovatore à la Staatsoper de Vienne dans une mise en scène signée Daniele Abbado. Nonobstant quelques arrangements vestimentaires plus contemporains sans être outranciers (Carla Teti) et des décors suffisamment explicites sans surcharger le plateau (Graziano Gregori), la mise en scène respecte les souhaits radicalement exprimés dans une note d’intention — qui date certes de 2017 — par le directeur musical Marco Armiliato : « Je suis une personne traditionnelle. Alors j’aime les mises en scène traditionnelles », explique le maestro déjà aux commandes d’une Tosca classique à l’opéra de Monte-Carlo et destinée à célébrer le « Centenaire Puccini ». Et de préciser sa pensée : « Je pense que pour de nombreuses personnes, l’opéra est un voyage dans un autre monde, une sorte de rêve dans lequel elles plongent et qui les détourne de leur réalité quotidienne ». Une critique à peine voilée contre les mises en scène qui « s’écartent du cadre du livret et de la musique » et ce, « même si l’imagination (die Fantaisie) est importante et c’est bien qu’elle le soit ».
Ekaterina Semenchuk (Azucena). Photographie © Wiener Staatsoper - Michael Poehn.
Cette mise en scène d’un seul tableau, plus ou moins agencé en fonction des péripéties, ainsi que la dichotomie binaire des personnages — uniformes militaires pour Luna et ses soldats, costumes de partisans pour Manrico et ses hommes — illustrent la volonté de Daniele Abbado d’insister davantage sur « l’intention de Verdi de développer une atmosphère de situations qui émanent d’un moment spécifique avec un sens théâtral inouï ». Imprégnée de cette ambiance dramaturgique, la scénarisation dynamique permet de tenir ensemble les fils épars de l’histoire et de mieux la fluidifier. Une histoire à la logique somme toute abracadabrantesque dont les évènements capitaux qui la structurent ne nous sont rapportés qu’au travers d’assez longs narratifs.
Saluons la direction musicale, aussi énergique que méticuleuse, de l’orchestre et des chœurs de la Wiener Staatsoper, toujours très sollicités chez Verdi, par Marco Armiliato. Elle nous permet de repérer encore plus finement les emprunts de Verdi à Donizetti (1797-1848) : les ultimes convulsions amoureuses de « D’amor sull’ali rosee » de Leonora à l’acte IV ne ressemblent-elles pas au double spasme extatique des dernières paroles de « Quando rapita in estasi » du Lucia di Lammermoor à l’acte I ? Ou d’entrevoir les grands airs de La Traviata créée trois mois plus tard : ainsi l’exploitation, à l’acte IV, de la voix in absentia de Manrico sur le « Miserere » de la chapelle — rééditée dans « Amore, amor è palpito » de l’acte I de La Traviata — et, plus encore, le duo final entre Azucena et Manrico qui annonce celui de Violetta et d’Alfredo au dernier acte avec « La mia salute rifiorira ».
Piotr Beczala (Il Trovatore) et Ekaterina Semenchuk (Azucena). Photographie © Wiener Staatsoper - Michael Poehn.
Dans le rôle-titre, Piotr Beczala est un ténor qui ténorise et qui sait parfaitement le faire : en témoigne, entre autres, la solide tenue de son forte sur « La morte a me para » à la fin de son air « Ah si, ben mio ». Sa ligne de chant, structurée mais néanmoins chaleureuse, vibrante, lui permet une intensité passionnelle avec Leonora, voire filiale dans son duo avec Azucena « Ai nostri monti ». Autant de qualités qui caractérisent aussi le personnage de Manrico. Ovation garantie. Nous serons plus réservé sur la prestation de Luca Salsi (Graf Luna) que nous avions pourtant encensé dans son interprétation de Scarpia lors d’une Tosca monégasque : si la voix reste belle et puissante, l’instabilité menace parfois certains de ses forte. Entendue en 2017 dans la Messa da Requiem de Verdi à Munich, Krassimira Stoyanova (Leonora) nous convainc davantage dans son air d’entrée au couvent que dans son « Tacea la notte » à l’acte I, son chant d’amour au Trouvère, certes juste dans le ton mais plutôt faible dans l’intensité et le souffle. Elle parvient non sans peine à équilibrer vocalement ses différents duos avec Manrico ou avec Luna. D’une ponctuation rythmique plus soutenue, le « Stride la vampa » d’Azucena chanté par Ekaterina Semenchuk, elle-même remarquée pour sa performance très intimiste d’une autre Messa da Requiem, cette fois-ci à Monte-Carlo, sait laisser la place à toute la délicatesse de l’affection maternelle dans son duo avec Manrico. Dmitry Ulyanov (Ferrando) et Mariia Zherebiateva (Ines) complètent cette distribution.
Un immense succès, écrivions-nous en introduction. Un pilier central de la célèbre trilogie verdienne et l’inauguration du rôle de « baryton verdien ». Et dire que Verdi écrivit le 4 avril 1851 à son librettiste Cammarano — décédé le 17 juillet 1852 — dont le travail n’avançait pas : « Laissons tomber Il Trovatore, si vraiment vous ne l’aimez pas ! ».
Jean-Luc Vannier
Wien, le 29 mai 2025
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