13 novembre 2025 —— Alain Lambert.

Musiques interdites : Acte[Six], Samuel Hengebaert, David Lescot, pour ne pas oublier

Musiques interdites, Acte[Six], Théâtre de Caen. Photographie © Titouan Massé.

Un cabaret berlinois dans les années 30, en hommage au Moulin à poivre ouvert en 1933 et interdit peu de temps après. Un pianiste de jazz joue en fond une « musique de papier peint », comme disent les deux meneuses de la revue. Elles vont nous conter l'histoire des bonnes et mauvaises musiques sous le nazisme, les musiques de tradition germanique (qui ont bien sûr inventé l'accord parfait et l'harmonie), contre les musiques dites dégénérées, jazz nègre, musiques bolchéviques ou juives souvent modernistes.

Les nazis les ont tellement interdites que, même si on ne se souvient plus des musiciens bons aryens d'alors, on a oublié une partie des autres, sauf Alban Berg, Hanns Eisler, Kurt Weill, Paul Hindemith... Dont on entend quelques extraits, avec des paroles traduites soit en lisant le texte avant, en jouant des pancartes ou en chantant bilingue, pour les chansons de comédies musicales. Comme celle de Friedrich Hollander, qui n'y va pas par quatre chemins dans Die Herren Männer sur l'air de Carmen, où les caprices de la météo sont  « à cause des juifs ».

Une ironie satyrique grinçante, comme celle du Tchèque Erwin Schuloff, mort en prison en 1942, ayant mis en musique dans sa courte vie Le manifeste du Parti communiste de Marx-Engels, précédé John Cage dans sa pièce Silence, écrit une Sonata erotica. Ou réduit une symphonie pour son seul accordéon. Et en plus de ça, juif, communiste, homosexuel. Tout pour déplaire aux inspecteurs de la musique, dont tous ici se moquent dans un gag burlesque.

Un entracte baroque s'explique doublement par le fait que le directeur musical du spectacle et d'Acte[Six] est altiste baroque, et qu'il se trouva des compositeurs anciens interdits, comme Salomone de Rossi pour ses origines et l'utilisation de l'hébreu dans ses motets.

Puis le ton des meneuses du cabaret change de point de vue, qui, jusque là, semblait porter la parole des musicologues aryens, façon grand guignol bien sûr. Le ton se fait grave, tragique quand Kurt Weill, en exil à Paris, écrit la Complainte de la Seine sur le poème de Maurice Magre, ou quand on entend l'Oratorio Das deutch Miserere de Bertold Brecht et Paul Dessau sur la folie guerrière nazie. Enfin, deux pièces composées avant leur mort à Auschwitz, un trio de Gideon Klein et une berceuse de Isle Weber pour clore dans l'obscurité, quand la bougie s'éteint.

Un magnifique spectacle, mené avec brio par les deux actrices et mezzo-sopranos Eléonore Pancrazi et Lucile Richardot, chacune avec son grain de voix adapté aux chansons choisies pour elles. Les musiciens sont excellents, bien sûr, et on peut citer le pianiste Alexis Gourmet ou l'accordéoniste Julien Beautemps, les plus impliqués. David Lescot en a écrit le texte et fait la mise en scène. Créé au théâtre de Caen après une résidence finale, France 3 l'a filmé en direct ce vendredi, peut-être encore en replay.

Acte[Six] a sorti en septembre un triple album autour de cette thématique qui donne bien plus à entendre et à redécouvrir que le spectacle lui-même.

Il sera de nouveau joué à Saint-Omer le 17 janvier, puis à Lille le 24 et à Arras les 28 et 29 du même mois. Avant une reprise à Rouen le 4 juin. Et sans doute d'autres dates la saison prochaine.

Alain Lambert
13 novembre 2025
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