La Belle Hélène, dessin d'Henri-Alfred Darjou, Revue humoristique des théâtres, avril 1865.
Musique de Jacques Offenbach, sur un livret d'Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après l’Illiade d’Homère, créée en 1864, à Paris, Théâtre des Variétés.
Pâris, prince troyen, s’est vu promettre la femme la plus belle au monde par Vénus. Or il la trouve dans la personne d’Hélène, mariée au roi de Sparte, Ménélas. Déguisé en berger, le Troyen vaincra un tournoi et obtiendra le droit de fréquenter la belle reine. Il entre ainsi, au 2e acte, dans le palais royal de Sparte en profitant de l’absence du mari, pendant qu’Hélène dort. Elle se réveille, certes, mais sous l’excuse que « ce n’est qu’un rêve », ils entament une idylle. C’est alors que le mari, malencontreusement revenu, surprend les amants et Pâris doit quitter les lieux. Au 3e acte cependant, le malheur s’est abattu sur Sparte : une « épidémie d’infidélité ». Vient alors le Prêtre de Vénus, qui n’est autre que Pâris à nouveau déguisé. Sous prétexte que pour finir avec l’épidémie il faut qu’Hélène parte pour Cythère, il enlève la belle sous le regard ébahi du mari.
Quelle a été l’influence d’Offenbach et d’Hervé (avec leurs librettistes, bien sûr) dans la libéralisation des mœurs dans la deuxième moitié du xixe siècle ?
Cette libéralisation est patente dans le monde de l’opéra et de l’opérette et son traitement de la prostitution ou de l’adultère, par exemple.
Certes Traviata (Verdi/Piave), Stiffelio (Verdi/Piave) ou La Favorite (Donizetti/Royer et Vaëz) sont antérieurs à Orphée aux enfers (Offenbach/Crémieux et Halévy). Mais le traitement par exemple des aventures de Manon, complètement différent avant (Auber/Scribe 1856) et après (Massenet/Meilhac et Gille 1884), nous laisse penser qu’entre les deux Manon quelque chose s’est passé.
En effet, une période de relative stabilité en France, une période d’enrichissement et de hausse du niveau de vie pour les classes aisée et moyenne (et même pour la paysannerie, sans oublier les préoccupations sociales de Napoléon III ou les avances en matière scientifique et sanitaire) ont sans doute favorisé la libéralisation de mœurs. Plusieurs témoignages indiquent que le célèbre duc de Morny, demi-frère de l’empereur et éminence grise du régime, encourageait sournoisement les audaces d’Offenbach et ses librettistes.
Dans tous les cas, dans La belle Hélène le mari est une figure ridicule que le spectateur souhaite voir cocufié au plus vite, les autres rois d’ailleurs n’étant pas moins ridicules. Échappent à peine à la risée générale le jeune libertin Orestes, le séducteur et un tant soit peu impertinent Pâris et surtout la séductrice Hélène. Une vraie sensualité est présente dans la particella de la reine, et une exaltation de la joie et du bonheur dans toute la partition — tout particulièrement dans la tyrolienne de Pâris.
Les adultères partiront ensemble dans un éclatant Happy End (a-t-on jamais vu une telle atteinte à la morale ? Des adultères heureux et triomphants !). Bien sûr, chacun a en tête la suite de l’histoire, la guerre de Troie et tout le reste, mais compositeur et librettistes n’ajoutent la moindre note sombre sur le départ final des amants. Au contraire.
Et — ce qui est encore plus étonnant — cette exaltation de l’adultère ne constitue pas un cas unique dans les œuvres lyriques de la période en France : Chilpéric de Hervé, ou la Chanson de Fortunio du même Offenbach/Halévy et Crémieux, sont encore des exemples de fin heureuse sur fond d’adultère. À la réflexion, s’agissant d’Offenbach, plusieurs de ses grands succès ont l’adultère pour sujet (La périchole, les amants de la reine Clémentine dans Barbe bleue,…), et souvent les amants sont plus sympathiques que les maris trompés (Orphée aux enfers, La vie parisienne où il est question de double adultère…)
À la même époque, ni Germaniques, ni Anglais, ni Italiens n’osèrent autant (sauf peut-être Gioconda de Ponchielli/Boito d’après une pièce du français Victor Hugo).
Mais bon, la ville de Paris avait une solide réputation en tant que capitale du libertinage, et on pouvait s’y permettre certaines audaces qui ailleurs auraient été impensables.
Jacques Offenbach, La Belle Hélène, « Amours Divins », Gaëlle Arquez, orchestre et chœur du Châtelet (Paris), sous la direction de Lorenzo Viotti, 2015. Frédéric Léolla
5 octobre 2024
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