Umberto Giordano, Fedora, acte III. La mort de Fedora, dessin d'Antonio Bonamore, 1898.
Musique d'Umberto Giordano, sur un livret d'Arturo Colautti, d’après la pièce homonyme de Victorien Sardou, créé en 1898, à Milan, Teatro Lirico.
À Moscou à la fin du xixe siècle, quelqu’un, très possiblement un certain Loris Ipanov, a assassiné celui qui devait se marier avec la riche Fedora. Et donc à la fin de l’acte I Fedora jure de démasquer Loris, qui semble être un anarchiste chevronné, et de se venger de lui. C’est ainsi que finit l’acte I. Pour le public Loris Ipanov est donc un assassin et un anarchiste. Pourtant on sait que le rôle est chanté par le ténor… Puis, quand les spectateurs font connaissance avec ce Loris, à l’acte II, ils remarquent qu’en fait ce bon Loris, qui est follement amoureux de Fedora, semble tout à fait charmant. D’autant plus qu’il lui est réservé le morceau le plus populaire de la partition, « Amor ti vieta », dont les grands ténors raffolent, allez savoir pourquoi.
Fedora arrive à lui arracher un aveu rapide de son crime (oui, c’est bien lui qui a tué son promis de l’acte I !) et dès qu’il tourne le dos, il le dénonce aux services de police de sa majesté l’empereur de toutes les Russies. Ce n’est qu’à la deuxième scène de ce même acte II que Loris peut s’expliquer plus calmement et que Fedora et le public comprennent l’apparente contradiction : en fait, ce Loris est vraiment une « bonne patte », et s’il a en effet tué l’ancien fiancé de Fedora, c’est parce que celui-ci couchait avec la femme de Loris. Loris les a donc tués tous les deux. Vous voyez ? C’est pleinement justifié. Car en plus, cette première femme de Loris était une « femme méchante », « una sirena bionda/une sirène blonde », dit-il texto.
L’adultère est donc le prétexte pour l’assassinat, mais un prétexte, une justification, tellement assumée par le public théâtral (celui de la pièce de Sardou dont est tiré le livret) et par le public opératique (encore celui de nos jours ?) que cela semble complètement exonérer, laver moralement l’assassin. Tant qu’on a cru que Loris était un anarchiste, Fedora et le public le considéraient comme un « criminel ». Dès qu’on sait qu’il était en train de « punir » les adultères, l’une et l’autre le considèrent comme un gentil qui n’a fait que ce qu’il devait.
Bon, enfin. L’histoire est bête. Mais — cela est bien pire — la musique est inintéressante. Cela se veut passionnant, intrigant, surprenant. Et ce n’est que convenu et plat.
Fedora, costumes de Claudie Gastine, pour la mise en scène de Nicolas Joël, Toulouse, Théâtre du Capitole, 26 mai 1994. Ville de Paris / BHVP.
Il faut avouer que d’autres crimes « passionnels » sont présents dans d’autres opéras. Aux yeux des spectateurs/trices de notre époque, le Canio de Pagliacci (Leoncavallo) pourrait nous sembler bien barbare. Mais la hauteur de l’inspiration musicale de Pagliacci nous fait tout oublier. Giordano n’est pas Leoncavallo.
Umberto Giordano, Fedora, acte II, scène 3, « Dona Russa », par Igor Golovatenko ( De Siriex). Frédéric Léolla
19 octobre 2024
[suite] [Sexe et opéra : adultère et infidélité] [sexe et opéra : index]
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mercredi 23 Octobre, 2024 0:03