Nice - Leipzig, 28 avril 2024, —— Jean-Luc Vannier.
Rémy Fichet. Photographie © Kirsten Nijhof.
Amiénois devenu un « Européen convaincu » comme il se définit lui-même, ancien de l’École puis du Ballet de l’Opéra de Paris, Rémy Fichet a rejoint en 2000 le Ballet de Leipzig où il a dansé dans la troupe jusqu’en 2008, en dernier lieu comme soliste. Il a interprété les œuvres d’Uwe Scholz (1958-2004), mais aussi des chorégraphies de George Balanchine, de Jiří Kylián, de John Cranko et de Kenneth MacMillan. Rémy Fichet est le nouveau Directeur désigné du Ballet de Leipzig et assurera sa direction artistique à l’Opéra de Leipzig à partir de la saison 2024/25.
Nous l’avions rencontré lors de notre récent passage à Leipzig pour la chorégraphie de Cayetano Soto sur P.I. Tchaïkovski. Professionnel rigoureux dont les responsabilités n’altèrent en rien un profond humanisme, ce qui en accentue l’élégance, Rémy Fichet a bien voulu répondre à nos questions. Portrait résolument intimiste.
Musicologie : Vous êtes prochainement nommé comme Directeur du Ballet de Leipzig : pouvez-vous nous résumer vos ambitions à ce poste ?
Rémy Fichet : Le Leipziger Ballett a une grande tradition de création chorégraphique, déjà sous le régime de l’ex-Allemagne de l’Est, tradition qui a été renforcée avec l’arrivée d’Uwe Scholz à la tête de la compagnie juste après la réunification, ou plus récemment avec Mario Schröder. Ne chorégraphiant pas moi-même, j’invite les chorégraphes de talent d’aujourd’hui à créer directement pour la compagnie et à prendre une part active dans l’évolution du ballet et de la technique classique au xxie siècle, et ainsi renforcer l’identité unique de celle-ci en l’amenant au plus haut niveau.
Musicologie : Quelles sont vos expériences passées de danseur soliste dont vous souhaitez vous inspirer et celles que vous souhaitez éviter de reproduire à la tête de cette compagnie ?
Rémy Fichet : Être un professionnel de la danse et du ballet est plus qu’un métier, c’est une vocation dès le plus jeune âge. Il me semble indispensable d’avoir été un danseur professionnel pour comprendre et assumer la direction artistique d’une grande compagnie. Mais ce sont deux métiers très différents. En tant que danseur, on interagit bien sûr intimement avec ses collègues et partenaires, mais on est avant tout responsable de soi : il faut être en grande forme, prendre grand soin de son corps, soigner constamment sa technique, connaître ses chorégraphies. Le métier de directeur artistique demande un autre dévouement de soi, tout au service de la danse et de tous les membres de la compagnie et de tous les services de la maison d’Opéra. La vision d’ensemble est indispensable pour pouvoir guider chaque individu de la manière la plus appropriée possible.
Musicologie : Puisque vous êtes aussi diplômé en management, pensez-vous mutualiser les institutions culturelles de Leipzig (Opéra, Gewandhausorchester, Ballet, Bach Festival…) ? Et de quelle manière ?
Rémy Fichet : Même si je le souhaitais, ce n’est pas de mon domaine. Je peux juste noter que nous avons une très grande chance dans une ville comme Leipzig, et au regard de son histoire et des grandes difficultés économiques qu’elle a pu rencontrer, en particulier après la réunification de l’Allemagne dans les années 90, que nos belles institutions culturelles aient survécu, d’autant plus à ce très haut niveau. Par la force des choses, il y a eu ces dernières décennies un regard pointu sur la sauvegarde d’une certaine excellence artistique dans les institutions culturelles de la ville, tout en faisant très attention à l’efficience structurelle et économique. Et une certaine mutualisation existe déjà : Le Leipziger Ballett fait partie intégrante de l’Opéra de Leipzig, dont dépend aussi la Musikalische Komödie, notre théâtre d’opérette et de musicals. Les ateliers de l’Opéra de Leipzig fabriquent également les décors et costumes des autres théâtres de la ville, comme le Schauspielhaus (Arts dramatiques) ou le Theater der jungen Welt (Théâtre pour le jeune public). Et n’oublions pas que l’Orchestre du Gewandhaus ne joue pas seulement dans sa salle de concert, mais aussi pour tous les spectacles de l’opéra, lyriques tout comme les ballets, ainsi qu’à la Thomaskirche et pour la Bachfest, le Festival de Bach.
Musicologie : Comment caractériseriez-vous, entre impératifs du développement touristique et préservation des spécificités, l’esprit culturel de Leipzig ?
Rémy Fichet : Je pense que l’engagement de tous les acteurs politico-culturels est grand à Leipzig. Nous travaillons tous avec un grand respect mutuel en reconnaissant notre force collective et dans la diversité. La musique a toujours joué un rôle essentiel à Leipzig, qui a vu passer, et souvent y rester, les plus grands compositeurs comme Johann Sebastian Bach, Gustav Mahler, Felix Mendelssohn Bartholdy, Clara & Robert Schumann, et bien d’autres. C’est une ville labélisée de musique, mais qui a su très tôt reconnaître que la danse et le ballet en sont une partie indissociable. Et c’est justement cette spécificité culturelle qui rend notre ville si attractive, d’où les grands efforts des services touristiques pour mettre ce merveilleux héritage en avant.
Musicologie : Votre origine française constitue-t-elle, selon vous, un « plus » ou un « moins » dans la mise en œuvre de vos projets ?
Rémy Fichet : Ni l’un ni l’autre. C’est pour moi un non-sujet. Ça fait partie de moi, le fait d’être né et d’avoir grandi en France a bien sûr façonné mon identité, mais tout comme le fait d’avoir passé quasiment toute ma vie d’adulte en Allemagne. J’ai d’ailleurs la double-nationalité. Je suis un Européen convaincu et j’aime m’amuser à dire que je suis l’une des incarnations de l’amitié franco-allemande. Et c’est pour moi une richesse incroyable et toujours très enrichissante. Donc bien sûr, le fait d’avoir eu la chance d’être formé et d’avoir dansé au sein de l’Opéra National de Paris fera toujours partie de moi et je transmets aujourd’hui d’une certaine manière cet héritage à mes danseuses et danseurs qui viennent pour la plupart d’autres écoles. Mais le fait d’avoir travaillé pendant plusieurs années avec le chorégraphe allemand Uwe Scholz a continué à me façonner ; ma technique s’est adaptée et j’ai surtout appris avec lui à écouter la musique très différemment, ce que je tiens aussi absolument à transmettre.
Leipzig — Nice, le 28 avril 2024
Propos recueillis par Jean-Luc Vannier
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Mardi 30 Avril, 2024 21:39