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Salle Cortot, 25 novembre 2024 — Frédéric Norac

Lucrezia : Portraits de femme

LucreziaLucile Richardot Sandrine Piau, Jérôme Correas, Les Paladins. Salle Cortot 25 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.

Était-ce une pure coïncidence ? C’est justement le 25 novembre, journée contre « les violences faites aux femmes » que Jérôme Correas avait choisi pour présenter son disque*, dédié à la figure emblématique de Lucrèce et aux cantates que lui ont consacré les compositeurs baroques. On connaît l’histoire : Lucrèce, femme de Collatinus, noble romain, est violée par Sextus, le fils du roi Tarquin. Pour sauver son honneur et celui de sa famille, elle n’a pas d’autre choix que de se suicider. C’est sa mort, poignardée, qu’à l’instar de celle de Cléopâtre, les peintres n’ont cessé de représenter du xvie au xviie siècle, en profitant pour s’offrir le prétexte d’un beau nu féminin. Du côté musical, c’est surtout les xviie et xviiie siècles qui semblent avoir été intéressés par cette figure, image même du stoïcisme et du courage féminin. La scène qui suit l’infâme abus dont elle est victime permet en effet de jouer sur la multiplicité des affects : fureur, désespoir, résignation, courage, offrant une thématique idéale pour composer une scène d’opéra en miniature avec sa rhétorique où alternent dans un temps concentré, récitatif, arioso et vocalises. Le disque réunit quatre voix, de la plus aiguë (Sandrine Piau) à la plus grave (Lucile Richardot) en passant par les registres intermédiaires du soprano lyrique d’Amel Brahim-Djelloul et de la voix centrale de Karine Deshayes. À chacune est associé un compositeur, mettant ainsi en valeur l’originalité de chacun d’eux face à une scène identique, voire à un même texte dans le cas de Scarlatti et de Marcello, celui de la Lucrezia romana du Cardinal Benedetto Pamphili.

Les différences stylistiques sont frappantes et évitent toute sensation de répétition, mais les quatre œuvres ont en commun une dramatisation basée sur des ruptures de ton et s’achèvent sur un effacement progressif de la voix de l’héroïne, sauf dans le cas de Händel où elle se termine sur un terrible cri de vengeance. Plus distancée chez Pignolet de Montéclair, plus mélodique chez Händel, plus concise chez Marcello, plus variée et complexe chez Scarlatti, chacune apporte une vision différente de l’héroïne et de son drame avec au centre cette interrogation paradoxale de la victime sur sa culpabilité.

Pour le concert, le chef ne disposait que de deux de ses interprètes : Sandrine Piau pour la Morte di Lucretia, cantate italienne de Montéclair et Lucile Richardot pour celle de Benedetto Marcello. L’une comme l’autre se montre aussi virtuose qu’engagée et expressive, et même aux limites de l’expressionnisme pour la première. Pour alléger l’atmosphère et relâcher un peu la tension liée au dramatisme des deux pièces vocales, le chef a intégré à son programme deux pièces instrumentales, une sonate de Händel (opus no 3) en ouverture et une sonate en trio sur la Folie d’Espagne de Vivaldi (opus 1, no 12), pour laquelle le luthiste Charles-Édouard Fantin improvise une brillante introduction très « flameca » à la guitare et où les deux violons du petit ensemble instrumental font merveille. Au disque, les pièces instrumentales sont moins connues, la sinfonia de l’oratorio Il martirio di Santi Vito, Modesto et Crescenzo de Pasquini et un Concerto a cinque (opus 1, no 7) de Marcello, qui mettent en valeur les qualités de l’Ensemble Les Paladins en petite formation comme il convient à ce répertoire chambriste.

Le concert donnait en plus l’occasion aux deux chanteuses qui ont enregistré séparément de se rencontrer et d’offrir deux superbes duos amoureux tirés d’opéras de Händel, celui de Cléopâtre et de César de Giulio Cesare qu’elles interprètent avec une certaine malice et en bis celui d’Ariodante et de Ginevra, pour le plus grand bonheur de leurs fans (nombreux d’évidence dans la salle) et qui leur font un triomphe ainsi qu’aux instrumentistes et à leur chef.

Lucrezia : Montéclair, Pasquini, Scarlatti, Marcello, Händel, avec Sandrine Piau, Amel Brahim-Djelloul, Karine Deshayes, Lucile Richardot, Les Paladins, sous la direction de Jérôme Corréas. Aparté 2024 (AP. 359. Enregistré du 3 au 8 septembre 2023.


plume_07 Frédéric Norac
décembre 2024
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