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Paris, Opéra Comique, 22 septembre 2024 — Frédéric Norac

Le Domino noir d’Auber : une brillante ouverture de saison, Salle Favart

Marie Lenormand (Jacinthe). Photographie © Stefan Brion.

Avec cette reprise du Domino noir (millésime 2018), l’Opéra-Comique ouvre brillamment sa saison 2024-2025. En six ans, la production de Valérie Lesort et Christian Hecq (reprise par Laurent Delvert) n’a pas pris une ride et semble même s’être encore bonifiée. Certes, le premier acte avec sa longue scène d’exposition en dialogue d’une intrigue aussi sophistiquée qu’invraisemblable paraît un peu bavard et peine à trouver son rythme. Le jeu d’acteurs trop boulevardier, et les facéties costumières (la roue de paon de Comte Juliano ou les épines de porc-épic de Lord Elfort) ne sont que des gadgets. Les images esthétisantes du bal masqué vu à travers l’horloge (sur fond de Carnaval des animaux) à l’arrière-plan paraissent hors de propos. Il faut attendre le premier finale pour que la musique d’Auber fasse enfin décoller ce qui semblait jusque là à la limite du convenu.

Berlioz, en 1837, malgré quelques réserves mal dissimulées et un peu de condescendance (« formes un peu étroites », « mélodies courtes » et « tendance vaudevillique »), avouait que le « faire » du compositeur était « celui qui convient le mieux à l’opéra comique ». L’on se souviendra aussi de la formule de Rossini qui le rejoint : « Grand musicien, petite musique ». Si l’on ne peut qu’être d’accord avec eux, il faut bien avouer que quelque chose d’autre emporte l’auditeur qui tient sans doute au pouvoir d’invention du musicien, transcendant les péripéties du livret de Scribe. Le tout est bien secondé par la mise en scène dans un registre farfelu où le rythme le dispute à l’humour et où les gags sont toujours parfaitement à propos et ne viennent jamais parasiter le développement musical, mais soutiennent bien une partie théâtrale assez importante.

Comte Juliano (Léo Vermot-Desroches), chœur les éléments. Photographie © Stefan Brion.

Dès le deuxième acte, le souper chez Juliano, les situations et les personnages font mouche et l’on cesse de se demander si l’on peut croire à cette histoire d’une future abbesse qui va au bal masqué un soir de Noël, la veille de prononcer ses vœux, se retrouve à la porte du couvent, se réfugie dans la première maison venue et y rencontre l’homme qu’elle aime et qu’elle voulait fuir. Bien sûr, tout cela s’achève le mieux du monde, avec une scène de couvent au troisième acte où le compositeur en profite pour écrire un superbe chœur religieux féminin (pendant du chœur masculin des noceurs du deuxième acte) et Scribe pour égratigner la « religion » et ses « petits défauts », avouons-le plutôt gentiment, dans un air que les contemporains trouvaient tout de même un peu risqué.

De la production originale sont demeurés les deux protagonistes. Anne-Catherine Gilet en Angèle de Olivares et Cyrille Dubois en Horace de Massarena. La première transcende un timbre un peu pincé par une technique de vocaliste impeccable dans un rôle écrit pour Laure Cinti-Damoreau, la grande interprète du Rossini français, à qui l’écriture vocale fait parfois penser. Le second confirme qu’il est exactement la haute-contre ou le ténor léger, comme on voudra le nommer, qui traverse le répertoire français du xviie au xixe siècle, avec une voix brillante au timbre pénétrant. Succédant à François Rougier en Comte Juliano, Léo Vermot-Desroches s’affirme comme une des plus belles voix de ténor lyrique du moment. En Jacinthe, Marie Lenormand compense par une vis comica irrésistible les outrages du temps sur sa voix de mezzo-contralto un peu ternie. La voix de Jean-Fernand Setti a pris de l’épaisseur et s’est singulièrement affirmée depuis ses Toréadors de 2023 et la basse offre une belle stature à Gil Pérez le concierge du couvent. Citons encore l’excellente Brigitte de San Lucar de Victoire Bunel, la soeur Ursule de Francine Bergé, sans oublier la Soeur Tourière d’Isabelle Jacques. Laurent Montel retrouve son rôle parlé de l’Anglais, Lord Milfort, et nous a un peu moins agacé qu’il y a six ans.

Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet), Horace de Massarena (Cyrille Dubois), chœur les éléments. Photographie © Stefan Brion.

Le chœur des Éléments a succédé à Accentus et apporte une contribution de premier plan, singulièrement dans les ensembles du deuxième acte. Mais à vrai dire, si la réussite de l’ensemble doit beaucoup à cette remarquable distribution et à la mise en scène, le petit miracle vient aussi de la fosse où Louis Langrée dirige avec l’élégance, la verve, le sens du style et l’attention voulue au plateau, un Orchestre de Chambre de Paris dopé par le brio d’une musique aussi charmante que volatile et qui sait faire oublier le métier qu’elle cache par le plaisir qu’elle donne.

Prochaines représentations les 24, 26 et 28 septembre.

plume_07 Frédéric Norac
22 septembre 2024
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