Théâtre des Champs-Élysées, 3 mars 2024 — Frédéric Norac
Théâtre des Champs-Élysées, Boris Godounov. Photographie © Mirco Magliocca.
Olivier Py n’y va pas par quatre chemins dans sa mise en scène de Boris Godounov. Il inscrit d’emblée l’opéra de Moussorgski dans l’actualité, faisant du tsar meurtrier, en proie à la culpabilité, non pas un monarque tourmenté, mais un autocrate sans état d’âme. Seul l’Innocent (affublé d’une robe de fillette rose et d’un entonnoir surmonté d’une croix) est suffisamment tabou pour échapper à sa cruauté. De fait, il manque au personnage quelque chose d’humain que même la scène avec ses enfants et celle de sa mort pathétique peinent à faire exister.
Le décor et les costumes de Pierre-André Weitz utilisent habilement une sorte d’iconostase, représentant la vieille Russie mythique, une façade d’immeuble typiquement stalinienne, et une grande boite lambrissée pour le bureau du potentat qui lui permettent de passer d’un tableau à l’autre avec une fluidité parfaite, mêlant par ailleurs costumes contemporains et brocarts dorés. Le Prince Chouisky a de faux airs de Beria (le fondateur du KGB), les hommes de main de Boris sont évidemment en battle-dress et armés kalachnikov et l’on voit passer un drapeau doré puis celui de la Russie actuelle suivie de celui de l’URSS. Le moindre épisode est immédiatement illustré par une représentation concrète des événements évoqués, tels par exemple le meurtre du petit tsarévitch dont le fantôme, concrétisant la culpabilité de Boris, est omniprésent sur le plateau. Si le parti-pris est efficace, il enlève à l’ensemble ce climat trouble, ces ambiguïtés qui pourraient sauver quelque peu le rôle-titre.
Théâtre des Champs-Élysées, Boris Godounov. Photographie © Mirco Magliocca.
Remplaçant Matthias Goerne, initialement prévu, Alexander Roslavets est un Boris de bonne tenue à l’émission tranchante. Avec sa voix de baryton-basse sombre, il fait de son mieux pour donner un peu d’épaisseur à son personnage, mais n’atteint pas vraiment les hauteurs légendaires d’un Chaliapine ou d’un Boris Christoff. La galerie de basses, typique de l’opéra russe, en décline toutes les nuances avec subtilité. Elle est dominée par le Pimène chaleureux et profond de Roberto Scandiuzzi dont le récit mystique (à l’acte III) est particulièrement saisissant. On citera aussi le puissant Nikititch de Sulkhan Jaiani et le Varlaam de Yuri Kissin. Du côté des ténors, le faux Dimitri de Airan Hernandez et le Chouisky de Marius Branciu sont tous deux aussi très convaincants. Parmi les rôles épisodiques, on retiendra le Fiodor garçonnier de la mezzo Victoire Bunel, la truculente aubergiste de Sarah Laulan et la Xenia éplorée de Lila Dufy. De fait, la distribution se révèle absolument exemplaire et fait exister les personnages avec beaucoup de vérité, donnant a l’ensemble la profondeur qui fait défaut à la mise en scène. Elle est complétée par les chœurs somptueux du Capitole de Toulouse (où la production a été créée en décembre dernier) et soutenue par la direction d’Andris Poga.
Théâtre des Champs-Élysées, Boris Godounov. Photographie © Mirco Magliocca.
À la tête de l’Orchestre national de France, le chef letton donne à la version originale de 1869 cette unité dramatique difficile à atteindre, reliant parfaitement les huit tableaux qui la composent sans solution de continuité. En un peu plus de deux heures sans la moindre baisse de tension, la messe est dite et bien dite.
Prochaines représentations les 5 et 7 mars
Chaliapine « live » dans la scène de la mort de Boris en 1927 lors de ses adieux au Covent Garden.
Frédéric Norac
3 mars 2024
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