I. Distribution ; II. Notice ; III. Argument.
ANNINA
prend la lettre et lit
« Monsieur le gentilhomme ! Demain soir, j’ai ma soirée.
J’vous ai trouvé à mon goût, mais j’suis été
toute honteuse devant Son Altesse,
vu que j’suis si jeune. La Mariandel que vous savez,
femme de chambre et amoureuse.
Si Monsieur le gentilhomme n’a point déjà oublié mon nom.
J’attends vot' réponse ».
LE BARON
Elle attend ma réponse.
Tout est réglé comme du papier à musique, comme à la maison,
et avec un petit quelque chose, par-dessus le marché.
Voilà que j’ai encore une fois la chance des Lerchenau.
Venez après le repas, je vous donnerai alors ma réponse par écrit.
ANNINA
À vos ordres, monsieur le gentilhomme. Vous n’oubliez pas la messagère ?
LE BARON
sans l’entendre, reprend sa chanson
« Sans moi, sans moi,
chaque jour te semblera trop long ».
ANNINA
Vous n’oubliez pas la messagère, Votre Grâce !
LE BARON
C’est très bien.
« Avec moi, avec moi,
aucune nuit ne te semblera trop longue ».
Annina lui tend la main une nouvelle fois
Cela, plus tard. Chaque chose en son temps. Alors, ça, à la fin.
Attendez la réponse ! En attendant, disposez.
Faites porter une écritoire dans ma chambre là en face,
et je dicterai alors la réponse.
Annina sort, non sans avoir montré par des gestes menaçants derrière le dos du Baron qu’elle a l’intention de se venger de son avarice.
Le Baron avale une gorgée de vin.
« Aucune nuit ne te semblera trop longue !
Aucune nuit ne te semblera trop longue. Trop longue»
Il se dirige lentement vers sa chambre, d’un air satisfait, accompagné par les serviteurs.
« Avec moi, avec moi, avec moi,
aucune nuit ne te semblera trop longue.
(Le rideau tombe)
Un salon particulier dans une auberge.
Au fond, à gauche, une alcôve et un lit. L’alcôve peut être isolée, si l’on ferme les rideaux du lit
Au centre gauche, une cheminée où flambe un bon feu ; au-dessus un miroir. Au premier plan, à gauche, une porte qui ouvre sur la pièce mitoyenne. Face à la cheminée, une table dressée pour deux personnes, sur laquelle on a placé un chandelier. Au fond, dans le milieu, une porte qui donne sur un couloir et à droite de cette porte une desserte. Au fond, à droite, une fenêtre murée, et sur le devant, une fenêtre qui donne sur la rue. Il y a des chandeliers garnis sur la desserte sur la cheminée et accrochés aux murs. Une seule chandelle est allumée, dans le chandelier qui se trouve sur la cheminée. La pièce est dans la pénombre. Au lever du rideau, Annina, portant une belle toilette de deuil, est debout au milieu de la pièce, tandis que Valzacchi ajuste son voile et sa robe. Il se recule, la contemple d’un œil critique, sort un crayon de sa poche et lui farde les yeux.
On ouvre précautionneusement la porte de gauche, et quelqu’un passe la tête et la retire aussitôt.
Puis une vieille femme, d’allure un peu suspecte, mais vêtue de façon respectable, se glisse dans la pièce silencieusement et fait obséquieusement entrer Octave, habillé en femme, avec sur la tête un petit bonnet comme en portent les jeunes bourgoises.
Suivi de la vieille dame, Octave s’approche des deux autres. Valzacchi s’aperçoit de sa présence, interrompt son travail et s’incline. Annina ne le reconnaît pas tout de suite, sous son déguisement, et, étonnée et déconcertée, elle lui fait une révérence. Octave fouille dans sa poche — pas comme une femme, mais comme un homme — et on peut voir que sous sa jupe il porte un costume d’homme et des bottes de cheval, mais sans les éperons. Il jette une bourse à Valzacchi ; les deux Italiens lui baisent les mains et Annina lui ajuste son fichu.
Cinq hommes, à la mine patibulaire, entrent avec précaution par la gauche. Valzacchi leur fait signe d’attendre. Ils restent à gauche, près de la porte. Une horloge sonne la demie. Valzacchi sort sa montre et la fait voir à Octave. L’instant est venu. Octave sort rapidement par la gauche, suivi de la vieille qui lui sert de duègne. Annina se dirige silencieusement vers le miroir et termine sa toilette sans faire de bruit, puis elle sort un morceau de papier et semble être en train de répéter un rôle. Pendant ce temps, Valzacchi fait fait avancer les cinq gredins sur le devant de la scène, leur indiquant par gestes qu’il faut être très prudent. Ils le suivent sur la pointe des pieds. Il fait signe à l’un d’eux de le suivre sans faire aucun bruit, le mène jusqu’au mur de droite, ouvre tout doucement une trappe à côté de la table, fait descendre son complice et referme la trappe. Puis il en appelle deux autres, les précède à pas de loup jusqu’à la porte du fond, passe la tête pour s'assurer que personne ne les observe, leur refait signe et les fait sortir. Il referme la porte et conduit les deux hommes qui restent jusqu’à la pièce voisine, dans laquelle il les pousse. Puis il fait signe à Annina et tous deux sortent silencieusement par la porte de gauche qu’ils referment derrière eux.
Au bout d’un instant, Valzacchi revient et frappe dans ses mains. L’homme caché sous la trappe sort le buste. Au même instant des têtes se dressent derrière le lit et un peu partout. Sur un signe de Valzacchi, elles disparaissent tout aussi soudainement et les passages secrets se ferment sans le moindre bruit.
Valzacchi regarde à nouveau sa montre, remonte vers le fond et ouvre la porte de la chambre. Puis il sort un briquet et se met vivement à allumer les chandelles sur la table.
Un serveur et son aide entrent en courant avec un allumoir. Ils allument toutes les chandelles.
Ils ont laissé la porte ouverte et on entend de la musique.
Valzacchi se précipite vers la porte du fond, ouvre les deux battants et s’incline profondément. Le Baron Ochs paraît, le bras en écharpe, donnant son bras valide à Octave. Son serviteur personnel suit. Ochs examine la pièce d’un œil critique. Octave jette un coup d’œil à la ronde et court arranger sa coiffure devant le miroir. Ochs aperçoit le serveur et son aide qui sont toujours en train d’allumer les chandelles et leur fait signe d’arrêter. Pleins de zèle, ils n’y prêtent pas attention. Le Baron fait impatiemment dégringoler l’aide de la chaise sur laquelle il était monté et mouche quelques-unes des chandelles avec ses doigts. Valzacchi indique discrètement l'alcôve au Baron, avec son lit derrière les rideaux tirés.
L’AUBERGISTE
entre à la hâte, avec plusieurs serviteurs, pour saluer un hôte si distingué
Votre Grâce a-t-elle d’autres ordres à donner ?
LES GARÇONS
Désirez-vous davantage de lumière ?
L’AUBERGISTE
Une plus grande pièce ?
LES GARÇONS
Désirez-vous davantage de lumière sur la table ?
Davantage de lumière ?
Davantage d’argenterie ?
LE BARON
tout occupé à éteindre, avec une serviette qu’il a prise sur la table et dépliée, toutes les chandelles qui sont à sa portée
Disparaissez ! Vous allez m’affoler cette petite !
On entend de la musique en coulisse
Pourquoi cette musique ? Je ne l’ai pas commandée.
Il éteint encore d’autres chandelles.
L’AUBERGISTE
Vous voudriez Peut-être l’entendre de plus près.
Là dans l’antichambre, c’est de la musique de table !
LE BARON
Laissez donc la musique là où elle est.
Il remarque la fenêtre du fond derrière la table
Qu’est-ce que c’est que cette fenêtre-là ?
L’AUBERGISTE
Ce n’est qu’une fenêtre murée.
Il s’incline.
Faut-il servir le repas ?
Les cinq garçons veulent sortir.
LE BARON
Halte, que font là ces hannetons ?
LES GARÇONS
Nous servons, Votre Grâce.
LE BARON
leur faisant signe de partir
Je n’ai besoin de personne.
Comme personne ne bouge, il leur dit d’un ton rude
Déguerpissez ! C’est mon serviteur que voilà, qui va me servir.
Et je verserai moi-même à boire. C’est compris ?
Valzacchi leur fait signe de se conformer aux désirs du Baron sans répliquer et les pousse tous dehors. Le Baron continue à éteindre d’autres chandelles, bien qu’il ait du mal à atteindre celles qui sont aux murs. À Valzacchi :
Vous êtes un brave garçon. Si vous m’aidez à réduire
l’addition, il vous tombera quelque chose.
Ce sont des bourreaux pour les prix, ici.
Valzacchi sort en saluant. Octave est prêt à jouer son rôle. Le Baron le mène jusqu’à la table où ils prennent place. Le valet, près de la desserte, observe, sans la moindre discrétion, l’évolution du tête-à-tête et apporte à table des carafes de vin. Le baron remplit les verres. Octave boit une gorgée. Le Baron lui baise la main qu’Octave retire aussitôt. Le Baron fait signe aux valets de sortir, mais il est obligé de s’y reprendre à plusieurs fois avant de se faire obéir.
OCTAVE
repoussant son verre
Non, non, non, non ! J’bois pas d’vin.
LE BARON
Voyons, mon cœur, qu’y a-t-il ? Ne faites pas d’embarras.
OCTAVE
Non, non, j’reste pas là.
Il se lève d’un bond et fait semblant de vouloir sortir. Le Baron l’attrape de la main gauche.
LE BARON
Vous me mettez au désespoir.
OCTAVE
J’sais bien à quoi qu’vous pensez.
Oh, vous êtes un vilain monsieur !
LE BARON
Saperlipopette ! Je vous jure sur la tête de mon ange gardien !
Octave feint d’être mort de peur, part en courant vers l’alcôve comme s’il se trompait de sortie, écarte les rideaux et voit le lit.
OCTAVE
il reste tout saisi d’étonnement et revient, sur la pointe des pieds, tout à fait déconcerté
Jésus Marie, y’a un lit là-dedans, un gigantesque lit.
Mon Dieu, qui c’est qui dort là ?
LE BARON
le ramenant vers la table
Vous le verrez bientôt.
Venez maintenant. Asseyez-vous bien gentiment.
On va apporter les plats tout de suite.
Vous n’avez donc pas faim ?
Il le passe son bras autour de la taille d’Octave
OCTAVE
lui décochant un regard langoureux
Oh mon Dieu, vous qu’êtes un homme fiancé.
Il le tient à distance.
LE BARON
Ah, laissez donc ce mot stupide !
Vous avez devant vous un gentilhomme
et non pas un marchand de savon :
un gentilhomme laisse
tout ce qui ne lui convient pas
sur le pas de la porte. Il n’y a plus ici ni fiancé, ni soubrette :
Il y a à souper ici un amoureux avec sa bien-aimée.
Il attire Octave à lui. Octave se renverse sur sa chaise avec coquetterie, les yeux à demi fermés. Le Baron se lève : il lui semble que le moment du premier baiser est venu. Mais lorsque son visage est tout près de celui de la soubrette, il est soudain frappé par sa ressemblance avec Octave. Il se recule et porte instinctive ment la main à son bras blessé.
Ce visage ! Maudit garnement !
Il me poursuit jour et nuit !
OCTAVE
ouvre les yeux et le regarde avec une moue effrontée et coquette
Qu’est-c’qu’vous voulez dire ?
LE BARON
Vous ressemblez à quelqu’un, à un maudit sacripant.
OCTAVE
Allons donc ! J’ai jamais rien entendu d’pareil !
Le baron rassuré et sûr qu’il s’agit bien d’une soubrette, grimace un sourire. Mais il n’est pas encore tout à fait remis de son trouble et le baiser est remis à plus tard. L’homme de la trappe sort trop tôt et apparaît. Octave assis en face de lui, lui fait des signes désespérés. L’homme disparaît immédiatement. Le baron qui avait fait quelques pas dans la pièce pour se ressaisir, est sur le point de revenir embrasser Octave par derrière, lorsqu’il aperçoit la tête de l’homme qui disparaît sous la trappe. Il est mort de peur et montre le plancher du doigt. Octave feint de ne pas comprendre.
Qu’avez-vous donc ?
LE BARON
montrant l’endroit où il a vu la disparaître la tête
Qu’est-ce que c’était ?
Vous ne l’avez pas vu ?
OCTAVE
Y’a rien là.
LE BARON
Il n’y a rien ?
Il regarde à nouveau Octave fixement.
Vraiment ?
Et là, il n’y a rien non plus ?
II passe sa main sur le visage d’Octave.
OCTAVE
Y’a ma figure.
LE BARON
en respirant bruyamment, il se verse un verre de vin
Il y a votre figure — et là il n’y a rien — il me semble que je vais avoir une attaque.
Le Baron se rassoit lourdement, mais il est très inquiet. La porte s’ouvre et on entend de nouveau la musique du dehors. Le serviteur personnel entre et commence à servir.
OCTAVE
Quelle belle musique !
LE BARON
Savez-vous que c’est mon air favori ?
OCTAVE
écoutant la musique
Ça m’donne envie d’pleurer.
LE BARON
Quoi ?
OCTAVE
Pasque c’est si beau.
LE BARON
Quoi, pleurer ? Ce serait du joli.
Vous devez être gaie comme un pinson, cette musique vous entre dans le sang.
Sentez-vous maintenant —
Il fait signe au valet de sortir.
sentez-vous enfin, là,
que vous pouvez faire de moi
tout ce que vous voudrez ?
Le valet se dirige, à contrecœur, vers la porte, se retourne pour les regarder une dernière fois avec une insolente curiosité et ne sort qu’après une violente bourrade du Baron.
OCTAVE
se renversant sur sa chaise et faisant semblant de se parlera lui-même, d’un ton absolument désespéré C’est toujours la même chose, c’est toujours la même chose,
même si c’est l’plus cher désir d’ not' cœur.
Tandis que le Baron lui prend la main.
Y’a rien qui vaut la peine.
LE BARON
lâchant sa main
Eh là, comment donc ? Il y a des tas de choses qui en valent la peine.
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Lundi 9 Décembre, 2024