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Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 29 mars 2024 — Frédéric Norac

David et Jonathas : les tourments de Saül vus par Jean Bellorini

David et Jonathas. Photographie © Philippe Delval / théâtre de Caen.

Créé à Caen en janvier dernier, le David et Jonathas de Charpentier achevait sa tournée française sur la scène du TCE. Telle que nous la connaissons actuellement, la tragédie biblique est une œuvre incomplète. À l’origine, cet opéra destiné aux élèves du Collège Louis-le-Grand jouait à parts égales avec une pièce en vers latin (perdue) dont elle constituait en quelque sorte l’illustration musicale. Telle quelle, elle manque sans doute d’un fil dramatique. Dans sa note d’intention, Jean Bellorini dit avoir voulu recentrer l’intérêt sur Saül, le roi dont le pouvoir est mis en cause par David, le nouvel élu de Dieu. Il en a fait un vieil homme en proie à un délire paranoïaque, en chemise sur un lit de fer, tel un aliéné dans un hôpital et lui a associé un personnage inventé, une sorte de chaperon ou de gardien qu’il a baptisé « La Reine des oubliés ». Le discours de ce personnage se veut « philosophique » et moral, et tend à replacer l’épisode biblique dans une perspective contemporaine. Outre la banalité pontifiante des propos, la voix amplifiée de la comédienne crée une rupture avec la musique vivante et le texte de Wilfried N’Sondé n’apporte pas grand-chose au livret du Père Bretonneau qui est déjà suffisamment explicite.

On reconnaîtra une incontestable virtuosité au décor à transformation imaginé par le metteur en scène qui permet de séparer les deux temporalités, le présent de Saül et le souvenir des évènements qui ont conduit à sa déchéance. Sa lecture en revanche reste assez absconse et à la superficie de l’œuvre notamment concernant les rapports des deux protagonistes. Au-delà d’un certain folklore vestimentaire — masques et coiffes en un bricolage qui sans doute voudrait évoquer un spectacle « scolaire » —, elle ne parvient guère à faire exister les personnages secondaires, tels la Pythonisse extravagante ou Joabel parfaitement ridicule en jupette écossaise. Est-ce pour éviter les connotations homosexuelles que suggère « l’amour » des protagonistes l’un pour l’autre que Jonathas est habillé dans un style nettement féminin et que leurs ébats sont réduits à un jeu de pierre-feuille-ciseaux ? On regrette également que chaque conclusion d’acte ne se fasse rideau baissé alors que la musique appellerait d’évidence une sorte de « divertissement » chorégraphié.

David et Jonathas. Photographie © Philippe Delval / théâtre de Caen.

Au-delà des limites de l’approche scénique, on apprécie une distribution de haut niveau où les rôles épisodiques sont tenus par de vraies personnalités, Lucile Richardot et son timbre si particulier en Pythonisse et Etienne Bazola en Joabel. Les aigus pincés du David de Petr Nekoranec sont affaire de goût, mais son articulation française est parfaite de même que celle de Gwendoline Blondeel dont le soprano très léger renforce la féminité de son Jonathas. Jean-Christophe Lanièce crève l’écran dans son rôle de roi tourmenté malgré une direction d’acteurs qui le met souvent en position inconfortable (danser sur un plan incliné, par exemple).

Dans la fosse, l’ensemble Correspondances met un petit temps à se chauffer, mais atteint à la plénitude sonore tandis que sur le plateau l’excellent chœur donne le meilleur de lui-même d’entrée de jeu. Si au final la dimension musicale sauve la production, elle ne nous fera pas oublier celle si cohérente d’Andreas Homoki à l’Opéra Comique en 2013, vision « domestique » de ce drame biblique où brillait singulièrement la Pythonisse ménagère de Dominique Visse.

plume_07 Frédéric Norac
19 mars 2024
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