Caen, 11 novembre 2023 —— Alain Lambert.
David et Jonathas. Photographie © Philippe Delval-théâtre de Caen.
L’ensemble Correspondance, dirigé par Sébastien Daucé, est en résidence au théâtre de Caen depuis 7 ans déjà, ce qui lui permet d’aller défricher les œuvres baroques oubliées comme ce David et Jonathas de Marc Antoine Charpentier, joué en 1688 au collège jésuite Louis le Grand dont les aristocratiques élèves étaient les interprètes.
Il s’agit en fait d’une longue pièce en onze actes, dont six de tragédie en latin, et cinq d’opéra en français. Sans doute la perte du texte en latin rend un peu obscur le propos de l’opéra, une ample lamentation de Saül (prononcer Sa-ul) sur sa folie guerrière et la mort de son fils Jonathas, et qui se remémore les faits passés.
La musique est magnifique, magnifiée par l’orchestre et les chœurs. Le décor est impressionnant. Le parti pris de mise en scène de Jean Bellorini, la danse macabre, les ombres des morts, les foules sacrifiées nous mène dans un monde intermédiaire entre le cauchemar et les limbes, à la fois actuel dans notre époque troublée, et lointain, vers ces époques où la guerre était le lot commun, qu’on espérait un jour dépasser. Plus les intermèdes théâtraux très actuels de Wilfried N’Sondé, dits par une conteuse, qui donnent voix à tous les massacrés de l’histoire. D’autant plus un 11 novembre…
Pourtant faut-il encore conserver cette mode pseudo baroque de rouler, heureusement pas toujours, les « r », ce qui avait du sens quand les spectateurs parlaient de même ? La bataille devient navale quand on entend « coulons, coulons » à la place de « courons, courons ».
David et Jonathas. Photographie © Philippe Delval-théâtre de Caen.
Pour le reste, l’intrigue est simple comme dans Roméo et Juliette. Les deux amis (l’intermède théâtral cite justement Montaigne) appartiennent à deux peuples ennemis, et malgré leur volonté de refuser la bataille, ne pourront empêcher la mort de Jonathas. Dans l’intime et la psychologie, l’opéra vibre vraiment, presque romantique dans certains duos ou solos, intensifiés par la reprise douloureuse des chœurs, anticipant Gluck.
Jean Christophe Lanièce, un ancien maîtrisien de Caen, incarne Saül, entre folie et fragilité. Gwendoline Blondeel prête sa belle voix à Jonathas, et Petr Nekoranec chante à la perfection le malheur de David.
Le jeune artiste tchèque est arrivé à Caen il y a deux ans pour le casting avec sur son téléphone une appli pour apprendre le français et pouvoir se présenter dans cette langue, qu’il chante avec un léger accent plutôt seyant.
Une belle recréation en grand ensemble qui va voyager à l’opéra national de Lorraine à Nancy en janvier prochain, puis à Paris au théâtre des Champs-Élysées, en mars, au théâtre de la ville de Luxembourg en avril et en décembre à l'Opéra de Lille.
Et à Caen, nous avons eu la chance d’entendre trois jours avant l’ensemble Correspondance sous la forme épurée du trio dans un bel hommage à Marin Marais, Les voix humaines. Mathilde Vialle à la viole de gambe, Thibault Roussel au théorbe et Sébastien Daucé au clavecin. Trois sur trente trois.
Mathilde Vialle. Photographie © D. R.
Marin Marais avait eu la chance, fils de cordonnier, d’être repéré pour sa voix et d’intégrer le chœur d’enfants de la maîtrise de Saint-Germain l’Auxerrois, où il y découvrit la musique et son instrument fétiche, qu’il jouait bien sur la gambe, comme le montre son portrait d’époque, et pour lequel il écrivit six cents pièces.
Un Tombeau et un Prélude de Robert de Visée sont intercalés pour permettre au théorbe de donner toute sa voix, aussi quand il se retrouve en duo avec la viole, le clavecin sachant se faire discret, les laissant à leur méditation. Mais parfois la folia les prend à trois comme dans le Grand Ballet ou la Chaconne en rondeau.
Un très beau concert tout en nuance et en finesse. Qui mériterait de voyager lui aussi.
Alain Lambert
novembre 2023
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Lundi 13 Novembre, 2023 14:14