musicologie
Monaco, 8 avril 2024, —— Jean-Luc Vannier.

Cecilia Bartoli et John Malkovich à l’opéra de Monte-Carlo : duel ou duo de genres ?

John Malkovich. Photographie © Brigitte Lacombe-OPMC.

L’une émeut, l’autre fait sourire. La première dramatise — parfois un peu trop à notre goût — les airs qu’elle interprète, le second, dans un rôle de contre-ténor sur le retour et sans public, ronchonne comme un old grumpy. En coproduction avec Le Printemps des Arts, l’opéra de Monte-Carlo présentait dimanche 7 avril salle Garnier, « Their Master’s Voice », un spectacle lyrique réalisé par le viennois Michel Sturminger qui mettait en scène un duo pour le moins inhabituel : Cecilia Bartoliet l’acteur-réalisateur américain John Malkovich.

Le scénario mélange, déjà, les genres : le rideau se lève sur la première répétition d’un pasticcio conçu par un ancien contre-ténor américain Jeffrey Himmelhoch — rien d’étonnant au fait qu’il trépigne pour arriver sur scène par les airs — en hommage à son idole de toujours, le célèbre castrat Farinelli. Et c’est là que les choses se gâtent : multiples désaccords avec la jeune metteuse en scène un tantinet féministe Rosie Blackwell incarnée par Emily Cox, absence d’une mezzo-soprano miraculeusement trouvée parmi une femme de ménage — évidemment Cecilia Bartoli — et invitation d’un jeune contre-ténor nommé Lukas Dahlberg et censé représenter Farinelli jeune (Philipp Mathmann). Nonobstant sa facticité, cette histoire permet d’agencer au mieux l’interprétation d’une série d’airs de compositeurs et d’offrir en tout début de programme, accompagnée par un remarquable solo de violon (Thibault Noally), une somptueuse Ouverture n° 5 en si bémol majeur RV379 III Allegro d’Antonio Vivaldipar l’Orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco. Et ce, sous une direction signée Gianluca Capuanohaute en couleurs, riche en nuances et brillante : un répertoire baroque qui lui sied à merveille.

Parmi les moments les plus intenses de cette soirée, citons « How dark, O Lord, are thy decrees » de Jephtha, un oratorio (1751) deGeorg Friedrich Händel où les chœurs sublimes de l’opéra de Monte-Carlo (Stefano Visconti) précèdent un duo de Cecilia Bartoli et de Philipp Mathmann « Destero dall’empia » tiré de l’opéra du même compositeur Armadigi di Gaula (1715) et encadré avec talent par Thibaud Robinne à la trompette et Pier Luigi Fabretti au hautbois. Encore plus poignant de sensualité le « Quando corpus morietur » du Stabat mater (1736) de Giovanni Battista Pergolesimême si nous regretterons un déséquilibre vocal entre les interprètes en raison des quelques faiblesses du contre-ténor : de cette voix en devenir, plutôt juste dans les aigus, les envolées au travers des medium qui permettent d’y accéder, se révèlent parfois plus incertaines. Grand moment final lorsque John Malkovich, alias Jeffrey Himmelhoch, redescendu de son char jupitérien, entame avec humilité mais non sans chaleur le « Pur ti amo » extrait de L’incoronazione di Poppea (1643) signée Claudio Monteverdi avec Cecilia Bartoli.

Entrecoupé de dialogues plus ou moins incisifs et dont témoigne le vif échange entre Jeffrey Himmelhoch et Rosie Blackwell sur le « wokisme » et la « Cancel culture » et où, selon John Malkovich, « plus aucun artiste n’ose plus rien dire ou écrire sauf à devoir mettre en garde le public », ce récital déguisé de Cecilia Bartoli dans un répertoire dûment maîtrisé l’autorise d’autant plus à « jouer sur du velours » qu’il se concentre dans un registre vocal essentiellement intimiste : gémissements discrets, lamentations retenues, langueur amoureuse empreinte de pudeur. Un déluge d’affects ovationné par le public et dont la Directrice générale de l’opéra de Monte-Carlo sait habilement exploiter le filon.

Jean-Luc Vannier
Monaco, 8 avril 2024
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Mardi 9 Avril, 2024 22:49