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25 mai 2024 — Jean-Marc Warszawski

Aux invalides la musique valide les duels

Éric Le sage, Jean-François Durez, François Boulanger, Frank Braley. Photographie © musicologie.org.

Le 23 mai dernier, dans une atmosphère de presque fin de saison et d’une nouvelle annoncée tout aussi brillante, le Musée de l’armée ouvrait une fois de plus le portail de la cathédrale Saint-Louis pour un concert de son cycle ou série thématique consacré aux duels.

Elle est assez curieuse cette notion de duel, cette compétition où on promet de se refiler des gnons à la récréation, pour un mot de trop, une bille volée, le regard d’une fille ou d’un garçon, les filles peuvent aussi dueler. Chez les grands habillés d’enfance, c’est genre guerre des gangs en version chic, avec une idée d’honneur à sauver ou à venger, que l’on tue ou que l’on meurt. Le plus drôle est quand le mari trompé ou l’offensé meurt. Il y a beaucoup d’honneur et peu de morale. Pouchkine y perdit tout de même définitivement sa poésie d’une balle dans le ventre. Ces affrontements provoqués par des susceptibilités ou des égos mal placés interrogent toutefois l’humanité. Il y a bien longtemps, rassurons-nous, on voyait le duel comme un jugement de Dieu et aussi comme un acte judiciaire, mais inquiétons-nous que de nos jours bien des hommes, surtout des hommes, « se fassent justice » à coups de poings ou de feu ou à l’arme blanche dans le style ancien.

Les duels musicaux pour qui sera le plus beau le plus fort ont aussi existé dans le monde de la musique, surtout dans le domaine de l’improvisation. Des duels, parfois amicaux, parfois vireux. Les plus célèbres sont eux qui opposèrent Franz Liszt à Sigismond Thalberg, Wolfgang Amadeus Mozart à Muzio Clementi, Johann Sebastian Bach à Louis Marchand, ce dernier ayant déclaré forfait avant de se faire manger tout cru, selon la légende à laquelle on peut croire ou ne pas croire. Notons en passant que dans la seconde moitié du xviiie siècle, Joseph Bologne (dit chevalier de Saint-Georges), musicien accompli, était un escrimeur redouté.

Évidemment, l’affrontement de ce soir est surtout allégorique par l’évocation musicale de Roméo et Juliette (Sergueï Prokofiev) et leurs familles claniques entre chien et chat, et la géniale adaptation de Leonard Bernstein avec West Side Story.

François Boulanger. Photographie © musicologie.org.

Pas seulement, puisque les oppositions sont illustrées par la musique elle-même, qui sont alors le résultat d’un travail thématique purement musical et non plus littéraire. Pas seulement, particulièrement dans la première partie introduite par une œuvre sympathique en trois courts mouvements de Karol Beffa (présent dans l’assistance) pour deux pianos (Fazioli et Fazioli) et deux percussionnistes, la configuration même de la magnifique version d’Irwin Kostal (orchestrateur de la version originale) de cette suite orchestrale West Side Story. Cette version est harmoniquement et rythmiquement hyper raffinée, d’où ont disparu les mélodies attractives et émouvantes, elles sont à peine évoquées, évaporées, emportées par la pulsation, telles Tonight America, Something’s coming, Maria, Somewhere, I Feel Pretty… La réception dans le public doit être fort différente selon qu’on a en mémoire la musique originale de 1961 ou pas.

C’est un pièce de grande virtuosité, un challenge qui confronte les deux pianos (Éric Le Sage et Frank Braley) aux deux ensembles de percussions (François Boulanger et Jean-François Durez), entre brisures et résurrections, dans une permanente tension dramatique soulignée par de puissants accords percussifs, et motorisée par un ensemble central de percussions tenu avec une maestria addictive par François Boulanger en personne, qui après vingt-sept ans de service dirigea ce soir une dernière fois l’Orchestre de la Garde républicaine. Si nous avons bien compris.

Orchestre de la Garde républicaine. Photographie © musicologie.org.

Pour la seconde partie, symphonique, le chef laisse donc tomber les mailloches au profit de la petite baguette qui ne frappe que l’imagination. Pour faire la transition, on reste avec Leonard Bernstein : sa tourbillonnante ouverture de Candide (même année que West Side Story !) avant de retrouver Roméo et Juliette sonorisés par Sergueï Prokofiev. De son célèbre et très long ballet, le compositeur a tiré trois suites symphoniques, organisées selon des critères musicaux et non pas selon le déroulement du drame. On nous a offert les sept numéros de la première suite (1936), avec en prélude le premier numéro de la deuxième suite (1936), la célèbre Danse des chevaliers.

La musique de Prokofiev tient sa puissance esthétique de son ambivalence entre une écriture des plus savantes et des plus raffinées, une orchestration rutilante, et ses élans populaires. Elle est toujours inventive mélodiquement et rythmiquement, voire un peu frustrante, tournant court ses effets (qui n’en sont que plus efficaces).

Entre cette danse des chevaliers qui emporte l’émotion par son souffle épique (ou dramatique si on y perçoit une exagération caricaturale), et la déflagration lyrique de La mort de Tybalt, nous nous sommes repus d’une succession de couleurs orchestrales, de raffinements mélodiques et rythmiques, où rien n’est commun, jamais délayé, et avons une fois de plus apprécié les immenses qualités musicales de cet ensemble orchestral.

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25 mai 2024
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Vendredi 24 Mai, 2024 23:54