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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 12 avril 2023 — Frédéric Norac

Ô mon bel inconnu : le « boulevard » musical de Guitry et Reynaldo Hahn

Ô mon bel inconnu. Photographie © MariePétry.

Après Messager et Willemetz et leur Coup de roulis, c’est au tour du duo formé quelques années plus tard par Reynaldo Hahn et Sacha Guitry d’investir la scène de l’Athénée. Créé au Bouffes-Parisiens en 1933, Ô mon bel inconnu pourrait être l’archétype de la comédie de boulevard. Sans la musique de Reynaldo Hahn, le livret de Sacha Guitry ne serait qu’un simple vaudeville bien troussé, aussi spirituel et piquant que le sont la plupart de ses pièces, mais un rien daté dans sa satire d’un monde petit-bourgeois, typique de la France de l’entre-deux-guerres, avec ce soupçon de misogynie si caractéristique du bonhomme, ses bons mots et cette gouaille qui n’hésite pas devant un mot cru et mélange allègrement poésie et trivialité.

Le compositeur y ajoute une touche de rêve, voire de mélancolie, une certaine forme de folie aussi dans des airs et des ensembles où le chant syllabique est digne d’un opéra bouffe italien comme dans le finale du premier acte. On admire la virtuosité avec laquelle il met en musique les vers irréguliers, voire parfaitement libres et même la prose de Guitry, son invention mélodique (particulièrement dans l’air central qui donne son titre à l’œuvre) et dans de beaux interludes.

L’histoire de ce chapelier, M. Prosper Aubertin, qui découvre, en passant en petite annonce pour s’amuser un peu, les frustrations et les désirs de « ses » femmes (entendez son épouse, sa fille et sa bonne), ne se raconte pas, ce serait la « spoiler ». Elle commence au petit déjeuner dans la salle à manger familiale, se poursuit dans la boutique et s’achève dans une villa de Saint-Jean-de-Luz. Pour cette production, soutenue par le Palazetto Bru-Zane et créée à Tours en décembre dernier, qui devrait tourner et passer par Avignon, Rouen et Massy, Emeline Bayart a imaginé une mise en scène légère dans une structure unique qui fait pour les trois tableaux, avec de jolis costumes d’époque. Et elle y dirige ses acteurs dans un esprit résolument boulevardier qui convient parfaitement à la tonalité de l’œuvre.

Ô mon bel inconnu. Photographie © MariePétry.

À un ensemble de cinq rôles chantés, Guitry ajoute trois personnages parlés farfelus dont l’un est « muet » (sic). Du côté théâtral on ne sait qui est le plus drôle du M. Lallumette de Carl Ghazarossian, le confident de la famille, mimé dans un style à la Charlie Chaplin par le ténor qui finit tout de même par chanter au final ou de Jean-François Novelli, irrésistible en amoureux transi au premier acte ou en propriétaire ventru et (im)moral au dernier. Du côté du chant, Marc Labonnette donne beaucoup de relief au chapelier mais paraît parfois un peu inconfortable dans une tessiture assez grave pour ses moyens de baryton. Clémence Tilquin possède la séduction vocale et scénique nécessaire à son rôle de bourgeoise entre deux âges et Sheva Tehoval toute la fraicheur de la jeune fille à marier. À Victor Sicard, incarnant le jeune homme amoureux, revient la palme du style et de l’élégance. Entre les deux registres, Emeline Bayart, ne fait qu’une bouchée de Félicie, un rôle créé par Arletty, aussi exigeant théâtralement qu’au plan vocal dont elle interprète le fameux air de la chalcographie avec une verve au moins égale à celle de son aînée.

Arletty et Reynaldo Hahn, O mon bel inconnu, « air de la chalcographie », orchestre dirigé par Reynaldo Hahn (78 tours Pathé PA.63, 16 Décembre 1933).

Dans la fosse, les dix musiciens des Frivolités parisiennes placés sous la direction de Samuel Jean mènent la danse avec efficacité et entrain. Si au premier acte on attend un peu comme eux que la musique reprenne ses droits dans une comédie musicale qui paraît un rien bavarde, à partir du deuxième, les 2 h 50 (avec entracte) que dure le spectacle passent comme par enchantement et quasiment sans un temps mort.

Prochaines représentations les 14, 15 et 16 avril.

plume_07 Frédéric Norac
12 avril 2023
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